La rentrée littéraire post #MeToo : les auteures écrivent sur les violences faites aux femmes

Rentrée littéraire post Me too
Depuis la précédente rentrée littéraire, Simone de Beauvoir est (enfin) rentrée dans la Pléiade, l'immortelle Simone Veil a été panthéonisée et le mouvement #MeToo a réveillé la planète. C'est dans ce contexte que des auteures ont écrit sur les violences faites aux femmes.

Elles rompent définitivement avec l'idée d'une "écriture féminine" poétique ou épistolaire, dont le thème de prédilection serait à coup sûr l'amour. Leurs écritures sont crues, stylées, osées. Dans la continuité de #MeToo, elles s'emparent de thèmes graves, qui concernent les femmes, et y apportent leurs plumes, leur female gaze nécessaire dans la littérature.

Les primo-romancières ont choisi d'écrire sur le viol  

  • Le malheur du bas, d’Inès Bayard (Albin Michel, 22 août 2018)

Parmi les 94 primo-romanciers de cette rentrée, Inès Bayard, auteure de 26 ans. Les rapports sexuels, les règles, la grossesse, la maternité : l'auteure fait le récit détaillé d'un corps féminin, de ses tourments, après le viol. Son personnage, une jeune femme, a été violée par son directeur. C'est une écriture crue, une écriture du corps, du corps meurtri. Inès Bayard ne voulait surtout pas décrire l'agression sexuelle en surface. 

Vidéo du jour

"Le viol est une pénétration à l'intérieur du corps. Il faut passer par ce qui se passe à l'intérieur, pour comprendre ce qui se diffuse ensuite dans la psychologie et l'âme du personnage", a résumé l'auteure lors de la présentation de son livre aux libraires.

  • Mauvaise passede Clémentine Haenel (L’Harpenteur, 23 août 2018)

"On ne me déshabille pas complètement, on laisse une jupe me ceinturer. Ce n’est pas doux. Je suis l’objet de brutalités. Quand je ne veux pas vraiment me donner, mais que je me retrouve là, comme obligée. Quand ça brûle et que l’on continue, quand tout se refuse en moi mais que l’on continue" : autre jeune auteure, autre traitement du viol. Cette fois, la narratrice subit le viol conjugal. Le roman parle des violences autant que de la solitude dans laquelle ces dernières la plonge. Elles l'isolent d'une mère déjà peu présente ou de l'envie de s'en sortir, au point de songer à "la possibilité du drame". L'écriture brute, brutale, raconte "l'envie de gâchis" de la victime.

  • Pêched’Emma Glass (Flammarion, 22 août 2018)

La solitude de la victime, c'est aussi celle de Pêche, le personnage éponyme de l'auteure anglaise Emma Glass. Elle vient d'être violée, rentre chez elle démunie, et tombe sur ses parents en train de faire l'amour sur la table de la cuisine. Ils ne s'aperçoivent de rien, ils ne remarquent même pas le sang qui coule le long de ses jambes. 

Les violences couchées sur papier 

  • Trancher, d’Amélie Cordonnier (Flammarion, 29 août 2018)

Le roman de la journaliste de 38 ans est l'un des plus attendus de cette rentrée. Amélie Cordonnier raconte le couple ravagé par les violences verbales. Ces violences à l'abri des regards mais bien destructrices. Ces violences qui "reviennent sans prévenir" après sept ans sans insultes adressées à sa femme. Comme le verbe coupant le laisse entendre dès le titre, cette femme violentée va devoir trancher. Dans seize jours elle aura 40 ans, et cette date anniversaire sera aussi celle de son choix : quitter son compagnon, ou rester, malgré tout. Le lecteur s'immisce dans les pensées et les doutes d'un personnage qui ressemble aux femmes violentées que l'on questionne - que l'on juge - a posteriori d'un "pourquoi n'es-tu pas partie plutôt ?"

  • Un homme aborde une femme, de Fabienne Jacob (Buchet-Chastel, 23 août 2018)

Dans Un homme aborde une femme, Fabienne Jacob aborde les violences dans l'espace public. Celles des harceleurs. La narratrice tente de se souvenir de tous ces hommes qui l'ont "abordée" dans la rue, à chaque étape de sa vie, quand elle est fillette, jusqu'à aujourd'hui. Elle se rappelle des cailloux jetés dans les roues de son vélo de petite fille, des mots offensants d'un passant sur sa robe d'été. Des hommes l'ont suivie, elle s'en souvient. D'autres l'ont "juste" frôlée. Après recensement, elle compare son expérience à celle de ses voisines, amies, toutes des femmes libres. Ce roman peut aussi se lire comme une enquête sur l'évolution de la place des femmes dans l'espace public.

Auteure lanceuse d'alerte sur la remise en cause des droits fondamentaux des femmes

  • Les Heures rouges, de Leni Zumas (Les Presses de la Cité, 16 août 2018)

L'avortement est interdit. L'adoption et la PMA pour les femmes seules le seront bientôt. Bienvenue dans l'Amérique de demain de Leni Zumas où les femmes stériles et célibataires représentent la honte de la société. Voilà le futur proche des États-Unis de Trump que l'écrivaine américaine prédit dans cette fiction. Fiction certes, mais fiction alarmante, qui clignotera dans l'esprit des lecteurs et des lectrices comme la mise en garde de Simone de Beauvoir autrefois : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."

Les auteurs aussi inspirés par #MeToo ? 

  • Modèle vivant, de Joann Sfar (Albin Michel, 29 août 2018) 

Le dessinateur Joann Sfar a toujours croqué le présent. Dès qu'un sujet d'actualité l'inspire, et surtout dès qu'il l'indigne, il poste ses réactions dessinées sur son compte Instagram. Dans son dernier roman, il s'est attelé à garder cette même proximité avec son époque, en traitant du harcèlement en ligne qu'il subissait par une femme derrière un profil anonyme Facebook. Pour écrire ce nouvel ouvrage, le dessinateur/réalisateur/auteur niçois s'est inspiré cette fois du mouvement #MeToo. Il questionne le rôle des hommes et la façon dont ils doivent accompagner la révolte de l'année."C’est l’histoire d’un professeur de dessin qui s’appelle Joann Sfar. La direction des Beaux-Arts le réveille aux aurores afin de régler le problème du harcèlement sexuel à l’école", résume-t-il, avant de poser LA question : "Rien que ça ?" 

[Dossier] Y a-t-il un "female gaze" ? - 8 articles à consulter

La Newsletter Époque

Phénomènes de société, reportages, people et actualités... l'air du temps décrypté.