A l'arrivée de son premier enfant, Patrice Bonfy était persuadé d’être “hyper impliqué”. Le co-fondateur du média Le Paternel, n’avait pas de difficulté à quitter tôt le travail et pouvait s’en occuper la plupart des soirs de semaine. Très bien, sauf que... “C’est ma femme qui me donnait les instructions sur la manière de le laver, sur ce qu’il pouvait manger et sur les courses qu’il fallait faire. C’était des trucs basiques, mais j’appliquais consciencieusement ce qu’elle me disait”, réalise-t-il après coup.

Cette posture passive, il l’a adopté malgré lui, lorsqu’il a repris le chemin du travail et s’est détaché du quotidien de parent. Le père de deux enfants avait pris un congé “classique” (trois jours à la naissance puis onze jours). Tout se joue les premiers mois, durant lesquels un véritable protocole se met en place autour du bébé et les jeunes parents intègrent de nouveaux réflexes.

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Plus de soins, plus de liens

“Se retrouver seul avec son bébé, savoir s’en occuper, c’est quelque chose qui s’apprend. Il n'y a rien d'instinctif ou de naturel”, explique Laurence Croix, maîtresse de conférences en psychologie clinique et pathologique à Paris X et auteure du livre Le père dans tous ses états. Le Père, les paternités et le patriarcat (Éd. De Boeck Supérieur 2011). Le contact est essentiel : “L'enfant connecte énormément de neurones durant sa première année. Le premier mois, il acquiert la reconnaissance des visages”, explique Malinka Dauverné, auteure du livre Au cœur des premiers liens (Éd. Odile Jacob 2012).

“En parallèle, il développe ses interactions avec la personne qui s'en occupe : vocalises, portage, odeurs”, développe la puéricultrice et psyscothérapeute. Le fondement de l'attachement des enfants se traduit alors par une notion de proximité et de sécurité. “Il va intégrer qu'il a quelqu'un près de lui pouvant répondre à ses besoins si jamais il est dans la détresse, s'il a faim, s'il est mouillé, etc…”, poursuit-elle.

De fait, confirme Laurence Croix, “les soins donnés à l’enfant participent à la création du lien affectif”. Si le temps consacré à l’enfant n’est pas partagé équitablement entre les deux parents, la mère risque ainsi de devenir la figure de référence. Et d’assumer la majeure partie des responsabilités qui accompagnent ce titre.

Quand les mères prennent les rênes

Selon l’auteure féministe Titiou Lecoq, les inégalités au sein d'un couple hétéro se dessinent avant même l’accouchement : “Il y a plein de choses à prendre en charge, qui incombent plutôt à la femme, car liées à la grossesse. Les rendez-vous médicaux, les papiers à envoyer à la sécu....”. Et l’après-délivrance est tout aussi chargé : envoi des déclarations de naissance, premiers rendez-vous chez le pédiatre, recherche d’une assistante maternelle… et les pères, de retour au travail, ne peuvent s’en occuper. “Le mot "congé" est très mal choisi car ça n'est vraiment pas des vacances”, note Malinka Dauverné.

“Durant cette période, tout en récupérant de nos sutures entre deux nuits entrecoupées, nous allons intégrer mentalement tout le nécessaire pour gérer un bébé : le choix d’une nounou, l’achat de vêtements, les rendez-vous médicaux, la préparation des repas” décrit la dessinatrice Emma dans sa bande-dessinée Fallait demander. “Ça induit des habitudes, estime Titiou Lecoq. Il y a des choses toutes simples qui font que, comme la mère a commencé à s’en occuper, elle continue.”

Efficacité et égalité, ça ne va pas ensemble.

Pour les pères, les onze jours actuels ne permettent pas d’instaurer une routine. Les mères préfèrent donc, parfois, garder les rênes, pour aller au plus vite : “On est tellement débordée, qu’il faut faire au plus simple. Puisqu’on a le numéro de téléphone de la pédiatre, on appelle soi-même pour prendre rendez-vous plutôt que de transférer le numéro à son conjoint pour qu’il le fasse, se souvient Titiou Lecoq. Efficacité et égalité, ça ne va pas ensemble”.

Un rythme “si infernal” lors de la reprise du travail des deux parents, “qu’il sera moins épuisant pour nous de continuer à faire toutes ces choses que de batailler avec notre partenaire pour qu’il en prenne sa part”, ajoute Emma dans ses planches.

Une solution pourtant envisageable...

Quand il est devenu père pour la deuxième fois, Patrice Bonfy venait de quitter son emploi. “Ma femme m’a proposé qu’on passe son congé maternité dans une maison de campagne de la famille. C’est là que j’ai vraiment découvert ce que c’était. J'avais une meilleure compréhension des enjeux. J’ai ressenti une forme de déblocage, je n’étais plus dans le rôle d’exécutant dans l’attente d’instructions”, confie le trentenaire. “Sans ça, j’aurais gardé de mauvais automatismes sur le long terme”, avoue-t-il.

La chercheuse américaine Dr. Ankita Patnaik de l’Université Cornell a justement travaillé sur le sujet. Depuis 2006, le Québec a instauré un congé exclusivement dédié au père (ou à la conjointe de la mère), d’une durée de cinq semaines continues. Ankita Patnaik a étudié son impact sur l’implication des pères à la maison.

Résultat, le taux de pères prenant un congé paternité a bondi de 21,5% à 53% entre 2002 et 2010. De plus, leur comportement a changé, ceux qui sont devenus parents après 2006, ont passé en moyenne une demi-heure de plus chaque jour à la maison et consacré 23% de temps supplémentaire aux travaux ménagers. La chercheuse note même que cette réforme “a eu un impact important et persistant sur la dynamique hommes-femmes au sein des ménages, même des années après la fin du congé”.

Patrice Bonfy, qui souhaite que les pères passent plus de temps seuls en charge avec leur enfant, en est persuadé : “Les congés de paternité prolongés transforment la répartition des tâches dans le foyer sur des dizaines d’années”. Y a-t-il encore des sceptiques dans la salle ?