Valérie Zenatti, écrivaine de nombreux livres récompensés tels que Une bouteille dans la mer de Gaza (Éd. L'Ecole des Loisirs, 2005) et En retard pour la guerre (Éd. Points, 2009), a publié en cette rentrée 2024 un nouveau roman, Qui-vive (Éd. de L’Olivier).

Pour Marie Claire, l’artiste des mots et traductrice raconte son chemin vers l’écriture. Et celui de son héroïne Mathilde, insomniaque, bouleversée par les conflits qui s'abattent en Europe.

Un livre d'espoir dans le chaos

Marie Claire : Mathilde, votre héroïne, perd le toucher comme d'autres ont perdu l'odorat pendant la pandémie. Qu'est-ce que cette privation de sensation nous raconte ?

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Valérie Zenatti : Mathilde, c'est quelqu'un qui va bien, mais quand la guerre en Ukraine éclate, elle, la prof d'histoire-géo, doit faire face à l'aphonie de l'histoire. Elle est si percutée par les évènements que ça l'anesthésie. Mais elle va trouver un chemin, avec Leonard Cohen comme fil conducteur, pour traverser le chaos. Et tenter de faire de soi une note juste dans la symphonie du monde.

Quelle place tient justement Leonard Cohen, dont le fantôme habite le livre, dans votre panthéon ?

Pour moi, il est un contrepoint de la violence. Dans Les Âmes sœurs (Éd. de L'Olivier), mon livre de 2010, un de mes personnages dit d'ailleurs : "Je me sens égaré comme une chanson de Leonard Cohen dans un congrès néonazi !".En sa compagnie, on touche au charnel, à l'invisible, à la mystique juive, il incarne la poésie dans un monde désespérant-mais-pas-que, et ce "pas que", c'est l'espace où l'on peut vivre.

Traduire, ça vous oblige à plonger au plus profond d'un texte pour trouver.

Votre héroïne entreprend une sorte de road trip onirique à travers Israël. Vous avez écrit ce roman avant les attaques du Hamas d'octobre 2023. Pourriez-vous écrire aujourd'hui ce même texte, avec cette tonalité lumineuse là ?

Je ne sais pas, car un livre a sa raison d'être au moment précis où il s'écrit. Celui-ci, même lumineux, est aussi tourné vers la catastrophe, avec le souvenir de la guerre de Kippour qui surgit, avec cette perception qu'a Mathilde de Jérusalem : une ville de déchirures. Mais le clair-obscur, oui, est fondamental pour moi et c'est pour ça que je cite en exergue Le Nocturne (Éd. Albin Michel, réédition numérique) de Vladimir Jankélévitch.

En 1942, il écrit ce court texte sur la musique alors qu'on attendrait d'un grand philosophe qu'il écrive, cette année-là, sur le bien, le mal, la liberté. Mais en fait, je crois qu'il veut nous dire que même dans la nuit terrifiante de l'histoire, il y a encore la lune et d'autres échappées possibles.

La figure du grand-père comme cheminement

Votre héroïne découvre un texte énigmatique, commis par son grand-père qui vient de mourir, mais dont elle ne reconnaît pas le style. À l'origine de votre précédent roman, Jacob, Jacob (Éd. de L'Olivier), il y avait une carte postale écrite par votre propre grand-père, alors qu'il était illettré...

Je n'ai connu aucun de mes grands-pères, mais les ai beaucoup rêvés, fantasmés, alors oui, la figure du grand-père est en quelque sorte le premier personnage de fiction que j'ai créé dans mon enfance. Et puis, j'aime ces écrits, comme cette fameuse carte postale, qui se transmettent avec une part d'énigme : douter, se confronter à ce qui vous échappe, ça vous met en mouvement !

Vous êtes traductrice de l'hébreu, notamment des romans d'Aharon Appelfeld. Comment ce travail-là agit sur vos romans à vous ?

Traduire, ça vous oblige à plonger au plus profond d'un texte pour trouver, en français, ce qui suscitera avec un peu de chance les mêmes images que l'original, mais c'est un exercice voué à l'échec : on fait semblant de dire la même chose avec des sonorités différentes. Malgré tout, c'est cette même entreprise qui est à l'œuvre dans mes propres livres : approcher par les mots, le plus justement possible, les images qui surgissent en moi.

Cette interview a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire numéro 857, daté février 2024.