"Ça a été incroyable. Après quelques jours de fermeture, au début du premier confinement, au printemps dernier, nous avons commencé à vendre nos bouquets en ligne. On a été submergés de commandes. L'affection que nos client·es ont pour les fleurs, le besoin qu'ils et elles en éprouvaient, leur envie aussi de nous soutenir… c'était très fort." Mathilde Bignon est l'enthousiaste fondatrice, avec Audrey Venant, de "Désirée Fleurs".
Deux boutiques dans Paris, avec une tête de pont, un délicieux café-fleuriste (1) dans le 11e. Leur credo ? Des fleurs françaises, de saison, cultivées par des producteurs respectueux de l'environnement. Des fleurs qui fédèrent des fidèles, sensibles à la poésie de leurs compositions autant qu'à cette démarche écoresponsable et au lien que ce type de commerce apporte au quartier.
Quand on ne peut venir à elles, les livraisons se font en vélo-cargo. Cohérence d'un bout à l'autre de la chaîne.
Après quelques jours de fermeture, au début du premier confinement, au printemps dernier, nous avons commencé à vendre nos bouquets en ligne. On a été submergés de commandes.
La "slow flower" face à la "fast flower"
Ce matin-là débarquent les brassées des premières tulipes de Nadège et Bruno Mangini, cultivées en Île-de-France. À côté s'épanchent les tiges tortueuses des pavots à corolle de crépon orangé. Pour ses trois ans d'existence, Désirée semble avoir gagné son pari : après des années à 30 % de croissance, 2020 les a fait grimper à 50 %.
Une belle histoire qui pourrait faire espérer un changement structurel. On n'y est pas, le paysage est loin d'être rose. En tout cas, il n'est pas green. Malgré l'existence d'une belle filière de production en France, notamment dans le Var et en Île-de-France, 85 % des fleurs vendues en France sont importées, des Pays-Bas, d'Équateur, de Colombie, du Kenya, d'Éthiopie.
Pendant de la fast fashion, la "fast flower" en a les mêmes contours : production de masse, conditions sociales désastreuses, pratiques de cultures néfastes – serres chauffées, éclairage artificiel, intrants chimiques… Et des prix ultra-concurrentiels qui mettent à mal la production hexagonale : 50 % des producteurs locaux ont disparu en dix ans. S'ajoutent les conséquences de la situation actuelle : producteurs et fleuristes ont perdu 40 % de leur chiffre d'affaires pendant le premier confinement, 15 % des fleuristes ont fermé en 2020.
85 % des fleurs vendues en France sont importées, des Pays-Bas, d'Équateur, de Colombie, du Kenya, d'Éthiopie.
Créé en 2017, le Collectif de la Fleur Française (2) s'emploie à nous sensibiliser à ces enjeux et prône le "Slow Flower" comme le mouvement Slow Food. Les enjeux sont les mêmes.
"Je ne vois pas pourquoi je ne mettrais pas le même soin et le même budget à choisir mes fleurs que mes légumes. Le plaisir que j'en retire est le même et la responsabilité que je porte comme consommatrice aussi." Chloé Bruhat est photographe et réalisatrice (voir son témoignage plus bas). Les fleurs la passionnent comme sujet de contemplation, d'étude mais aussi pour ce qu'elles représentent : "Une incursion du vivant dans nos appartements."
Verdir son balcon augmenterait son bien-être
De manière empirique, car aucune étude ne le prouve pour l'instant, il semble que celles et ceux qui ont pu verdir un coin de balcon, ont moins mal vécu la situation que d'autres. Le bouquet de fleurs a pu compenser l'absence de jardin. Étymologiquement, bouquet viendrait de "bosquet". C'est donc déjà un début de nature. Or on sait à quel point celle-ci est propice au bien-être.
Dans une étude (3) fameuse consacrée aux bienfaits des fleurs "de compagnie" menée par Nancy Etcoff, chercheuse et professeure de Science of Happiness à la Harvard Medical School, il n'y aurait que des bénéfices à remplir nos vases. La bienveillance et l'empathie s'accroissent dans les foyers "à fleurs", l'anxiété décroît ainsi que le blues matinal. Et leur fréquentation, même brièvement, engendre des pics d'énergie, et de bonheur, notamment au travail.
La bienveillance et l'empathie s'accroissent dans les foyers "à fleurs", l'anxiété décroît ainsi que le blues matinal.
C'est aussi un cadeau que l'on nous fait, que l'on se fait, dans un moment de nos vies où les loisirs sont contingentés. Rien que pour soi et pour ses proches, puisqu'on ne reçoit plus grand monde à la maison. Dans cette existence réduite, peut-être alors reste-t-il le pari de la beauté. Celui du bouquet de fleurs comme espoir d'un monde plus doux.