«Se perdre dans un rôle» : la star d’Ozark, Julia Garner, se livre sur le métier d’actrice

« C'est très difficile de jouer avec son identité. C'est même dangereux, en fait », dit celle qui n'avait pas de plan B au cas où elle n'aurait pas percé en tant qu'actrice.
Soutiengorge et robe Miu Miu Boucles d'oreilles Demarson Bijoux d'oreilles Pearl Octopuss.Y
Soutien-gorge et robe Miu Miu Boucles d'oreilles Demarson Bijoux d'oreilles Pearl Octopuss.YSteven Klein pour Vanity Fair

Julia Garner est un peu nerveuse au début de notre entretien, sans rapport aucun avec ses nombreux projets de films à venir, dont beaucoup sont gardés sous silence : « Mon chien risque d'entrer à tout moment », dit-elle en jetant un coup d'œil entre la porte et notre écran de Zoom. Après une longue pause, elle lâche un soupir : « Je pense que ça va aller », dit-elle. Quand je confie à Julia Garner, qui figure sur notre couverture du numéro Hollywood 2023, que j'envisage moi-même d'avoir un chien, elle sourit : « Vous comprendrez alors pourquoi les Zooms sont stressants quand on enferme son chien dans une pièce, et... [elle imite les gémissements de son chien]. »

S'il y a un sujet sur lequel Julia Garner reste calme et posée, c'est bien sa carrière : « Je ne m'inquiète pas à ce sujet parce que, pour être honnête, je sais ce dont je suis capable en tant qu'artiste », affirme l'actrice qui a multiplié les récompenses depuis qu'elle a joué dans Ozark en 2017, et qui a également obtenu une nomination aux Emmy Awards l'année dernière pour sa performance dans Inventing Anna. Elle se souvient pourtant des moments de doute du début de sa carrière : « En fait, je m'en souviens davantage que des bons parce que j'ai l'impression que d'une certaine façon, les traumatismes professionnels forgent le caractère. Ils vous poussent à travailler pour que vous ne retourniez plus jamais à ce stade. » Julia Garner a deux nouveaux films en route : The Royal Hotel (de Kitty Green, qui l'a dirigée dans The Assistant) et Apartment 7A. Voici les extraits de notre conversation sur sa façon de mener sa carrière et de faire face à la complexité liée aux réseaux sociaux.

À quand remonte la première fois où vous avez vraiment senti que vous étiez une actrice professionnelle ?
La première fois que j'ai eu l'impression que le métier d'acteur n'était pas qu'un hobby, honnêtement, c'est quand j'ai obtenu mon premier job dans Martha Marcy May Marlene. J'avais 16 ans et je me souviens avoir reçu ce premier salaire et être devenue membre [du syndicat d'acteurs] Screen Actors Guild. Je faisais une fixation sur la carte SAG et je me souviens avoir pensé : « Ouah, je suis une vraie actrice. » C'est là que j'ai vraiment appris à me comporter sur un plateau.
À cette époque, Sundance était encore super indépendant. Il n'y avait pas des tonnes d'appuis et de cautions. Seules certaines personnes avaient des iPhones et des BlackBerries. Il fallait payer pour Internet tous les mois, et ceux qui en avaient un étaient des avocats, pas des acteurs. Ma mère n'allait pas payer de l'argent en plus. Les choses étaient un peu différentes.

Soutien-gorge et robe Miu Miu Boucles d'oreilles Demarson Bijoux d'oreilles Pearl Octopuss.Y

PHOTOGRAPH BY STEVEN KLEIN; STYLED BY PATTI WILSON.

Concernant votre carrière, jusqu'où vous projetez-vous ? Pensez-vous toujours, disons, cinq ans à l'avance ?
C'est une question très difficile. Quand j'avais 21 ans, j'ai eu une année assez sèche. C'était avant de tourner dans Ozark. Ce n'était pas une grande année pour moi en tant qu'actrice. Je me sentais un peu désespérée. Je n'ai pas eu de travail pendant quelques mois. C'était vraiment dur. Je me souviens avoir pensé : « Si j'en suis toujours là dans cinq ans, je ne veux plus faire ça. C'est un métier très difficile et il y en a d'autres que celui d'actrice. » J'étais encore jeune à l'époque, mais c'est difficile parce que dans le monde des acteurs, 21 ans c'est jeune, mais ça ne l'est pas tant que ça. Vous n'avez plus 16 ou 17 ans. Vous n'êtes plus le jouet tout clinquant, et ce métier repose sur ce qui brille. Ils adorent les nouveaux jouets tout brillants neufs. Puis j’ai rejoint le casting d'Ozark et j’ai persévéré, parce que je sentais que j’avais encore beaucoup à prouver.

Quand vous vous êtes dit que vous arrêteriez de jouer et feriez autre chose si vous en étiez au même point dans cinq ans, saviez-vous ce que serait cette « autre chose » ?
Je vais être honnête : je ne suis pas douée pour grand-chose et je n’avais pas de plan B si ce métier d’actrice n’avait pas fonctionné, alors je me suis dit : « Ça a intérêt à marcher. » Je suis plutôt bonne actrice. Et j'ai gardé l'endurance, j'ai continué à travailler très dur, et à ne rien savoir faire d'autre.

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Avez-vous fait des efforts particuliers pour protéger votre identité véritable, par rapport à ce que vous êtes en public ?
Oui. C'est très difficile parce qu'on est en plein domaine public. J'essaie de ne pas trop dévoiler mon opinion personnelle, car j'ai l'impression que ça ne ferait que compliquer encore plus la tâche. L'objectif de mon travail est que les gens s'identifient à moi, qu'ils soient touchés et qu'ils s'évadent un peu. C'est délicat parce qu'aujourd'hui, tout le monde est tellement ouvert, que le mystère disparaît. Et quand une personne n'a plus de mystère, on ne peut plus faire marche arrière…
C'est très compliqué pour un acteur de devoir faire complètement abstraction de soi pour jouer une autre personne. C'est très difficile de jouer avec son identité. C'est même dangereux, en fait. Il est important de s'entourer de personnes qui ont une bonne influence sur vous et qui vous permettent de garder les pieds sur terre, et pas seulement de personnes qui vous disent « oui, c'est ça ». Il y a beaucoup de gens qui vous montrent à un moment donné qu'ils vous aiment, mais il faudrait une radiographie pour voir lesquels ressentent vraiment un amour sincère. Mes amis n'ont pas besoin de voir tous les films dans lesquels je joue. Et s'ils me disent que ma performance était juste ok, bien sûr que je serais un peu blessée, mais peut-être qu'ils n'ont pas aimé ma performance et ce n'est pas grave. Je veux qu'ils soient honnêtes et qu'ils me disent des choses. Je n'ai pas nécessairement besoin d'avoir toujours une conversation tranquille.

Qui figure dans la liste de vos héros ?
Pour citer les plus évidents, j'adore Meryl Streep, Cate Blanchet et Gena Rowlands. Toutes ces grandes actrices. Et des grands écrivains comme Oscar Wilde ou Ernest Hemingway, de grands conteurs. Je ne pense pas qu'Ernest Hemingway était la meilleure des personnes – il détestait les femmes et était un alcoolique notoire, mais il a écrit de grandes choses. Francis Bacon, son art était incroyable. Tellement déprimant mais incroyable et chaotique. Quand je vois une peinture de Vermeer, je m'en inspire parce que je me dis que s'il vivait à notre époque, il serait le meilleur photographe de tous les temps. Les films de Cassavetes m'inspirent aussi beaucoup. Mais je peux aussi être inspirée par quelque chose d'aussi simple que Quand Harry rencontre Sally... ou Clueless. Même quand des choses sont stupides, si on y trouve du cœur en quelque sorte, je m'en inspire.

Quelle relation entretenez-vous avec les réseaux sociaux ?
Je suis d'accord pour ne pas jouer le jeu à 100 %. J'y suis présente et je fais de la promo chaque fois que j'ai une actu, mais des fois je ne poste pas pendant un mois. Certains acteurs disent : « Je suis vraiment désolé de ne pas avoir posté depuis quelques jours », et on se dit : « Pourquoi tu t'excuses ? » Peut-être que tu étais occupé ou que tu as passé une semaine à la con et que la dernière chose à laquelle tu pensais était de publier un post. C'est devenu incontrôlable. C'est très étrange. Je comprends si tu as des contrats de sponsoring – je le comprends bien, croyez-moi – mais ne t'excuse pas de ne pas avoir posté ton dernier sandwich.

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Cette interview a été condensée et éditée pour plus de clarté.