Les hypersensibles et l’amitié : "C’est douloureux d’être constamment dans la retenue pour ne pas effrayer l'autre"

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hypersensibilité et amitié
Ils ressentent le monde intensément et leurs relations n'y coupent pas. En amour, comme avec leurs amis, les ultra-sensibles s'investissent tant qu'ils sont parfois heurtés par une réciprocité moindre. Entre mécanismes de protection, anxiété et liens forts, comment conjuguent-ils hypersensibilité et amitiés ? Témoignages.

L'hypersensibilité, ses contours flous et ses ressentis physiques et émotionnels décuplés, Clémence, Florian* et Émilie la vivent au quotidien. Et si certain.es embrassent ce pan de leur personnalité plus que d'autres, tous témoignent d'un rapport aux autres complexe. 

Bien qu'en France, 25 à 30% de la population française ressentirait le monde puissance dix, la haute sensibilité est encore mal interprétée, vue comme une faiblesse. Et alors que celles et ceux que l'on qualifie de constamment "à fleur de peau" doivent apprendre à l'apprivoiser pour mieux la vivre, l'équation se corse quand d'autres s'y ajoutent et que l'hypersensibilité doit cohabiter, dans une amitié, avec une personnalité qui ne v(o)it pas le monde de la même façon.

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"La personne ultra sensible est très à l'écoute, très empathique, serviable, généreuse, elle donne de son temps, veut faire bien... Mais souvent, elle n'a pas la même implication en retour. Les relations amicales peuvent alors être aussi précieuses que dévastatrices", acquiesce le psychanalyste et co-auteur de Ultrasensibles, une histoire de famille (Ed. Vuibert), Saverio Tomasella.

L'hypersensible et le love bombing inconscient

Clémence, 33 ans, se souvient que dès petite, elle s'est vue attribuer la casquette de la "dramatique".

"J’avais du mal à gérer mes émotions, je pleurais beaucoup, je me vexais vite... C'était des choses que l'on me reprochait, mais moi je ne comprenais pas pourquoi le monde autour de moi me trouvait trop, en encore moins pourquoi les autres ne réagissaient pas comme moi", confie la gérante de café.

Alors forcément, à l'heure des premières amitiés de cour de récré, le son de cloche est similaire. La fillette a du mal à se faire des amis et connaît ses premières contrariétés relationnelles. "Tout de suite j’accordais ma confiance, on était les meilleurs amis du monde pour moi. Je faisais du love bombing inconsciemment parce que je m'accrochais à ces personnes tant elles étaient rares pour moi. Mais pour le reste du monde, c’est toujours beaucoup trop".

Pour le reste du monde, on est toujours beaucoup trop.

Au collège, son côté "intense" lui vaut des moqueries et autres messes basses. "Ce n'est pas moi qui était mal à l'aise en amitié, c'était plutôt les autres qui me reprochaient d'être moi. Quand je n'étais pas là, ils discutaient de mon comportement qui pouvait parfois les gêner, mais ne m'en parlaient pas en face, parce qu'ils devaient me penser 'bizarre'". 

Faire le caméléon pour se protéger d'une énième déception

Alors, forcément, se développent, au fil des années, des mécanismes de protection. "Dans ma vingtaine, je me suis beaucoup renfermée sur moi-même, j'étais moins disponible pour les autres, plus froide... Sur le moment, ça a pu créer des ruptures", admet Clémence. 

Aujourd'hui encore, elle parle d'une "lutte" quand une nouvelle potentielle amitié vient frapper. "C’est douloureux d’être d'abord dans la retenue, parce qu'on sait qu'on peut effrayer. Souvent je jauge suivant la personne en face. Si elle me paraît safe je parle de mon hypersensibilité, je déroule le mode d'emploi. Mais généralement, quand je rencontre des gens, je préviens que je suis intense". 

Un côté caméléon qui pèse lourd. "Il m'est arrivée de m'excuser par texto après une soirée où j'avais rencontré une personne avec qui ça avait bien accroché. En rentrant chez moi, je suis redescendue de mon nuage et j'ai eu peur qu'elle pense que j'étais une personne lourde, qui la collait alors que je ne la connaissais que depuis quelques heures", illustre Clémence.

L'anxiété décuplée quand l'amitié change

Le vécu d'Émilie, 33 ans et journaliste dans l'audiovisuel résonne dans les mots de Clémence. Elle aussi se pose toujours "beaucoup de questions".

"Tout est 500 000 fois plus fort avec mon hypersensibilité. Avant, je la voyais comme une ennemie, parce que j’ai beaucoup entendu que j’étais trop intense, trop touchée, que j’avais trop besoin d’être rassurée... Mais je me suis aussi rendu compte que tout ce que je vivais de beau l’était immensément. Le prix à payer de l’immensément beau, c’est parfois l’immensément sombre". 

Des heurts que la jeune femme a connu en amitié, notamment quand elle était confrontée à des personnes qui n'arrivaient pas à se mettre à sa place et pouvaient ainsi interroger l'intensité de ses ressentis face à des situations précises. 

Un changement d’habitude dans une amitié peut rapidement me chambouler, me questionner, me créer de l'anxiété...

"Ça a pu mener à des conflits et des éloignements de ma part. En amitié, l’hypersensibilité peut parfois provoquer du rejet et c’est décuplé, même si ce côté de ma personnalité n'a jamais été l'unique raison d'une cassure. Un changement d’habitude dans une amitié peut rapidement me chambouler, me questionner, me créer de l'anxiété...".

Émilie prend l'exemple d'une amie de laquelle elle s'est éloignée ces dernières années. "Elle a une vie très chargée et on ne travaille plus ensemble, donc forcément, ce n'est plus pareil. Mais, quand tu passes de quelque chose d’intense à quelque chose qui ne l’est plus, c’est extrêmement déstabilisant. J'ai besoin d’être rassurée, mais les mots ne sont pas suffisants". 

"Quand je refusais d'aller en boîte, j'étais vu comme le rabat-joie"

Florian a 26 ans. Lui aussi est hypersensible, même s'il n'est "pas encore à l'aise" pour en parler librement.

"J'ai mis du temps à comprendre. Jusqu'à l'année dernière je ne connaissais pas le terme, c'est une amie qui m'en a parlé. Je pense que c'est de là que vient mon impression de ne jamais être à ma place", confie-t-il. 

Ce sentiment d'être hors-cadre à un fort rapport avec l'amitié chez le jeune homme, qui explique ne jamais avoir trouvé sa "clique" chez les garçons. "Je n'ai quasiment pas d'amis homme, parce que les quelques fois où j'ai développé des amitiés masculines, on me disait que j'en demandais tellement trop que ça en devenait 'louche'. Au collège, on disait que j'étais amoureux de mon ancien meilleur ami", raconte Florian.

Les quelques fois où j'ai développé des amitiés masculines, on me disait que j'en demandais tellement trop que ça en devenait 'louche'.

Auprès des filles, le vingtenaire dit avoir peu à peu trouvé sa place, même si "la relation n'est jamais égale". "C’est fatigant de s’investir constamment, mais on ne peut pas faire autrement. J'ai envie que tout soit bien pour préserver la relation et c'est une chose que les autres prennent pour acquis", soupire-t-il. 

Également sensible aux bruits, Florian note qu'il a dû attendre "longtemps" pour trouver des personnes qui s'enquièrent de son bien-être à l'extérieur. "Quand je refusais d'aller en boîte, j'étais vu comme le rabat-joie", complète-t-il

Émilie aussi témoigne d'une hypersensibilité sensorielle qui n'est pas toujours comprise. "Je fais des efforts. Je vais aller rejoindre mes amis dans un endroit bruyant, mais je ne vais pas rester longtemps. Ou alors je vais me recharger dans ma bulle plusieurs jours avant de sortir avec eux", illustre la jeune femme. 

Le chagrin d'amitié, une douleur inégalée 

Et quand vient la décision de mettre fin à des amitiés inégales, la douleur, elle aussi, est décuplée.

"Les ruptures amicales font trois fois plus mal que les ruptures amoureuses. La blessure reste palpable et chacune des ruptures te fera rebondir sur la rupture d’avant, c'est un cercle infernal", témoigne Clémence.

"On ne peut pas imposer une manière d’être et de faire aux autres, donc forcément il faut parfois couper le cordon. J’ai déjà vécu des ruptures amicales et pour moi c’est une déflagration aussi puissante qu’une rupture amoureuse", appuie Émilie.

Et Saverio Tomasella confirme. "Déjà, dans la haute sensibilité, on ressent 40% des douleurs physiques et morales en plus par rapport aux autres. Vous imaginez bien que le chagrin après une rupture a un impact dévastateur sur l'ultra sensible".

Hypersensibilité : comment être heureux en amitié ? 

Mais alors, les hypersensibles peuvent-ils être heureux en amitié ? Oui, rassure le psychanalyste. "Il faut s'entourer de personnes qui connaissent comment on fonctionne et qui vont s'investir en fonction, tout en communiquant", résume-t-il.

Pour Clémence et Émilie, l'important est, en effet, de dire les choses.

"On sait qu’à un moment on peut être trop pour la personne, donc c’est bien de le dire au début et de demander le mode d’emploi de l’autre. Ça ressemble presque à des conversations de relations amoureuses : se dire qu'on n'est pas dispo émotionnellement à l'instant T, mais qu'on le sera dans quelques jours. Aujourd’hui, l'amitié c’est très intense, alors cela peut être nécessaire", partage la première. 

Et à Émilie d'abonder. "Dire les choses, ça enlève le côté anxiété. Si je sais pourquoi les choses changent ou si je peux expliquer telle réaction parce que la personne me l'a fait comprendre, alors je ne vais pas me poser mille questions. Dire les choses, pour moi, c'est une réelle preuve d'amour, parce que ça me protège de la souffrance inutile", termine-t-elle.

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