Colonies de vacances : premiers feux de l'amour

Par Anne-Marie KrausJuliette HochbergMaëlys Peiteado
Couples d'ados vu par les mono
À quoi ressemble la séduction en colo, espace "clos" et hors du temps ? Les moniteurs de colonies de vacances sont les témoins privilégiés de ces premiers émois amoureux. Comment composent-ils avec ces ardeurs adolescentes ? Témoignages croisés.

Le temps d’un séjour aux températures souvent estivales, loin des parents, les adolescents paradent, se cherchent et se trouvent. Un véritable "chaudron d’hormones", encouragé par une proximité constante dans un espace clos. À peine le top départ des vacances donné que déjà le jeu se met en place : "Le groupe prenait le train à 8 heures gare de Lyon. Une fois arrivé dans les Alpes à 16h30, deux couples s’étaient déjà formés", se souvient Belkacem Belarbi, directeur de colonie. 

L'amour sous pression 

C’est que le temps est compté, les histoires ont une date de péremption prédéfinie. L’aspect course contre la montre renforce d’autant plus "l’urgence" de trouver quelqu’un avec qui papillonner. Les "habitués qui maîtrisent les codes, ont la tchatche facile, repèrent leur ‘cible’ rapidement", a observé Léo d’Imbleval, 26 ans. Le moniteur d’une colonie sportive se rappelle d’un "beau-gosse qui avait enchaîné 12 amourettes pendant un séjour de 15 jours…".

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Ils veulent aller à mille à l'heure, se disent "je t'aime" au bout de deux heures.

"La colo, c’est un arrêt dans le temps, un moment de partage intense. Les émotions et sentiments sont décuplés", décrit Aurélie Rhetiere, 25 ans, animatrice et assistante sanitaire en colonie. C’est pour cela, selon Léo, qu’"ils veulent aller à mille à l'heure, se disent "je t'aime" au bout de deux heures. Des couples vivent une espèce d'amour passionnel pendant une semaine, puis se rendent compte qu'il va falloir se quitter parce qu'ils vivent à 800 bornes l'un de l'autre. C’est très dur, ils ne maîtrisent rien en fait", souligne-t-il encore. Il s’amuse de cette ambiance "télé-réalité" : "Tout est intense, les cliques de mecs et de meufs se forment, les problèmes concernent plusieurs personnes et les potes arrangent les couples entre eux."

Pris malgré eux dans ces "feux de l’amour", les moniteurs peuvent aussi y participer. Avec le recul, Maëva Benaiche, ancienne directrice d’un mouvement de jeunesse, se remémore un jeu "un peu bête" qui consistait à annoncer en chanson, au petit-déjeuner, les bisous qui avaient été échangés la veille. "La peur de ne pas figurer dans les "élus" du lendemain était présente". Des telles scènes révèlent qu’il y a d’un côté la "belle-gosse" arrivée première à la course de kayak et séduite par le guitariste (et ses trois accords de Francis Cabrel), et de l’autre, "les timides", décrit par Léo, "qui vont attendre la boum du dernier jour pour se jeter à l'eau."

Jusqu’où tolérer et comment prévenir ?

Au milieu de toute cette effusion, les moniteurs sont parfois un peu démunis. Ils n’ont pas vocation à jouer les policiers, mais préviennent d'emblée. “Il y avait cette petite phrase qu'on leur disait tout le temps au moment des consignes en début de voyage, se souvient Dan Azoulay, animateur de plusieurs séjours. Nous sommes venus à 135, on ne repartira d'ici ni 134, ni à 136." Vous l'avez ? 

“Sur le plan de la loi, il y a un vide juridique”, explique Belkacem. Les relations sexuelles ne sont “pas interdites, mais pas autorisées” non plus. D’autant plus complexe à gérer pour les encadrants, qui naviguent à vue. "C'est la question la plus compliquée et la plus taboue dans monde de l’animation d'ados”, estime Aurélie. Certains moniteurs se cachent derrière le fait que la mixité est interdite dans les chambres et les dortoirs. Quid des relations homosexuelles ? Aurélie, à la double casquette d’animatrice et d’assistante sanitaire, note aussi que les encadrants sont dans l’obligation de mettre des préservatifs en libre service à l’infirmerie et de faire de la prévention. Elle pointe le paradoxe : “Comment faire pour que cela ne passe pour un encouragement au passage à l’acte ?”

Nous sommes venus à 135, on ne repartira d'ici ni 134, ni à 136.

Le dialogue est souvent la clé. "Quand on voit que ça commence à se chauffer, se "galocher" en continu, on leur explique discrètement que ça n'est pas possible. On accepte les bisous, mais se rouler des gros patins avec la langue qui dépasse de tous les côtés dès le petit-déjeuner, c'est non ! ”, raconte Léo, qui a déjà dormi “dans un couloir quand [il] soupçonnait un couple qui venait de se former” de vouloir se retrouver la nuit.

Une autre parade : leur changer les idées. “Cela devenait l’enfer car nous devions toujours les surveiller, ils avaient tous les hormones en ébullition, raconte Justine S., animatrice l'été, en Corse. Sous les douches, dans les tentes, sur la plage... On ne dormait plus pour essayer de contenir tout ce monde.” Pour les occuper, elle décide d’emmener ces jeunes, qui avaient cet été-là entre 15 et 17 ans, à une séance de cinéma en plein air. Le film ? Les Beaux Gosses, qui parle justement d’un jeune adolescent débordé par ses pulsions. “Avait-on vraiment besoin de les stimuler davantage ?” ironise Justine qui regrette encore cette idée. 

Les monos font du mieux qu’ils peuvent, mais leur vigilance ne suffit pas toujours : “Le dernier soir à 22h30, au moment de la boum, deux ados très amoureux ont disparu. On n’a pas paniqué, parce qu’on s’attendait à ce qu’il se passe quelque chose entre eux. Finalement, on les a retrouvé au petit matin à 6 heures”, raconte Belkacem, qui a encadré plus de deux-cent colonies. “On n’a pas voulu dramatiser, on leur a simplement demandé s’ils s’étaient protégés”. Aurélie acquiesce : “Deux jeunes amoureux qui veulent avoir des relations sexuelles trouveront toujours le moyen d’en avoir. Que ce soit la nuit lorsque les animateurs dorment, lors des temps libres ou même, dans les sanitaires”.

À l'écoute des premiers sentiments

Et les premières amours sont indissociables des premiers chagrins. Sur l'épaule d'un moniteur désemparé, l'ado cherche du réconfort. "On se doit de les conseiller, de les consoler (et ce n’est pas toujours facile). Pendant quelques jours, loin des leurs, nous devenons leurs confidents, interprète Dan. Ce sont "nos" jeunes. Et il est de notre devoir d'endosser ce rôle de grand-frère ou de grande-sœur, de ne pas être seulement ferme."

Ce sont "nos" jeunes. Et il est de notre devoir d'endosser ce rôle de grand-frère.

Quand une complicité s'installe entre les deux générations, des pauses confidences s'organisent, par petit groupe. Un temps nécessaire après une journée et une soirée intenses d'activités, pense Maëva. "Nous avions instauré ce moment calme, de confession, après chaque soirée mouvementée, pour créer un lien particulier et pour qu'ils se sentent soutenus." 

Dans ces moments précieux, le mentor doit jouer le jeu en se laissant aller à quelques confidences : "Pour les aiguiller et les protéger, je leur racontais des anecdotes de ma propre adolescence", raconte Aurélie. Impliquées dans leur mission, Aurélie comme Maëva s'improvisaient parfois Cupidon. La première, "jouait les entremetteuses" entre deux ados, tandis que la seconde leur apprenait à "décrypter les signaux". "Ils ont besoin de savoir s’il y a réciprocité, note Aurélie. Car la peur de l'humiliation et la frustration sont très présentes chez l’adolescent." Et Dan de conclure : "Pour qu'ils puissent s'identifier, il faut faire l'effort de les comprendre." Rien d'insurmontable. Après tout, nous étions tous il y a trois ou trente ans, ces mêmes adolescents.

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