"De toutes les actrices qui ont joué Diana au cours des dix dernières années, c'est elle qui s'en est le plus approchée", a déclaré Ken Wharfe, l'ancien garde du corps de la princesse de Galles, devant la prestation en mode mimétique absolu de Kristen Stewart dans Spencer, diffusé sur Amazon Prime Video depuis janvier.

Réalisé par le Chilien Pablo Larraín, qui a l'art d'alléger le plomb du biopic intégral en se concentrant sur un morceau choisi, le film se déroule sur trois jours pendant les fêtes de Noël 1991, à Sandringham House.

On y découvre Diana au volant de sa décapotable, inquiète à l'idée de ne pas se repérer dans la campagne du Norfolk. Déjà, cette peur de conte de fées – qui a quelque chose à voir avec celle des héroïnes perdues en forêt – s'est engouffrée dans les grands yeux de Kristen Stewart, qui font planer sur le film une mélancolie vertigineuse.

Vidéo du jour
1/3

Métamorphosée dans "Spencer"

Lauren Dukoff

Vingt ans après que Jodie Foster a décelé sa capacité peu commune à "montrer à l'écran comment elle a du mal à manifester ses émotions" sur le plateau de Panic Room, de David Fincher, l'actrice de presque 32 ans (le 7 avril) a reçu sa première nomination aux Oscars – le verdict n'est pas encore connu à l'heure où nous rédigeons cet article.

Si le rôle de Diana Spencer semble porter chance – Emma Corrin a remporté un Golden Globe pour son interprétation dans la série Netflix The Crown, en 2021 –, il confirme aussi l'intérêt de l'actrice pour les beautés de résistance, ces looseuses magnifiques qui perdent contre le système.

"Lady Di voulait disparaître, elle dépérissait. Sa peine est devenue tellement physique… Vivre à l'intérieur d'un corps féminin non reconnu, muselé, est une expérience violente et il n'est pas facile d'en parler. C'est une affaire compliquée, je devais m'y employer", reconnaît-elle, trois ans après avoir interprété Jean Seberg (1), l'icône américaine de la Nouvelle Vague, utilisée et broyée par le FBI pour avoir fréquenté un membre des Black Panthers.

"Dans Spencer, Kristen a réussi à se transformer pour le rôle tout en gardant son naturel, décrit Claire Mathon, la cheffe opératrice du film. Pour saisir l'intimité du personnage, je l'ai beaucoup regardée. Et petit à petit, j'ai senti qu'elle me regardait aussi, me laissant le temps de peaufiner l'image, pour que nous puissions aller toutes les deux au bout du travail. Kristen sait combien c'est important d'être bien regardée."

Une carrière incertaine

L'éventualité de la récompense suprême vient marquer vingt-trois ans d'une vie d'artiste mouvementée qui a failli s'arrêter à plusieurs reprises.

"Cinq films, une expression" ou "Je ne souris pas toujours, mais quand je le fais, je ne le fais pas" : raillée sur internet pendant ses années Twilight, accusée d'avoir brisé le ménage d'un homme marié (Rupert Sanders, le réalisateur de Blanche Neige et le chasseur) et critiquée par des associations de lutte contre les troubles alimentaires pour avoir tenté de se faire vomir sur le plateau de Spencer (où l'on découvre quelques scènes de boulimie), elle est passée experte en situations inextricables dont elle sait se sortir par le haut à la faveur de sa grâce rockabilly.

"Enfant, je voulais être une rockstar… Je suis allée en rockstar à la Journée des Métiers à la maternelle, rappelle celle qui, dix ans plus tard, interprétera la rockeuse Joan Jett, dans The Runaways (2), en souvenir de la bande-son post-punk de son adolescence. J'étais une gosse tellement emo [pour “emocore”, sous-genre du punk, ndlr]. J'allais à une soirée emo tous les 'putains' de week-ends."

À côté des éclatantes, des brillantes, des glossy, des fun et des parfaites, la Californienne aux airs de Garbo jurant comme Al Pacino dans Scarface incarne une bouffée d'air face aux injonctions, visant le charme plutôt que la perfection, fidèle à son credo : "Je ne veux pas être une star de cinéma comme Angelina Jolie."

"The Good Bad Girl"

Surnommée quelques années plus tard "The Good Bad Girl" par le New York Times Magazine, cette ambassadrice, depuis 2015, de la maison Chanel n'aime pas vraiment Internet et n'est présente sur aucun réseau social.

Sans façon, elle grignote les bonbons à la réglisse Good & Plenty en pleine nuit, se fait réveiller par son "petit chien hypoglycémique", se balade dans une fourgonnette noire qu'elle a baptisée "Beth", préfère être nue que danser et teste son endurance sur des terrains de golf, en jean-basket à Griffith Park ou en treillis dans le décor de Guantánamo, lors du tournage de The Guard (3), en 2014.

Enfant de la balle, fille d'un producteur-régisseur et d'une scripte-scénariste, elle a grandi à Woodland Hills, dans la banlieue de Los Angeles. Malgré son anxiété, qu'elle a longtemps jugée "incapacitante", c'est là, dans la vallée de San Fernando, qu'elle s'inscrit à l'atelier casting ouvert par le père d'un camarade de sa classe de CE2.

Une fille normale, une bonne copine, pas déconnectée des réalités, avec qui on peut parler de tout.

Une quinzaine de films plus tard, elle accède à la notoriété à 18 ans dans le rôle de Bella Swan, une lycéenne romantique néogothique amoureuse d'un vampire, dans la saga Twilight(4), adaptée des romans de l'écrivaine mormone Stephenie Meyer.

À la surprise des K-Stew (ses fans, dans le même esprit que les Beliebers, Swifties ou Directioners), elle voyage ensuite entre blockbusters et film d'auteurs, Amérique et vieux continent, premiers rôles et apparitions, robes à strass et vieux T-shirts, pratiquant avec habileté la science des opposés et cherchant à préserver son indépendance malgré la pression de la machine hollywoodienne.

2/3

Le charme plus que la perfection

Lauren Dukoff

"Une fille normale, une bonne copine, pas déconnectée des réalités, avec qui on peut parler de tout", décrit la comédienne Sigrid Bouaziz, sa partenaire dans Personal Shopper, d'Olivier Assayas, en 2016. Du genre à m'inviter dans sa chambre et me faire monter dans sa voiture pour se rendre à des soirées, lors de la présentation du film au Festival de Cannes, en 2016. Et sa garde rapprochée ? Des jeunes gens sympas, de sa génération."

À côté des éclatantes, des brillantes, des glossy, des fun et des parfaites, Kristen Stewart incarne une bouffée d'air face aux injonctions, visant le charme plutôt que la perfection. Habituée du Palais des festivals, dont elle monte les marches pieds nus en 2018 pour protester contre l'obligation de porter des talons, elle n'est pas à l'abri de retâter du red carpet, en mai prochain avec Crimes of the Future, le nouveau film de David Cronenberg (5) .

Ce dernier lui a offert le rôle de la petite amie d'un "performer" (Viggo Mortensen) qui ablate et transforme ses organes, dans un monde où les humains ont appris à vivre sans enveloppe corporelle, débarrassés de la douleur physique.

De Stewart, il dit qu'elle est une "Ferrari" – un compliment de la part du réalisateur canadien de Crash, fasciné par notre devenir machine, sans savoir que l'actrice a fait ses débuts dans une campagne pour Porsche.

"Je ne suis pas une show-man typique ", a-t-elle souvent dit, incapable de présenter un soda ou quoi que ce soit d'autre.

Vivre à l'instinct

À la limite de l'imprudence, elle choisit ses rôles à l'instinct, parfois aveuglée par une scène prometteuse, en dépit de tout le reste. Au fil de ses dernières interviews, elle estime avoir tourné cinq bons films, soit 10 % de son travail. Le reste du temps, sur les tournages qui flanchent, elle se donne deux options : poser une bombe ou progresser aux mots croisés.

Parmi ses réussites, elle compte les jours tournés sous la direction du Français Olivier Assayas. "Habituée à fréquenter les plateaux américains où tout est marqué et millimétré, elle était surprise par la liberté qu'il nous laissait, c'était quelque chose qu'elle ne connaissait pas", se souvient Sigrid Bouaziz.

La rencontre avec Assayas remonte à 2014 : Stewart refuse le rôle de la starlette dans Sils Maria et le convainc de lui donner celui de Valentine, l'assistante d'une comédienne de renommée internationale.

Son choix, comme une riposte à sa condition d'idole des adolescentes, lui vaut d'être la première actrice américaine à recevoir un César.

3/3

Kristen Stewart, réalisatrice

Lauren Dukoff

Suivront Personal Shopper et, l'an dernier, le tournage de la minisérie Irma Vep, dans lequel elle tient un petit rôle. 2022 se présente comme une année importante.

Il y a la nomination à l'oscar mais aussi la concrétisation d'un projet de longue date : d'ici quelques mois, Stewart réalisera son premier long métrage adapté du best-seller La mécanique des fluides (The Chronology of Water), les mémoires de Lidia Yuknavitch : une jeune nageuse bisexuelle, fille d'une mère alcoolique et d'un père qui a abusé d'elle sexuellement, devient sujette à diverses addictions mais parvient à entrer, grâce à la natation, à l'université, où elle participe à un atelier d'écriture.

Je vais écrire le meilleur "putain" de rôle féminin.

Du lourd. Porteuse du projet depuis 2018, Stewart a vécu trois semaines dans une camionnette dans l'Oregon auprès de l'auteure et ne cache pas son enthousiasme : "Son style est tellement physique et si férocement féminin, expliquait-elle en janvier dernier à Nicole Kidman dans le cadre d'une interview de Variety. Je vais écrire le meilleur 'putain' de rôle féminin… un rôle que je veux tellement mais que je ne jouerai pas."

Et, à Cronenberg, en décembre 2021, dans Document Journal : "On voit toujours les garçons se branler dans une chaussette. J'adore American Pie, que j'ai découvert à 12 ans, mais les filles n'ont jamais vraiment été autorisées à avoir un corps au cinéma. J'ai très envie de faire un film sur le passage à l'âge adulte qui les considère vraiment."

Plus crue, dans The New Yorker, en novembre dernier : "Je veux faire quelque chose qui va puer et être horriblement embarrassant, mais aussi vous faire mouiller et être vraiment honnête."

Alors qu'elle a choisi son actrice en toute discrétion, son moodboard s'épaissit un peu plus chaque jour. Au fil des pages : une photo d'enfance de Yuknavitch et de sa sœur, des images de sang, de piscines et d'appartements miteux des années 70, la mangrove de la rivière Ichetucknee, en Floride…

Si son ambition formelle a quelque chose à voir avec la prose viscérale des mémoires de l'auteure, elle révèle surtout le goût de Stewart pour l'expérimentation. En 2017, dans le cadre de son premier court métrage, Come Swim, le voyage mental d'un homme noyé dans son chagrin présenté en avant-première au Festival de Sundance et à Cannes, elle publie un article scientifique sur le site de la bibliothèque de l'université Cornell.

Coécrit avec un ingénieur des effets spéciaux et son producteur, le texte aborde le "Neural Style Transfer", une intelligence artificielle qui lui a permis de donner à son image vidéo le style impressionniste d'une de ses peintures représentant un homme au cœur brisé sous l'eau.

Poète et snipeuse

La peur de Stewart est aussi tout un poème où cohabitent : l'ampoule du Guernica de Picasso, le logo du groupe de punk hardcore Black Flag, un "swim" enserré dans une flèche, le symbole de l'infini, "L.A.", "one more time with feeling", un domino…

Ce faisceau d'indices plein de mystères rappelle ses débuts de poétesse dans un numéro de Marie Claire États-Unis, en 2014 : "My Heart is a Wiffle Ball/ Freedom Pole" (Mon cœur est une batte de baseball/Pôle de la Liberté), titrait-elle, pour se remettre du scandale Rupert Sanders et de sa rupture avec Robert Pattinson.

En réalité, Stewart n'est pas si lyrique. À la différence d'un certain nombre d'actrices de sa génération, qui dispensent des discours mélodramatiques au micro de l'ONU ou autres tribunes engagées, elle agit comme une snipeuse.

 "Je ne compte plus les fois où j'ai sauvé des maquilleuses, glisse-t-elle pendant l'affaire Weinstein lors de la soirée des Elle Women in Hollywood Awards, en octobre 2017. Parce que cela arrive aussi aux maquilleuses, aux assistantes caméra interpellées par des 'Hey, baby'. Ça se passe à tous les niveaux."

Je ne veux pas être un modèle.

Ou la même année, lors d'une émission du Saturday Night Live : "Je suis tellement gay", lance-t-elle en réaction à une série de tweets de Donald Trump écrits quelques années avant son élection (entre autres : "Robert Pattinson ne devrait pas se remettre avec Kristen Stewart. Elle l'a trompé comme une chienne et elle le refera. Il peut trouver bien mieux.").

"Rien ne me rend plus heureuse si cela peut aider les gens, livre-t-elle aujourd'hui. Mais je ne cherche pas à mettre en avant ce genre de choses… Je ne veux pas être un modèle. Ce serait ridicule car ma démarche n'est pas proactive."

Après le petit Robert, son cœur s'est épris de la chanteuse et actrice française Soko, de la mannequin Stella Maxwell, de la styliste Sara Dinkin, de la productrice d'effets visuels Alicia Cargile et, plus récemment, de la scénariste Dylan Meyer, qui a notamment travaillé sur le film Netflix Moxie ! – l'histoire d'une ado timide qui s'élève contre le sexisme au collège.

Les deux femmes viennent d'ailleurs de se fiancer et collaborent à un projet de série dont elles ont écrit le premier épisode en dix jours : "C'est comme si on s'était découvert un 'super cerveau'", s'est enthousiasmée Stewart.

La cause LGBTQIA+ est aussi au cœur d'un autre projet : la conception d'une téléréalité gay de chasse aux fantômes présentée comme "une aventure paranormale dans un espace queer". Depuis, sa chère et tendre l'a baptisée "My hard working princess".

Une vraie bosseuse, qui bat froid les baguettes magiques.

1. Dans Seberg, de Benedict Andrews, 2019, avec aussi Yvan Attal, Gabriel Sky…

2. De Floria Sigismondi, 2010, avec aussi Dakota Fanning, Michael Shannon…

3. De Peter Sattler.

4. De Catherine Hardwicke, 2008, avec aussi Robert Pattinson, Billy Burke…

5. Avec aussi Léa Seydoux… Date de sortie en salle non encore communiquée.

Cet article a initialement été publié dans le magazine Marie Claire n°836, daté mai 2022.

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