Le syndrome du grand coquelicot désigne un système de jalousie et de critiques au sein du milieu professionnel, qui vise essentiellement les femmes.

Conceptualisé en Australie, “cela vient à l’origine des personnes qui ont fait fortune et qui se sentent au-dessus des autres. On a alors l’image du coquelicot, qui a une tige plus haute que les autres, et qu’on coupe pour rester harmonieux. Tous à la même hauteur”, explique Catherine Bonneville-Morawski, directrice d'Eragina, cabinet de conseils en mixité et développement des carrières des femmes. 

Appliqué aujourd’hui principalement dans le monde du travail, ce syndrome consiste à rabaisser et à pointer du doigt les individus qui travaillent beaucoup, mais surtout qui réussissent "trop bien" dans leur activité. Un concept contradictoire avec la vision actuelle de la réussite, généralement dépendante du statut pro ou du métier : “on est éduqué pour être le meilleur, mais d’un autre côté être le meilleur est un problème. Il y a un paradoxe entre l’encouragement à l'ambition et la réussite et la difficulté à supporter qu’une personne soit meilleure que les autres”, ajoute l’experte. 

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S’illustrer par sa réussite professionnelle engendrerait insécurité, mépris et critiques de la part des collègues et de l’entourage : “si les gens sont conformes alors ils obtiennent de la reconnaissance sociale. Quand quelqu’un dérive, les autres sont socialement autorisés à ramener la brebis égarée dans le droit chemin (pour son bien et celui du groupe). Il s’agit du mécanisme du conformisme social”, ajoute de son côté Noémie Le Menn, psychologue du travail et coach. 

Un phénomène qui semble toucher davantage les femmes 

Et sans surprise, ce phénomène concerne en grande majorité les femmes. Dans un monde du travail encore imprégné de préjugés et comportements sexistes, les femmes ambitieuses dérangent et c'est pourquoi elles sont généralement visées par ce phénomène. 

Dans une étude publiée en 2018, la chercheuse Rumeet Billan a tenté d’analyser l’ampleur du phénomène dans leur vie professionnelle. Elle révélait que 87,3% des interrogées pensaient "que [leurs] réalisations ont été sapées par d'autres personnes sur [leur] lieu de travail”. Problème toutefois à notifier : le panel de cette étude était uniquement féminin, difficile donc d'avoir une vue d'ensemble. 

Toutefois, ce qu'il ressortait de cette étude, c'est que les personnes victimes de ce syndrome du grand coquelicot, l'étaient généralement par des femmes. "Hélas, à cause d’une misogynie internalisée et de stéréotypes de genre bien ancrés, ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui ‘coupent’ les coquelicots féminins qui dépassent”, se désole Laetitia Vitaud, autrice et conférencière à Welcome to the Jungle. Des critiques à l’encontre de leurs homologues féminins confirmées par les recherches, qui rapportent que 31% des coupeurs de coquelicots étaient finalement des coupeuses - contre 27,6% d'hommes.

Un rabaissement des femmes en entreprise qui se rapproche, selon Catherine Bonneville-Morawski, du "phénomène de falaise de verre". "Quand il y a un poste à responsabilités, qui plus est difficile, on retrouve plus facilement des femmes. Theresa May a eu le poste de Première ministre pendant les négociations du Brexit. Et finalement, on l’a critiquée avant de finaliser sans elle. Ce sont des situations où l’on met des femmes à des postes de crise, on les laisse avancer dans une situation infaisable, qu’elles améliorent ou non, puis on les sort”, illustre l’experte. 

Des comportements malsains aux nombreuses conséquences 

Mais pourquoi pratiquer le dénigrement de celles et ceux qui sortent du lot en entreprise ? “Une femme qui travaille beaucoup transgresse les codes sexistes à moins qu’elles réussissent parfaitement sur son rôle familial (époux, famille, enfants, travaux domestiques). Elle s’érige alors au même niveau que les hommes et cette recherche d’égalité paraît contre-nature pour celles et ceux qui adhèrent à l’idéologie sexiste. Et toute transgression mérite sanction”, explique l'auteure de Libérez-vous des réflexes sexistes au travail (Dunod, 2018). 

Syndrome de l’imposteur, manque de confiance, désengagement : le syndrome du grand coquelicot a des effets dévastateurs sur le bien-être psychique des salariées. Si l’on en croit l’étude, plus de 6 femmes sur 10 ont avoué avoir vécu une perte d’estime, plus de la moitié d’entre elles ne partagent plus leurs réussites autour d'elles. Et cela renforce le plafond de verre : presque une femme sur deux a déclaré que ces attitudes avaient contrarié son désir de postuler pour une promotion. 

Un syndrome qui affecte également l’entreprise elle-même : “le mal-être affectif s’accompagne d’une crainte constante d’être rejeté·e par le groupe. Empêché·e d’être soi-même, il faut alors endosser l’uniforme dominant et étouffer toute velléité de singularité… et de performance. Sans surprise, cela engendre une faible productivité, un conservatisme extrême (c’est comme ça qu’on fait les choses et pas autrement) et une absence d’innovation”, déplore l’auteure Laetitia Vitaud à Welcome to the Jungle. 

Comment remédier à cette rivalité en entreprise ? 

Un mélange de jalousie, de manque de confiance, de sexisme et de stéréotypes de genre qui se retrouve dans tous les pans de la société : “on retrouve ces situations en entreprise, en politique, dans le monde du sport, de la danse, des médias, de la culture, mais aussi sur Instagram […] On voit cela aussi à l’école : la gamine brillante qui se fait isoler et harceler, car elle est active et a des bonnes notes”, commente la psychologue Amélia Lobbé dans une tribune au HuffPost

Mais alors comment stopper le syndrome du grand coquelicot en entreprise ? La journaliste Laetitia Vitaud préconise au média dédié au monde du travail de “renforcer la sécurité psychologique de l’équipe” par des moments collectifs et individualisés, d’accueillir “l’échec et l’erreur avec bienveillance” ou encore de célébrer “la singularité et la bizarrerie de chacun”. 

De son côté, la chercheuse canadienne Rumeet Billan, à l’origine de la seule étude sur le sujet, proposait de réinventer complètement le milieu professionnel et les valeurs qu’il prône : “la plupart des répondants ont estimé devoir changer le système lui-même, de s'éloigner d'une culture d'entreprise qui monte les employés les uns contre les autres et qui célèbre la compétition, pour aller vers une culture où l'empathie et le soutien sont valorisés”.