« Fais attention, Asli » : ce conseil de certains de ses proches, qui parfois se mue en petite voix intérieure, elle ne l’écoute pas. Ou peu : ne supportant pas l’injustice, le machisme, le racisme, pas plus que le totalitarisme qui progresse dans son pays, Asli Erdogan s’engage spontanément, s’impliquant dans toutes les causes à défendre – ce qui, en Turquie, est très risqué. Cette pasionaria a connu les menaces, les violences, le viol et la prison.

A 51 ans, elle vient de recevoir le prix Simone de Beauvoir, remis chaque année à une personne ou association qui défend et fait progresser la liberté des femmes. Dans ce roman palpitant, où la narratrice blanche tombe amoureuse d’un homme noir, on retrouve toute la lave de ce caractère volcanique, habité par la nécessité de résister à toute privation de liberté… et d’amour, fût-il impossible.

Marie Claire: Qu’aimeriez-vous dire de ce roman?

Asli Erdogan: Qu’il a des défauts. Parce que je l’ai écrit trop vite, sur de petits blocs-notes de soixante pages que je pouvais cacher facilement, par peur que la police ne saisisse mes textes le jour où elle débarquerait chez moi.

Il a surtout des qualités: la compréhension des ressorts humains, de la nécessité, parfois, de désobéir, de la complexité de l’amour…

Eh bien, si les sentiments que je ressentais alors dans ma vie privée ont pu passer dans ces pages, j’en suis heureuse, car ce n’est pas totalement autobiographique. Sinon que c’était – et que c’est encore,  je crois – le seul livre écrit en Turquie sur une histoire d’amour entre une Blanche et un Noir. Le seul, aussi, écrit à un moment où j’étais amoureuse.

Par la suite, l’amour vous a empêchée d’écrire?

Non. C’est juste que, depuis, je n’ai plus été amoureuse.

Mais êtes-vous au moins en paix?

Vidéo du jour

Je gagne en sérénité… Les traumatismes que j’ai pu subir – dans mon enfance, avec ma famille, ou avec les violences endurées à l’âge adulte – je ne les sous estime plus. La psychanalyse m’a aidée à mesurer à quel point je ne voulais pas recon naître ces blessures. Le faire enfin m’apporte un certain équilibre.

Avec les hommes aussi?

Depuis des milliers d’années, ils sont esclaves de stéréotypes les poussant à être « virils », dominateurs et, donc, à nous faire souvent du mal, sous une forme ou une autre. En Turquie, notamment, c’est très lourd. Il faut changer cela. Sinon, sur un plan personnel, à 51 ans, je séduis moins, j’échappe plus facilement au désir des mâles. Ça soulage.

(*) L’homme coquillage d’Asli Erdogan, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, éd. Actes Sud, 21 €, sortie le 14 mars.

>> ACHETEZ sur Amazon : L'homme coquillage