En cette journée caniculaire de septembre, elle déboule pimpante et sereine, en dépit des nombreux défis qui l'attendent cette rentrée. Charlotte Cadé admet que le travail conjure le stress. Son optimisme et sa vitalité contagieuse ne sont, bien sûr, pas étrangers à la réussite de cette plateforme (ex-Brocante Lab) qui affiche un catalogue riche de plus 200.000 meubles et objets de seconde main, du XIXe siècle à nos jours.

Une jeune start-up

Depuis 2017, elle a emménagé avec son équipe – moyenne d'âge 27 ans –, à quelques pavés du métro Cadet, dans un appartement en duplex avec parquet blond et un bel escalier années 30.

Une approche moderne de l'ancien, en rupture avec l'image des vide-greniers" Charlotte Cadé

La décoration est à l'image du site, épurée mais pas sophistiquée : "Une approche moderne de l'ancien, en rupture avec l'image des vide-greniers, avec quelques carambolages bien choisis d'époques et de styles."

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La chine, une passion d'enfance

Charlotte n'a pas de bureau attitré : "On est en mode start-up. La proximité permet à l'énergie de circuler." Ainsi, au fil de la journée, elle s'installe tour à tour dans le canapé en cuir miel seventies ou dans l'un des open spaces à l'étage ou encore sur la grande table de ferme entourée de chaises en acajou repérées sur le site.

Sa passion pour la chine remonte à l'enfance. "Les puces et les vide-greniers étaient une des activités préférées de mes parents. Dans la famille, on a toujours raffolé des associations libres. Jongler avec les siècles. Faire cohabiter un trumeau aux dorures XIXe siècle et une coupe brutaliste avec une chaise Breuer" – l'un des best-sellers de la plateforme.

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À la recherche du Graal

Dotée d'un flair infaillible, cette jeune entrepreneuse – passée par le service marketing de L'Oréal – avoue ne pas se laisser déborder. Au terme "bulldozer", elle préfère le qualificatif de fonceuse. Ses salariées louent sa réactivité, sa puissance de travail bluffante et sa pugnacité. Comme la rigueur et le pragmatisme de Maxime Brousse, son associé devenu son mari et le père de sa fille de 6 mois.

Au début de leur relation, ils s'étaient pourtant juré de ne jamais travailler ensemble, mais quelques mois après le lancement de Brocante Lab, en 2014, ils décident finalement d'associer leur vie privée et leur créativité. La même année, ils emménagent dans un appartement du 18e arrondissement de Paris. Charlotte surfe alors des heures sur le site du Boncoin ou d'Ebay, à la recherche de la pépite qui donnera du relief à leur nid, lassée des objets standardisés de la marque au logo jaune et bleu.

Les bases de Brocante Lab sont jetées. La plateforme démarre avec deux stagiaires. Six ans et deux levées de fond plus tard, elle compte cinquante collaborateurs et deux millions de visiteur(ses) par mois, toutes à la recherche du Graal : un fauteuil canné, une enfilade scandinave ou un miroir soleil…

"À la différence du Boncoin, nous ne sommes pas un site de petites annonces mais une boutique en ligne avec une sélection authentifiée – 15 % des objets sont retoqués – et expertisée pour les pièces signées. Notre force tient également à la qualité des photos détourées et joliment mises en lumière, aux paiements sécurisés et au service de livraison, même si celui-ci reste encore le point névralgique."

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Démocratiser l'unique et le durable

Malgré sa jeunesse, 33 ans, Charlotte a réussi dès le début à secouer un petit monde plutôt "old school" et à le convaincre de digitaliser ses trésors. Un défi de taille. Depuis, Selency s'est imposée comme l'une des start-up françaises les plus performantes. 

Au-delà des bons résultats de Selency, je suis fière de participer à démocratiser l'unique et le durable. 

Entre 2018 et 2020, son chiffre d'affaires a bondi de 300%. "Au-delà des bons résultats, je suis fière de participer à démocratiser l'unique et le durable." Son site est son meilleur allié. "Conçu à la manière d'un magazine de déco, chic mais pas élitiste, je l'ai voulu "inspirationnel", comme un écrin contemporain capable de sublimer l'ancien. Chacun(e) devient ainsi le curateur de son intérieur sans alourdir la facture écologique."

Visites d'appartements, sélections thématiques, zooms sur des tendances sont proposés chaque semaine en complément d'une newsletter bihebdomadaire. "Même si la crise sanitaire a complexifié les choses, nos ventes ont augmenté de 30 à 40% ce printemps. Pendant le confinement, les gens n'avaient qu'une obsession : trier, ranger puis revamper leur maison. Ce fut un sacré défi avec une équipe en télétravail, mais le collectif a parlé d'un seul élan. Au bout de deux mois, on est sortis sur les rotules mais réénergisés par le succès."

Pendant son congé de maternité, Charlotte s'est même fendue d'un manifeste où elle prône une consommation plus responsable "moins mais mieux" et plus locale, en encourageant les transactions autour de chez soi. Depuis 2018, elle a aussi imposé à son équipe un Green Friday, une journée de ramassage des déchets en région parisienne, accompagnée d'une redistribution de 20 % du chiffre d'affaires du jour au collectif éponyme. Et d'ici à l'an prochain, elle espère bien compenser les émissions de CO2 générées par les camions de livraison en finançant des projets en faveur des énergies renouvelables.

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De nombreux partenariats prestigieux

En attendant, les projets s'accumulent : la plateforme s'est offert une vitrine au BHV, où sont mises en scène les pièces iconiques du catalogue. L'occasion de montrer que la maison est ouverte à tous les télescopages. Le succès du nouveau département dédié aux professionnels en témoigne.

Adoubée par les décorateurs et les architectes d'intérieur, la brocante en ligne est sollicitée depuis quelques mois pour aménager hôtels et restaurants : La Folie Barbizon, l'hôtel Cabane à Paris, le bistrot Pétrelle ou encore le café Citron Jacquemus et Kaspia… Et ça cartonne, car tous sont en quête de meubles ou d'objets porteurs d'une patine et d'un vécu.

Dans la foulée, Charlotte vient d'imaginer sur le site une galerie d'art 2.0 où l'on chine – à partir de 50 euros – natures mortes début XXe , portraits à l'huile, photos anonymes et bustes en plâtre "non authentifiés pour l'instant".

Son dernier terrain de jeux?  L'enseigne Monoprix. Depuis le 15 septembre, elle déballe ses trésors dans le magasin de Montparnasse où les amateurs de brocante peuvent shopper une dame-jeanne, un service de table en grès ou un tabouret tripode… en achetant leur plaquette de beurre. Et si l'expérience est convaincante, elle s'étendra bientôt en régions. Preuve que la culture vintage infuse la société en profondeur.

Vidéo du jour
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3 conseils déco de Charlotte Cadé

  • Ses meilleures adresses pour chiner 

"À Paris, les puces de Vanves restent un incontournable, à condition d'y aller le samedi matin aux aurores pour trouver des petits tableaux fin XIXe bourrés de charme ou de la vaisselle Art déco. Dans le Midi, le dimanche, la brocante du Jas des Robert, sur les hauteurs de Cogolin, au milieu des chênes-lièges et des pins parasols, regorge toujours d'objets de curiosité singuliers", assure Charlotte Cadé. 

"À Bordeaux, la brocante des Quinconces : ce vide-grenier semestriel réunit près de trois cents professionnels. C'est à la fois un lieu de promenade et une foire, dans la veine de celle de Chatou, en région parisienne.", explique-t-elle. 

  • Une astuce déco imparable 

"Dans les petits appartements, mieux vaut investir dans un canapé trois places que dans un petit modèle, afin de donner de l'ampleur à la pièce. Et pour l'éclairage, multiplier les sources lumineuses en privilégiant les lumières indirectes et choisir des ampoules chaudes", préconise la jeune femme. 

  • Accrocher ses premiers achats d'art

"Il faut se faire confiance, écouter ses émotions et céder aux coups de cœur. Plutôt que d'accrocher un tableau sur un mur et un dessin sur un autre, jouer l'accumulation sur le même panneau mural.", conseille t-elle.  

 Cet article a été initialement publié dans le numéro 819 du magazine Marie Claire, daté de décembre 2020.

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