Avant de consacrer ses jours et ses nuits aux fleurs, Masami Charlotte était designer d’accessoires à Londres. "Je vais vraiment faire ça toute ma vie ? Le boulot le plus inutile du monde ?"
À 25 ans, elle démissionne, pour se lancer dans l’agriculture. Elle s’exprime comme perfusée aux cinq éléments, organiquement liée au vivant. Ce qu’elle sait, elle l’a appris dans des fermes au Maroc ou au Japon, dans les livres, "un savoir empirique assez obscur". Une rare dose d’érudition plutôt. L’étude de la biodynamie l’a initiée aux cycles de vie des éléments et des organismes.
"Travailler avec le végétal, regarder ces organismes naître, vivre et mourir m’a appris l’humilité. Avant l’hiver, il faut préparer la mort des plantes. Celles que je laisse en terre vont nourrir le sol et la micro-faune." Comme en une méditation sans fin, la terre et le vivant respirent sans relâche. "En automne et en hiver, tout tombe, les animaux s’enfouissent, le cosmos est stocké dans les racines, les tubercules, c’est l’inspire de la terre, elle reprend son souffle. Au printemps, elle libère son énergie, sa sève, c’est l’expire. Les mêmes cycles rythment le jour et la nuit."
Ce matin, avec sa coloc végétale, elle parlait de chorie. Jamais entendu ce mot. "Il désigne la dissémination des graines par le vent, les animaux. L’histoire des plantes témoigne d’une sale histoire coloniale, faite de déplacement d’espèces européennes pour créer des plantations, de destruction du biotope de déplacement et de morts de millions de personnes. Les collapsologues affirment que la catastrophe est à venir. Mais elle a déjà eu lieu aux XVe et XVIe siècles, avec la colonisation !"
Discuter avec Masami Charlotte fait gagner des points de QI. Quand en juin, la pluie est revenue après six semaines de sécheresse, elle a posté une merveille de texte sur le pétrichor, l’odeur que prend la terre après la pluie. Autour de nous, le champ résiste comme il peut à la brûlure du soleil, avec l’irrigation en soupape. "En regardant les plantes, on peut imaginer à quoi ressemblera l’Île-de-France en 2050 : au bassin méditerranéen." Pour s’adapter et ne pas irriguer pendant dix ans, elle a planté une haie d’espèces méditerranéennes, composée notamment d’arbousiers asiatiques.