"C'est un peu un hommage à la vieille tante aigrie qui subit une vie de merde", plaisante la réalisatrice pour résumer l'intention de son film Bernadette, diffusé en salle ce mercredi 4 octobre 2023. En consacrant une comédie à Bernadette Chirac, ancienne Première dame sous les deux mandats de son époux Jacques Chirac, Léa Domenach n'a aucune intention de moquer la figure de l'opération Pièces Jaunes.

Au contraire, c'est une femme libre et comique qu'elle a voulu montrer, par-delà son image vieillotte. "Je voulais raconter l'histoire de son point de vue, celui d'une femme, de cet âge-là, dans ce milieu-là, très masculin, qu'est la politique. Pour que l'on rit avec elle, plutôt que d'elle", explique la réalisatrice et autrice. Elle l'assure, "ceux qui en prenent dans la figure ce sont les hommes, pas elle".

Vidéo du jour

Dans le film, celle-ci est mise au placard dès que son mari accède à l'Élysée, plus personne ne la prend au sérieux ou ne la considère, elle génère même une certaine crainte. Alors, la femme politique alors élue en Corrèze décide de reprendre son image en main et gagner en popularité, à la hauteur de ses ambitions politiques.

Une Bernadette Chirac féministe ?

Pour incarner sa Bernadette Chirac, Léa Domenach a choisi Catherine Deneuve (pas mal pour un premier film), qui a d'abord pensé que c'était "une drôle d'idée" puis qui a"adoré le scénario" et rapidement accepté la proposition. Ensemble, elles ont créé un personnage hybride, ni trop Catherine Deneuve, ni trop Bernadette Chirac, pour lequel le spectateur aurait de l'empathie.

"Il rend hommage à une génération de femmes, d'un certain milieu, éduquées, mais à qui tout ce que l'on demandait était de faire un beau mariage et de tenir leur famille alors que d'autres ambitions sont nées en elles, notamment quand elles voyaient leurs propres enfants, et surtout leurs filles, qui grâce à l'époque, elles, avaient des carrières et faisaient ce qu'elles auraient aimé faire. Une génération qui a été incomprise, non considérée, ma génération va maintenant porter un nouveau regard."

Cette femme médiatique, pourtant, Léa Domenach n'en a pas toujours eu une image très flatteuse. "Elle était très populaire et a bercé mon adolescence, sauf que je m'en faisais une idée pas très sympathique, d'une femme conservatrice, un peu aigrie et pas très marrante", concède la cinéaste.

Son point de vue change lorsqu'elle découvre le documentaire Bernadette Chirac, Mémoires d'une femme libre réalisé par Anne Barrère, qui fut sa conseillère en communication : "Elle y parle sans langue de bois, je l'ai trouvée hyper marrante et j'ai estimé qu'il y avait une histoire à raconter car elle esquissait cette idée de revanche, de comment elle est passée de l'ombre à la lumière. On pourrait croire qu'elle n'est pas du tout féministe mais elle l'est devenue, d'une façon qui n'est pas la mienne. Je pense que sa propre histoire lui a fait comprendre le sexisme qui l'entourait. J'ai par ailleurs repris mot pour mot un discours qu'elle a donné à Paris Match propos des femmes sous exploitées en campagne."

Histoire et imaginaire politique

Si le film est très documenté, les premières secondes s'ouvrent sur une scène absurde d'un choeur chantant très sérieusement que certains faits ont été imaginés et qu'il ne s'agit en aucune cas d'un biopic. "Je me suis dit que Bernadette Chirac était un vrai personnage de fiction et surtout un vrai personnage de comédie."

Entre légendes urbaines, indiscrétions de l'entourage et faits avérés, voici ce qui est vrai, ou faux, dans le long-métrage rafraîchissant.

1/5

Bernadette Chirac a voulu redorer son image

Serge BENHAMOU/Gamma-Rapho via Getty Images

Dans le film, Denis Podalydès se mue en coach de vie pour que Bernadette Chirac trouve grâce aux yeux des Français et de son propre personnel. Il fait une étude interne à l'Élysée, faute de moyens pour commander un vrai rapport d'opinion et les résultats sont cruels, la Première dame est jugée rêche, acariâtre et démodée. Pour l'aider, Karl Lagerfeld débarque à l'Élysée et met à jour sa garde-robe Chanel dans une chic scène d'essayages pour un relooking de la Première dame. 

"C'est assez vrai, tout à coup elle essayé de reprendre une place médiatique et elle l'a fait accompagnée de Bernard Niquet [ancien préfet de Moselle et de Lorraine, conseiller technique à la présidence de la République et proche collaborateur de Bernadette Chirac, incarné par Denis Podalydès, ndlr]", assure la réalisatrice. Ce "duo de losers magnifiques qui sont placés au grenier de l'Élysée et qui finissent avec leur bureau et deviennent incontournables", représentent cette ambition réelle qu'a été celle de Bernadette Chirac.

En réalité, explique la réalisatrice, "il n'y a pas eu de sondage interne à l'Élysée pour savoir comment le personnel percevait la femme de Jacques Chirac. Pareil pour le grenier, ça je l'ai inventé". 

2/5

Jacques Chirac dans les bras de Claudia Cardinale à la mort de Lady Diana

Thierry Orban/Getty images

Le film consacre un passage entier à un épisode marquant qui a façonné le mythe Chirac et notamment les infidélités qui lui sont prêtées. Son épouse a régulièrement subi le rôle de la femme cocue mais un soir de 1997, il semblerait avoir été pris la main dans le sac.

Le 31 août de cette année-là, la princesse Diana en séjour à Paris est victime d'un accident de voiture mortel dans un tunnel au niveau du Pont de l'Alma. La presse diffuse la nouvelle et les services de l'État tentent de prévenir le président de la République alors en déplacement à La Rochelle. En vain. Pendant de longues heures, Jacques Chirac est injoignable.

Léa Domenach revient sur ce passage qui plonge son personnage de Bernadette Chirac dans une grande humiliation publique et le déclencheur de sa rébellion : "On s'est servis de la rumeur qui le disait aux côtés d'une actrice italienne très célèbre, je n'ai aucune idée de la vérité et je pense que l'on ne saura jamais. Par contre, et c'est sûr, il a bien été introuvable pendant des heures, à tel point que c'est Bernadette Chirac et Lionel Jospin, qui était à l'époque Premier ministre, qui ont dû se présenter sur la dépouille de Lady Di à sa place le lendemain matin. Ça a dû être très difficile pour elle de justifier cette absence et de faire bonne figure."

En 2001, Jean-Claude Laumond, ancien chauffeur du Chef d'État et de sa famille assure dans son livre Vingt-cinq ans avec lui (Éd. Ramsay) que Jacques Chirac dormait chez l'actrice Claudia Cardinale. Puis l'ancien conseiller de Lionel Jospin, Aquilino Morelle, l'affirme à son tour dans son ouvrage L'abdication (Éd. Flammarion). "Ce n'est absolument pas vrai. (...) Chirac était aussi un homme à femmes, mais pas avec moi", a démenti la principale intéressée dans une interview au journal italien Corriere Della Serra en janvier 2021.

"On a quand même perdu le président de la République pendant cinq heures, ça ne devrait pas arriver. Preuve qu'il était dans un endroit peu glorieux...", ajoute Léa Domenach.

3/5

Sa relation tumultueuse avec sa fille Claude Chirac

Kurita KAKU/Gamma-Rapho via Getty Images

La rivalité entre Bernadette Chirac et sa cadette Claude, et qui a oeuvré comme conseillère influente de son père pendant des années, a maintes fois été suggérée dans la presse ou même assurée, comme par exemple dans la biographie Tu le sais bien, le temps passe (Éd. Pocket) de la journaliste politique Catherine Nay. Celle-ci avait par exemple avancé que Claude Chirac avait tenté d'évincer sa mère car celle-ci empêchait le rajeunissement de l'image du président, expliquait-elle dans C à Vous.

Le film Bernadette, lui, ne tombe pas dans le piège de la rivalité féminine habituellement représentée dans la culture. Léa Domenach montre bien un rapport de force entre les deux femmes, mais surtout de l'incompréhension. "Je l'ai plus pensée comme une relation mère-fille classique avec une Claude Chirac présentée comme une adolescente un peu attardée qui a honte de sa mère, comme nous toutes à cet âge, c'est un peu le passage obligé. Elle évolue dans son monde, où elle avait peur que sa mère passe pour une ringarde, et où elle se bat déjà elle-même, donc ce n'était pas évident. Au final, mon personnage de Claude Chirac évolue avec les années et se rapproche de sa mère car quelque part, sans devenir comme elle, elle la comprend."

4/5

Sa haine de Dominique de Villepin

Sebastien DUFOUR/Gamma-Rapho via Getty Images

De tout l'entourage du président de la République, s'il y en a bien un qui prend pour son grade, mis à part Nicolas Sarkozy, c'est bien Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac, dans la film de Léa Domenach. La Bernadette Chirac incarnée par Catherine Deneuve multiplie les pics à ce bras droit du chef de l'État qu'elle a en horreur.

Cette animosité ne sort pas de nulle part, la Première dame "ne pouvait pas le saquer", rappelle la réalisatrice, "et c'était réciproque !". Comme montré dans le film, elle l'avait même surnommé "Le stratège".

5/5

Elle a reçu Hillary Clinton en Corrèze

Jacques Langevin/Sygma/Sygma via Getty Images

Si dans le film ce petit exploit diplomatique fait enrager Jacques Chirac, jaloux de l'aura de sa femme auprès de la Première dame américaine, devant son téléviseur, cette rencontre a bien eu lieu de façon officielle. En mai 1998, l'épouse du chef d'État, également conseillère générale en Corrèze a invité Hillary Clinton à découvrir cette région rurale. 

Accueil sur le tarmac à Limoges, visite d'une école, étape au "relais et château" de La-Chapelle-Saint-Martin et déjeuner officiel... les images de la Première dame ont fait mouche, preuve de l'implication de Bernadette Chirac sur le plan politique international et de proximité, et non seulement à son rôle de "femme de".

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