Après les doulas de naissance, voici celles de la fin de vie. Aussi appelées "thana doulas", elles sont formées pour faciliter l’ultime étape de l’existence ; celui que notre peur collective de la mort relègue en zone grise.

"Avant, nous étions entourés par les voisins et les membres de la famille. Les doulas pallient la distension des liens créée par le mode de vie contemporain", explique Marie-Christine Laville, directrice de l’institut Deuils-Doulas de fin de vie, l’unique organisme de formation du genre dans l’Hexagone. "Plus la personne est isolée, plus notre présence peut être utile".

L’ancienne éducatrice spécialisée a accompagné plusieurs de ses proches mourants depuis son plus jeune âge. "J’aurais bien eu besoin d’une doula à ces moments-là ; d’une personne ressource à même de nous guider, nous parler, et même prendre le relais pour qu’on souffle un peu", dit-elle.

Vidéo du jour

Si la professionnelle se réjouit que la France propose aujourd’hui des soins palliatifs de qualité, elle souligne le besoin réel d’un accompagnement émotionnel, psychologique et même spirituel, entendu au sens large. "Nous ne sommes pas une secte. Notre approche est laïque, sans confession. Nous insufflons simplement de l’humanité, cultivons des échanges autour du sens de l‘existence. Mieux, plus on accompagne la personne au seuil de sa vie, plus elle pourra s’apaiser, dire des choses qui lui sont essentielles".

Apprendre à parler librement de la fin de vie

"Mon objectif est d'instaurer une relation de confiance afin d’évoquer la mort en toute liberté, quel que soit votre âge", explique Delphine Mottais-Dvorak. La doula reçoit tous ces mots et ces émotions qui n'arrivent pas à se dire ailleurs, mais aussi les gênes ou les douleurs qui nous embarrassent.

Et d’insister sur les difficultés omniprésentes à communiquer sur la fin de vie. "Certaines sont entourées mais se sentent pourtant seules. Elles peuvent notamment être confrontées à une forme de déni de la part des proches", décrit-elle. L’envie d’évoquer la mort est là, mais on n’ose pas. On craint d’effrayer ou de faire de la peine aux enfants pourtant devenus adultes. "L’accompagnement offre un espace pour parler de tout, sans tabou ; il aide à partager ses envies, ses besoins", évoque la doula. "Pas question de se substituer à la famille. Nous aidons à faire le lien, à garder du vivant dans les relations".

Quand les personnes en fin de vie ne sont plus embrassées, touchées, "elles se sentent mortes avant d’être mortes".

"Nous avons la chance en France d'avoir des soins palliatifs bien développés, avec une gestion de la douleur qui est au point. En soutien, nous pouvons aider à harmoniser sur le plan émotionnel, atténuer l'anxiété ou la peur", affirme la doula Noémie de Mul. "Cela évite un état de crispation susceptible de faire durer de manière désagréable la fin de vie. Finalement on n'est pas très loin de l'accouchement ; on essaye d'apporter de la sérénité dans le passage". 

D’après, Delphine Mottais-Dvorak, quand les personnes en fin de vie ne sont plus embrassées, touchées, qu’on ne leur parle plus, "elles se sentent mortes avant d’être mortes". "On ne se contente pas de parler, écouter ou tenir la main. On peut aider à cheminer intérieurement, ou ensemble. Permettre de se dire au revoir ou qu’on s’aime, pardonner ou se pardonner", illustre Marie-Christine.

Décéder sereinement permet à la famille de mieux vivre son deuil ; la thana-doula peut d’ailleurs soutenir ceux qui restent dans leur traversée de la douleur, de la tristesse, afin qu’ils avancent malgré tout. 

Soulager les inconforts et aider dans les démarches 

Grâce à sa formation initiale en naturopathie, Noémie de Mul apporte aussi du soulagement à certains inconforts physiques et émotionnels.

"Nous ne proposons aucune prestation d'ordre médical, mais les pratiques douces peuvent compléter les traitements en cours", précise-t-elle. Quand la personne est déjà inconsciente, la pro pratique par exemple le toucher-massage "car l'individu peut parfois percevoir ces sensations même dans l'inconscience. Tout le monde n'est pas forcément à l'aise avec un corps en fin de vie".

Jusqu’aux derniers instants, la thana-doula peut conseiller la personne en fin de vie sur les démarches administratives, certains choix et décisions à prendre, être garante du respect des dernières volontés, organiser une cérémonie, un café-deuil, des veillées.

"Le parcours n'est jamais le même ; cela dépend bien sûr de la maladie qui occasionne le décès mais aussi de la personnalité et du temps qu'on aura pu partager avant la fin de vie", note Noémie le Mul. Certaines personnes la contactent suffisamment tôt pour pouvoir anticiper beaucoup de choses, en exprimant notamment d’éventuelles envies ou besoins. "Certains ont à cœur de manger quelque chose de particulier, ou de voir un lieu, quelqu'un, de réaliser quelque chose. C'est chouette de pouvoir s'offrir cela", sourit-t-elle.

Les proches aussi ont besoin d’attention

Parfois, c’est l’entourage du mourant qui sollicite les services de la thana-doula. D’aucuns ont besoin d’aide dans le processus du deuil.

"Les premières personnes que j’ai accompagnées dans le processus du deuil étaient des jeunes touchés de près ou de loin par l’attentat du Bataclan en 2015", se souvient Marie-Christine Laville. D’autres veulent s’appuyer sur une personne de confiance qui puisse prendre le relais.

La thana-doula peut alors conseiller la famille, les informer, les orienter dans leurs choix ; échanger autour des craintes et angoisses de la personne en fin de vie. "Nous mettons de la douceur, de la fluidité dans ces moments éprouvants. Si la personne sur le départ se sent mal, l'entourage se sent mal aussi, et vice-versa. Nous faisons en sorte que tout le monde se sente apaisé", explique Noémie Le mul.

"Les proches n'osent pas forcément toucher ce corps qui n'est plus tout à fait le même, jusqu'à sa couleur ; je peux travailler avec les huiles essentielles, en massage, diffusion ou en olfaction, quand il n'y a pas de contre-indication".

Être présente, de jour comme de nuit

Parce que "la mort vient rarement dans les heures ouvrées", Noémie de Mul propose une formule de "mise à disposition" inédite :  son camion spécialement aménagé lui permet de se garer face au domicile où elle est sollicitée, pendant plusieurs jours si besoin.

"Je peux faire un accompagnement en visio, ou venir sur place rapidement, à la demande. On peut m'appeler de jour comme de nuit, par exemple pour changer la personne en fin de vie", explique l’accompagnante. Parfois, on ne lui demande pas grand-chose, mais sa présence rassure la personne mourante et ses proches.

"Les services d’Hospitalisation à Domicile (HAD) peuvent être très réactifs, mais n’arrivent pas forcément dans la demi-heure. Par ailleurs, il faut avoir anticipé la situation et rempli un dossier en amont", détaille la pro, dont 95% des clients partent d’un cancer. "Dès que l’oncologue évoque les soins palliatifs, mieux vaut déposer un dossier d’HAD. Il est temps aussi de s’interroger sur ce dont on a envie pour la suite, et envisager les différentes situations dégradées que l’on pourrait affronter", conseille Noémie de Mul.

Un soutien alternatif, complémentaire au système de santé

Pour Sue Phillips, thana-doula et Vice-Présidente de l’Association canadienne de fin de vie, mourir n’est pas un évènement ; elle peut être un parcours en soi et mériterait même d’être abordée bien en amont de la maladie.

Comme elle l’explique dans un entretien donné au Conseil de Soins Palliatifs Mac Gill, consulter une doula peut alors contribuer à clarifier nos croyances et nos valeurs, le lieu où nous voudrions mourir, la manière.

Bien des démarches en amont sont plus faciles à faire quand on se sent encore relativement bien. Aux personnes mal à l’aise avec le terme "doula de fin de vie", elle conseille de parler plutôt de "soutien alternatif en phase de maladie limitant l’espérance de vie". Au bout du compte, l’objectif de ces professionnelles est de faire partie prenante du cercle de la santé. "Tout le monde mérite d’avoir une doula", estime la spécialiste qui exerce en Ontario.

Il est urgent de développer du soutien non médical pour combler ses lacunes émotionnelles, pratiques et spirituelles.

Le système de santé se concentrant surtout sur les soins médicaux, il est urgent, d’après elle, de développer du soutien non médical pour combler ses lacunes émotionnelles, pratiques et spirituelles.

Aux États-Unis et au Canada, cette profession est reconnue à part entière, à telle enseigne que les thana-doulas peuvent intervenir dans les hôpitaux au même titre que les aide-soignantes. En Angleterre aussi, elles ont une place plus officielle qu'en France, notamment grâce au travail de Felicity Warner. L’ancienne journaliste a monté l’école "Soul Midwives" (sage femmes de l’âme), pour donner amour et dignité aux mourants. 

En France comme dans le reste de l'Europe, des formations ont été lancées par la Suisse Rosette Poletti, une infirmière en soins généraux et en psychiatrie qui a suivi des travaux de recherche sur le sujet aux Etats-Unis. L’Hexagone comptent environ 70 professionnels en 2023, dont une poignée d’hommes.

"Nous avons aussi des promotions en cours de formation en Belgique. Certains profils s’engagent dans le cursus pour être à même de soutenir leurs proches ou pour mieux accompagner leurs patients, dans les professions psy et médicales", détaille Marie-Christine Laville.

Des besoins qui explosent en France

Le nouveau métier fait son chemin en toute discrétion dans l’Hexagone, où la population continue de vieillir et où l’on annonce, pour l’avenir, davantage de solitude chez les personnes âgées. Selon l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie 2023, la part des personnes âgées de 75 ans et plus a doublé au cours des 30 dernières années. Le nombre de décès a augmenté de près de 20 % au cours de la même période, ce qui représente près de 100 000 personnes en plus à accompagner en fin de vie.

"Quand je travaille en hôpital, c’est sur la demande des familles", précise Noémie Le Mul. "Les unités de soins palliatifs ne connaissent pas encore notre existence ; nous aurions tous intérêt à tisser un réseau commun".

La praticienne s’est ainsi rapprochée d’une unité de soins palliatifs pour proposer ses soins de supports auprès des patients chez qui ils interviennent. À l’étude, une convention qui leur permettrait de prendre en charge une partie de la rémunération.

"J’ai entendu parler de ces doulas dans des podcasts mais je n’en ai jamais rencontré dans des hôpitaux et en soins palliatifs", remarque la Dre Marjorie Dervaux. La jeune médecin, qui a consacré sa thèse aux décès à domicile des patients atteints d’un cancer en France, note qu’en pratique clinique quotidienne, la majorité des patients formulent le souhait de retourner à domicile, afin d’y poursuivre leur prise en charge, ou avec le souhait explicite d’y décéder.

Rendre son humanité à la fin de vie

La médecin évoque notamment une étude japonaise récente sur les bienfaits de la fin de vie à domicile : l’interrogatoire de proches endeuillés révèle que les patients toutes pathologies confondues décédés chez eux ont été plus à même de vivre "une bonne mort" que ceux décédés à l’hôpital. Ils ont eu la capacité d’avoir pu respecter le choix du lieu favori du patient, et ont pu ressentir un resserrement des liens personnels entre les membres de la famille.

Les proches ont également décelé auprès du patient plus d’espoir et de bien-être, une plus grande confiance vis-à-vis du personnel soignant, et le sentiment d’avoir été traité avec respect pendant les soins.

"75 % des gens veulent mourir chez eux", abonde Marie-Christine Laville. Dans la réalité, 53% des Français décèdent à l’hôpital. Le lancement en 2021 du Plan national 2021-2024 pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement de la fin de vie témoigne de la volonté des pouvoirs publics de se saisir du sujet. En 2022, on recense 384 chercheurs et cliniciens travaillant dans le domaine de la fin de vie et des soins palliatifs en France. 56 projets de recherche et 90 thèses sont en cours. La dynamique embrassera-t-elle le savoir-faire des thana-doulas ?