“Aujourd’hui, mon fils a 7 ans et j’étouffe. J’ai vraiment le sentiment d’avoir fait un enfant sous pression, pour faire plaisir, ne pas décevoir”. Ce témoignage, à la fois tabou et inaudible pour beaucoup, figure dans l’ouvrage d’Orna Donath, docteure en sociologie et enseignante à l’Université Ben Gourion du Neguev en Israël, Le regret d'être mère*, publié initialement en 2015. Quatre ans plus tard, l’ouvrage sort en France chez Odile Jacob, mettant enfin en lumière une réalité crue que connaissent beaucoup de femmes : celle d’un regret indicible, d’une envie de retour en arrière impossible, qui ne correspond pas aux standards de la société. 

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Un royaume de stress

Peut-on réellement regretter d’être mère ? Le tabou des tabous dévoilé dans un ouvrage qui compile les témoignages de 23 mères, âgées de 25 à 75 ans. A la question “Si vous pouviez revenir en arrière dans le temps, avec la connaissance et l’expérience que vous avez aujourd’hui, seriez-vous une mère ?”, elles ont toutes répondu non. La chercheuse et auteure va à l’encontre des préjugés en expliquant que si la maternité peut être “une source de satisfaction personnelle, de plaisir, d’amour, de fierté, de joie et de contentement”, cela peut aussi être, en même temps, “un royaume de stress, d’impuissance, de frustration, d’hostilité et de déception, ainsi qu’une arène d’oppression et de subordination”. 

A l’époque, cette étude avait été commentée partout dans le monde mais c’est en Allemagne, dont le taux de natalité est le plus bas de l’Union Européenne (en 2015, ndlr), qu’elle a eu le plus de retentissement. Remettre en cause le bonheur d’être mère, et ce statut sacralisé, a suscité une polémique outre-Rhin, sans cesse alimentée par des débats télévisés, des conférences, la publication de livres, d’articles et d’éditos sur le sujet et une déferlante d’échanges enflammés sur la planète Twitter, sous le hashtag #regrettingmotherhood. De même, d’après un sondage mené par la société privée YouGov auprès de pères et mères de tous âges, 20% des parents allemands ne feraient pas d’enfants s’ils pouvaient revenir en arrière.

Une ambivalence des sentiments

En France, où le taux de natalité bat des records (1,90 enfants par femme selon Eurostat 2019), les articles de presse consacrés au sujet avaient déclenché des commentaires contrastés. A une époque où la femme est censée maîtriser son corps et sa sexualité et où tant de couples infertiles souffrent dans leurs parcours jalonnés de FIV qui n’aboutissent pas, des internautes s’insurgent, en prônant les pouvoir de la contraception ou le recours à l’avortement. Mais il y a aussi eu celles qui, sous couvert d’anonymat, via les forums et les chats, étaient de plus en plus nombreuses à confier leurs déceptions, leur mal-être et leur isolement face à l’ambivalence de ce qu’elles ressentent, enfermées dans les non-dits.

“Cette étude a eu le mérite de lancer le débat, de délier les langues, mais, surtout, elle a permis de dénoncer la pression immense qui pèse sur les mères aujourd’hui, observe la psychologue en maternité Fabienne Sardas, auteure de Maman blues, du bonheur et de la difficulté d’être mère, (Ed. Eyrolles). Le mythe de la dévotion maternelle fait des ravages. Les mères ne se sentent plus à la hauteur car il y a un monde entre ce que vend la société (elles vont être comblées, remplies de bonheur) et la réalité. On a voulu un enfant, mais pas ce corps qui se transforme et s’abîme, pas ce déséquilibre du couple, pas ce bouleversement de soi-même et toute la vulnérabilité que cela entraîne parfois”.

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Le poids de la maternité

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Delphine, assistante commerciale, maman de deux filles de 5 ans et 9 ans, confie avoir le sentiment d’avoir été arnaquée. “J’ai toujours pensé que ma vie commencerait le jour où je deviendrais mère, que tout prendrait sens. Mais mon quotidien de maman est surtout rempli de contraintes et d’angoisses pour mes filles, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de répit. Et que le meilleur est déjà derrière moi… “.

Pour la psychanalyste Martine Teillac, auteure de Vaincre la culpabilité, (Ed. du Toucan), le mythe de la maternité heureuse est devenu aussi écrasant que le mythe du Prince charmant. “Le lien mère-enfant est tellement investi, fantasmé, sacralisé… À l’inverse de nos grands-mères qui s’adaptaient, le plus souvent, à une nouvelle grossesse, nous pouvons presque “programmer” l’arrivée d’un bébé. Et la pilule et l’avortement ont cet effet pervers de nous apporter, aussi, des attentes immenses ! L’enfant est devenu le signe ultime de réussite, on en attend tout, ou presque. Et puisqu’on a décidé de le mettre au monde, il va falloir, aussi, tout lui sacrifier… Face à des liens aussi intenses, comment ne pas nager en pleine ambivalence ?”

Avant de poursuivre “ces femmes qui regrettent d’être mères se sentent amputées d’une partie d’elles-mêmes, constate Martine Teillac. Elles souffrent d’un sentiment d’inaccomplissement, elles se sont perdues dans la maternité. Certaines femmes, aussi, étaient plus faites pour être des amantes, de grandes amoureuses, et vivent mal qu’un tiers s’introduise dans leur couple. Mais ce n’est, bien souvent, qu’après avoir répondu à l’injonction d’être mère qu’elles le découvrent”, écrit-elle.

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Passer pour des monstres

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“Le regret d’une vie sans enfant est une constante chez les femmes qui nous contactent, commente Elise Marcende, co-présidente de l’association Maman Blues, le site de la Difficulté maternelle. Ces jeunes mères se sentent dépassées, elles ne pensaient pas que ce serait si dur et si différent de ce qu’elles avaient imaginé. La plupart, grâce à un soutien, finissent par établir le lien mère-enfant, mais pour certaines, le regret s’installe dans la durée, elles ne parviennent pas à faire le deuil de leur vie d’avant et se sentent prisonnières de leur statut de mère. La souffrance est d’autant plus grande qu’elles n’ont, bien souvent, personne à qui se confier, elles ont trop peur d’être rejetées, de passer pour des monstres… “. 

Martine Teillac renchérit alors : “Pour certaines, qui avaient une très grande attente, la maternité devient une tâche, un travail, un métier vide de désir, c’est le désenchantement. Ce ne sont pas des égoïstes, mais ce lien de dépendance est vécu comme une prison, elles regrettent leur liberté perdue, l’enfant devient boulet à vie… Elles culpabilisent en secret, elles sont tenues de se taire, car avouer son regret est perçu comme contre-nature. [...] Pourtant plutôt que de subir, il faut trouver comment diminuer cette sensation d’emprisonnement, se donner des droits. L’instinct maternel est une création culturelle, la bonne mère, dans l’absolu, n’existe pas”. 

Des mères, qui oscillent encore aujourd’hui entre amour infini et regrets amers, reviennent pour nous sur leur expérience de maternité, leurs souvenirs d’avant et leurs projets futurs. 

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Julie, 35 ans : “J’aimerais que mes filles soient heureuses, sans me coltiner le quotidien”

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Julie, opticienne, est maman de trois filles :  Léa, 12 ans, Manon, 8 ans et Iris, 5 ans. 

“J’avais toujours rêvé avoir trois enfants. Moi qui ai grandi avec une mère dépressive, incapable de s’occuper de ma sœur et de moi, j’ai grandi avec cet objectif : devenir une mère parfaite et comblée. Aujourd’hui, j’ai trois filles, et je me sens très loin de cette mère fantasmée que je m’étais juré d’incarner. Bien sûr, j’ai conscience que c’était un défi plus que casse-gueule ! Mais je ne m’attendais pas à un tel contraste entre ce que je m’étais racontée pour me consoler et la réalité de mon présent.

Est-ce parce que je n’ai pas eu de modèle que je rame autant ? Ce rôle me pèse et me prive de ma vie. Je ne pensais pas qu’avoir des enfants me prendrait autant de moi-même. Je me sens enfermée, privée de liberté. Quant à mon couple… on était bien plus heureux sans enfant ! Les filles nous éloignent, Vincent et moi, chaque jour un peu plus. Les enfants prennent tellement de place, ils sont un obstacle au bonheur. Il faut continuellement donner de soi et accepter le fait qu’ils sont ingrats… J’aime mon mari, mais je commence à entrevoir la fin de notre histoire. Et parfois, je me dis que la garde alternée sera peut-être la solution pour vivre un peu moins mal mon rôle de mère. Au moins, j’aurais une semaine rien que pour moi !

J’aime mes filles, elles sont belles, intelligentes, gentilles, mais pour moi, vivre au jour le jour avec elles est une plaie

J’avais vraiment cru que devenir cette fameuse mère parfaite que nous tend la société en permanence serait la solution. Je voulais m’enraciner, transmettre, réécrire un schéma raté. Et comme je n’arrive pas à la cheville de cette mère idéalisée, je rame, je culpabilise, je me sens dans l’échec. J’en veux beaucoup à l’hypocrisie généralisée actuelle qui sacralise la maternité. On ne nous montre que le bonheur. On nous vend du rêve, sans nous alerter des difficultés de la réalité ! 

Plus tard, j’ai essayé de confier mes désillusions, en postant des trucs, sur Facebook, mais je me suis fait rembarrer par mon entourage qui me reprochait de me plaindre. J’ai très vite compris qu’au milieu des mille et une photos de bébés et légendes de parents gâteux, je faisais désordre. 

J’aime mes filles, elles sont belles, intelligentes, gentilles et je suis fière quand on me le dit, mais pour moi, vivre au jour le jour avec elles est une plaie. J’ai envie de me libérer de la maternité. J’aimerais que mes filles soient heureuses, mais sans me coltiner le quotidien, les crises d’adolescence, les angoisses perpétuelles et la pression énorme qu’on vit en tant que maman... “

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Coralie, 39 ans : “Je n’aime pas cette femme amère et aigrie que je suis devenue”

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Coralie, secrétaire médicale, est la maman de Lucas, 16 ans

“Quand j’ai annoncé à Tristan que j’étais enceinte, il a paniqué. Pour lui, c’était un accident, alors que moi, cette grossesse, je la vivais comme un cadeau de l’amour. J’avais 22 ans, j’étais très amoureuse, jeune et naïve. J’ai gardé l’enfant, Tristan m’a quittée avant l’accouchement. Et j’ai fait deux malheureux : moi et cet enfant. Si c’était à refaire, je réécrirais l’histoire autrement… Car je pense que ma vie aurait été mieux sans enfant. 

Pourtant, je pense qu’aujourd’hui Lucas, mon fils, s’en sort plutôt bien. A 16 ans, il marche bien à l’école, a une amoureuse et m’a épargné des crises d’ados caricaturales. Je suis fière de lui, c’est une belle personne. Mais je n’aime pas cette femme que je suis devenue. Amère. Aigrie. A bientôt 40 ans, je n’ai rien accompli. J’ai laissé filer les années sans réagir, en spectatrice, me contentant d’un boulot alimentaire et d’un quotidien plutôt terne.

Je n’ai pas la fibre maternelle, je suis persuadée que c’est un don qu’on a ou pas. A l’inverse, ma sœur, elle, était faite pour ça. D’ailleurs, elle a beaucoup gardé Lucas, qui adorait rester chez elle, parfois pendant de longues périodes. J’en profitais pour m’échapper, prendre quelques bouffées de vie amoureuse, et quand je récupérais mon fils, j’avais l’impression de briser une harmonie. Aujourd’hui, Lucas est toujours très proche de sa tante. C’est à elle qu’il se confie, à moi il ne raconte pas grand chose. Je souffre de cette complicité que je ne partage pas, même si ça me rassure qu’il ait pu trouver une figure maternelle de substitution, c’est déjà ça.

Il y a deux ans, en pleine dispute, Lucas m’a lâché cette phrase que j’ai vécu comme une gifle : “Je ne sais pas pourquoi tu m’as fait, je n’avais pas demandé à naître !”. La phrase classique d’un ado mais qui a sonné très douloureusement pour nous deux. Parce qu’il avait raison. Je ne me sentais pas légitime en tant que mère et lui en tant que fils. 

Même si j’aime mon fils et que je ferai n’importe quoi pour le voir heureux, il est mon talon d’Achille. Je me console en me disant qu’on a encore toute la vie pour se rapprocher”.

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Aurélie, 48 ans : “J’étais mieux sans ma fille. Elle prend trop de place dans ma vie”

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Aurélie, illustratrice, est la maman de Charlotte, 10 ans

“C’est surtout Gilles, mon mari, qui voulait des enfants, j’étais moins pressée. J’aimais notre vie à deux, je crois que ça m’arrangeait bien d’être au centre de tout. Je me sentais unique, j’avais peur qu’un enfant ne bouleverse notre équilibre. Mais j’ai senti une vraie pression. A 38 ans, il fallait que je me décide. Pour valider cette étape de ma vie de femme, pour faire plaisir à Gilles… J’ai donc arrêté de prendre la pilule et laisser faire la nature.

J’ai aimé être enceinte, j’étais fière de porter la vie et, finalement, d’être au centre de tout. Plus mon ventre s’arrondissait et plus on me bichonnait, Gilles était encore plus amoureux qu’avant. Et quand Charlotte est née, j’étais fascinée d’avoir réussi à donner vie à un être aussi merveilleux. Mais cet état de grâce n’a pas duré. Très vite, je me suis sentie en rivalité avec ce mini-moi qui, quelque part, me volait la vedette ! Tout tournait autour de Charlotte, je me sentais de plus en plus dans l’ombre, comme effacée. 

Je m’inquiétais de ne pas ressentir cet instinct, ces élans d’amour qu’une mère est censée connaître. Mais je n’osais en parler à personne. D’autant que je découvrais que Gilles était plus maternel que moi ! La nuit, c’est lui qui se levait pour la consoler, moi, très vite, je me sentais exaspérée car je n’arrivais pas à la calmer. Dans les bras de son papa, elle s’apaisait, je me sentais limite de trop, dans ce trio.

J’ai revu la psy avec laquelle j’avais fait une thérapie quelques années plus tôt. Je me souviens encore de cette séance de retrouvailles où je lui ai annoncé que j’avais fait une immense connerie, irrattrapable : j’étais devenue maman ! Je lui avais aussi confié, comme un immense secret, que je savais que si il y avait le feu dans une pièce, c’est moi que je sauverais, et non ma fille… 

Aujourd’hui, Charlotte a 10 ans et notre relation est conflictuelle. Elle m’agace souvent, je suis intransigeante avec elle, rarement satisfaite. J’ai, trop souvent, le sentiment qu’elle me prend tout, sans rien me donner. Je l’aime, mais elle m’encombre. J’étais mieux sans elle. Elle prend trop de place dans ma vie.”



[Dossier] Être mère, entre quête idéaliste et culpabilisation latente - 13 articles à consulter

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