Caroline Lhomme avait tout pour être heureuse : attachée de presse, chroniqueuse dans un milieu qu'elle adore -la bande-dessinée- et fiancée à un brillant avocat, tout allait bien pour elle. Et puis en mars 2001, une rupture d'anévrisme vient tout chambouler, la laissant hémiplégique (paralysie d'un côté du corps, ndlr). Commence alors pour elle un long marathon pour récupérer d'abord sa parole, puis sa motricité, mais aussi essayer de retrouver un boulot, des loisirs. Bref, une vie.

À 49 ans, Caroline Lhomme a pour elle un charme indéniable, en partie constitué par son humour caustique et sa recherche de sensations fortes pour dépasser son handicap. Et c'est en quelque sorte son journal intime qu’elle nous livre dans Bienvenue dans mon demi-monde (Éd. Hugo Desinge), un ouvrage illustré et rédigé à partir des mails envoyés pendant près de dix ans à ses proches, amis et autres témoins de la remontée de sa pente.

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Au fil de la lecture, une question nous vient : comment une femme si durement atteinte peut donc parler d'une situation si tragique avec tant d’humour ? Entretien.

Marie Claire : Parlez nous de la Caroline Lhomme avant 2001, qui étiez-vous ? Qu’est ce que vos proches disaient de vous à l’époque ?

Caroline Lhomme : "Avant l’accident, j’étais une fille très rock n'roll, je faisais la foire et mes amis disaient de moi que j’étais complètement folle.

Pour tout vous avouer, cela n’a pas beaucoup changé. Mon patron me compare souvent à un pitbull car je suis très tenace. C’est d’ailleurs une qualité qui m’a beaucoup servi et qui m’a aidé à remonter la pente.

Pendant très longtemps, j’ai été attachée de presse. À force de fréquenter des journalistes, l’envie d’exercer ce métier m'attirait et lorsque l’on m’a proposé de partir faire l’expérience du web, je n’ai pas hésité une seule seconde et j'ai foncé. Cela ne m’a pas porté chance, car quelques mois après mon cerveau "explosait".

Aujourd’hui, je travaille en temps partiel en tant que journaliste sur un site consacré au handicap et je suis également assistante dans une grosse société de nettoyage industriel.

Avez-vous des souvenirs du jour de votre rupture d'anévrisme ?

"Non, pratiquement aucun. Mais il paraît que c’est un phénomène parfaitement normal, une rupture d’anévrisme est une expérience tellement traumatisante que le cerveau efface tout.

Mon seul souvenir est celui du trajet que j’effectuais en train avec une collègue journaliste. Après, c’est le vide. Ce qui, je dois l’avouer, m’énerve un peu. Je suis en train de voir si je ne pourrais pas refaire, en 2021, l’interview que j’avais faite ce jour-là en espérant que cela fasse ressurgir mes souvenirs."

Avez-vous retrouvé toutes vos capacités motrices ? Quels sont les progrès qu’il vous reste à faire ?

"Non pas du tout, je fais encore beaucoup de rééducation et des opérations de la jambe, la prochaine est prévue au mois d’octobre. Mais cela n’est pas un obstacle pour moi : j'ai pour objectif d’effectuer le marathon 2021. On dit qu’il faut toujours viser la lune, car si vous la loupez, vous atterrirez parmi les étoiles.

Et puis je compte beaucoup sur cette opération qui approche, elle devrait me faire bondir comme un puma."

On dit qu’il faut toujours viser la lune, car si vous la loupez, vous atterrirez parmi les étoiles.

Comment avez-vous vécu le premier confinement ?

"Lorsque le confinement a débuté en mars, je me trouvais hospitalisée en rééducation pour mesurer les performances de ma jambe. Je suis restée là-bas et j’ai pu continuer les soins, mais à cause de la distanciation sociale et physique je n’ai pas pu voir mes proches.

Heureusement, j’étais entouré de tout le peuple infirmiers et des thérapeutes. J’avais également une copine de chambre, avec qui je pouvais interagir."

Comment l'idée d'un livre a-t-elle germée ? Qu'aimeriez-vous qu'on en retienne à sa lecture ?

"Ce livre n’est en réalité pas venu de ma volonté, c’est un ami éditeur qui m’a un jour dit vouloir relire mes chroniques car elles l’avaient beaucoup fait rire et l’un de ses collègues m’a alors proposé d’en faire une bande-dessinée.

De fil en aiguille le projet s’est concrétisé. Cela a prit beaucoup de temps mais le livre a réussi à voir le jour grâce à un éditeur un peu plus courageux que les autres et au soutien de la Fondation Banque Populaire.

Si l’idée n’était donc pas de moi au départ, je l’ai tout de même trouvée géniale. Écrivain est l’un des premiers métiers que je voulais exercer petite, après celui d’acrobate bien entendu. Mais il faut dire que c’est un peu râpé pour être acrobate, même si j’y travaille toujours.

C’est en rigolant de ses malheurs, que ceux-ci deviennent moins graves.

Être écrivain est un très bon métier pour quelqu’un comme moi, qui ne peut pas courir partout. Et je pense que j’ai eu raison, les gens que je croise dans la rue me demandent déjà un tome 2 de mon livre, ce qui serait tout à fait envisageable vu le nombre de chroniques qu’il me reste sous la main.

Je voudrais que ce livre aide les personnes valides à voir les personnes handicapées différemment et à comprendre que nous sommes comme eux, que nous aussi on se marre. Qu'il puisse redonner du courage à ceux qui se battent contre une maladie et qui pensent l'avoir perdu. C’est en rigolant de ses malheurs, que ceux-ci deviennent moins graves."

Comment vous est venue l’idée d’écrire sous forme de mails ?

"Au moment de mon accident, mes proches se sont donnés des nouvelles par mails et, lorsque j’ai pu retrouver ma liberté et un accès illimité à Internet, j’ai continué à donner de mes nouvelles de cette manière. Quand j’avais un entretien important ou une intervention chirurgicale programmée, je racontais mes aventures en essayant de faire rire les gens que j’avais fait pleurer."

D’où tirez-vous justement cette force et cet humour ?

"C’est plus ou moins héréditaire. Mon grand-père, Jean, avait beaucoup d’humour. Il racontait des histoires d'aventures à ses petits-enfants. Je suis d’ailleurs tombée dans la bande-dessinée très tôt grâce à lui, car il avait pour habitude de raconter ses histoires en dessinant en même temps.

Mon papa avait aussi énormément d’humour et heureusement que j’en ai hérité, sinon je ne sais pas comment j’aurais surmonté toutes les épreuves que la vie m’a fait traverser.

Rigoler de mes malheurs m’a beaucoup aidé à dédramatiser."