Téléphoner en haut-parleur dans le métro, participer à une 'visio' au milieu d'un wagon de TER, profiter de sa playlist sans écouteurs dans le tram : les incivilités sont devenues monnaie courante dans notre quotidien - et dans les transports en commun - dégradant notre psyché, contaminant nos trajets et nous mettant de mauvaise humeur pour le reste de la journée.

"Des manquements au civisme ordinaire et conduites anodines qui empoisonnent la vie quotidienne”, écrit le sociologue et professeur à Science Po Julien Damon, pour Slate. Mais d'après Evie Rossetenseignante chercheure en sciences cognitives à l'Anglia Ruskin University de Cambridge (Angleterre), les incivilités s'assimilent plutôt "à la perception d’un manque d’attention envers les autres".

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Un ressenti personnel qui suggère - en règle générale - la non-intentionnalité de faire du mal à autrui. Toutefois, les incivilités restent "des situations d’intrusion d’éléments privés dans l’espace public”, continue le sociologue pour Slate. Et elles viennent abîmer notre santé mentale alors qu'elles sont devenues quotidiennes.

Mais d'où viennent-elles et comment ne plus les laisser nous empoisonner ?  

Incivilités : entre biais de négativité et inconscience de nos comportements 

Tout d'abord, d'après Evie Rosset, plusieurs catégories d'incivilités existent.

"Il y a les incivilités plus conscientes et celles dues à la négligence. Les gens qui parlent fort au téléphone en sont un exemple classique. On est tellement intéressé par ce que nous dit la personne, qu'on en oublie complètement le reste. Personne ne pense être incivil, on pense toujours être respectueux. Les incivilités s'expliquent par le fait d'être dans son monde. On donne l’impression qu'on manque de respect mais ce n'est pas intentionnel".

L'enseignante chercheuse évoque alors, un simple biais cognitif et pas forcément une explosion des incivilités - même si un sondage Transilien SNCF Voyageurs pour Île-de-France Mobilités, relayé par France Bleu en novembre 2023 indiquait que "8 Franciliens sur 10 ressentent une gêne due aux incivilités dans les trains", (comme monter dans une voiture pleine en poussant, téléphoner bruyamment, mettre les pieds sur la banquette, et ne pas céder sa place à une personne prioritaire) -.

"L'être humain est doté d'un biais de négativité : on fait davantage attention à ce qui est négatif. Cela date de nos ancêtres, ça fait partie de l’ADN. Par définition on va plus remarquer les incivilités que les civilités. Et c'est traduit et amplifié par les médias, faits par des êtres humains eux-mêmes biaisés. On montre beaucoup plus ce qui va mal que ce qui va bien", explique l'experte.

Si nous semblons nous focaliser naturellement sur les aspects négatifs de notre quotidien, la spécialiste en sciences cognitives insiste sur l'aspect involontaire de ces comportements.

"Nous sommes des grands enfants qui ne veulent pas faire de mal. Chacun fait de son mieux et on n'y arrive pas toujours. Généralement, l’être humain veut faire du bien aux autres, parce que cela procure des émotions positives. Et quand on ne fait pas du bien aux autres, c'est plus par inattention que par méchanceté". 

Des conséquences sur notre santé mentale et notre quotidien

Néanmoins, c'est parce que ces incivilités nous marquent profondément que nous avons la sensation de les voir partout… et de plus en plus.

"Ces fragments d’incivilité sont anodins, ils ne mettent pas en péril nos vies, ils viennent juste fragiliser nos nerfs", dénonce la philosophe Marie Robert, dans un post Instagram où elle explique avoir été victime d'incivilités dans un train. 

Des attitudes qui viennent abîmer le bien-être personnel et collectif, et l'idée que nous formons une communauté. "L’incivilité dans sa remise en cause des systèmes de valeurs individuel ou collectif, crée une atteinte morale et peut être vécue comme une agression à soi ou au groupe", précise, aux Echos, Lucie Eulalie, formatrice en gestion et prévention des incivilités.

Des mini-attaques qui détériorent notre psyché, alors que nous avons l'impression d'être quotidiennement agressé.e par autrui.

"C'est assez épuisant. Et ceci s'explique par le fait que l'être humain ne fait pas la différence, dans son cerveau, entre un proche et quelqu’un qu'il ne connaît pas. Si je suis victime de micro-incivilités dans les transports, mon cerveau ne sait pas que je ne connais pas ces gens. Nous sommes des êtres sociaux avec un biais de négativité : je reste concentrée sur ce qu’ils font et si c'est négatif, je maintiens davantage mon attention dessus", détaille l'enseignante chercheuse. 

Pour s'en libérer, relevez quotidiennement les civilités 

Véritable révolution pour les interactions sociales, les réseaux sociaux nous poussent aussi à occulter le ressenti et le vécu d'autrui.

"L’utilisation à outrance des nouvelles technologies simplifie la vie quotidienne tout en nous éloignant et en rendant plus difficile la relation avec les autres", se désole l'experte auprès des Echos. Ainsi, comment préserver le bon vivre-ensemble et ne plus laisser ces comportements nous contaminer l'esprit ? 

La spécialiste Evie Rosset propose, elle, de court-circuiter notre cerveau et notre biais de négativité en nous focalisant sur le bien

"Pour contrebalancer, essayez de remarquer, de faire attention à toutes les civilités. Trouvez tout ce qui est bon, trouvez la bonté. Ce peut être des amis qui rigolent, une dame qui sourit à un bébé, quelqu’un qui aide à porter une poussette. Quand on fait un petit effort, on peut mettre ces lunettes et chercher des signes de bonté. Et alors que nous sommes, en tant qu'être sociaux, sensibles à ce que font les autres, de la même manière que l'on sera plombé par les incivilités, on sera aussi boosté par la bonté des autres", propose l'experte.

Pour cela, rien de plus simple : "lors de votre prochain trajet en transports, pourquoi ne pas essayer de trouver trois choses qui montrent le bon côté de l’être humain ? Trois interactions positives entre les gens", appuie-t-elle. Afin de, comme l'espère la philosophe Marie Robert à la fin de son post Instagram, "pratiquer ensemble l’art délicat de nos divergences".