Pour Rachida Brakni, l'écriture est une "nécessité quotidienne". Avant tout actrice et metteuse, elle confirme ses talents d'écrivaine dans Kaddour (Éd. Stock), publié début mars 2024, un court et passionnant texte sur ses envolées matinales.

Quel est son lien avec son ordinateur ? Elle nous dit tout et révèle même avoir eu un nouveau projet de roman.

Un thé, de la nicorette et un ordi

"Avant d’écrire Kaddour, mon ordinateur n’avait pas grande utilité. Vieux de sept ans, il était pour ainsi dire neuf, car il ne servait que de 'back-up' pour les photos de mon téléphone. Word n’y était même pas installé. Netflix non plus, ni aucune plateforme. Avant Kaddour aussi, je pensais n’être douée que pour avoir les mots des autres en bouche, ces Racine, Corneille, Marie NDiaye que j’ai adoré jouer, mais mon amour des grands textes paralysait mes désirs d’écrire.

Vidéo du jour

C’est neuf mois après la mort de mon père que le verrou a sauté et qu’ainsi, l’ordi a pris une place dans ma vie. À cette époque, je tournais un film américain à Marrakech et sur ce genre de grosses productions, vous passez beaucoup de temps seule. 'De quoi tu te plains, Hollywood est en train de t’offrir une résidence d’écriture  !' m’a dit une amie, alors j’ai commencé à taper sur mon clavier avec la sensation qu’un territoire, à perte de vue, s’offrait à moi.

J’attends avec impatience ce moment où je me remets au lit pour écrire jusqu’à midi.

Avec un sentiment de colère, aussi, en racontant l’histoire de mon père algérien qui, pour la France, n’a été qu’une force de travail à utiliser. Depuis, écrire est devenu une nécessité quotidienne. À l’hôtel, dans le train, chez moi. Le matin, mes enfants montent dans le bus scolaire à 7 h 25 et j’attends avec impatience ce moment où je me remets au lit avec mon thé, ma plaquette de Nicorette et mon ordi pour écrire jusqu’à midi.

Après le portrait de son père, écrire celui de sa mère

Mon mec n’a évidemment pas le droit de m’adresser la parole, ça couperait mon élan. Si je pouvais, comme Jim Harrison, écrire face à un mur vierge pour éviter toute distraction, je le ferais. Après mon père, j’écrirai un jour le portrait de ma mère, alors dans un dossier qui porte son prénom, Kheira, je recueille ce qu’elle me raconte.

Comédienne, vous êtes tributaire du désir de l’autre, d’autant qu’il y a moins de rôles féminins que masculins, qu’en vieillissant, encore moins, et qu’en étant d’origine algérienne, encore moins.

Un projet de roman, aussi, est en cours, et quel bonheur pour cela de n’avoir à compter que sur soi et sur sa machine  ! – même si, quand elle se met en veille, j’ai toujours l’angoisse qu’elle engloutisse mon travail comme un trou noir.

Quand vous êtes comédienne, vous êtes tributaire du désir de l’autre, une notion avec laquelle je n’ai jamais été à l’aise, d’autant qu’il y a moins de rôles féminins que masculins, qu’en vieillissant, encore moins, et qu’en étant d’origine algérienne, encore, encore moins. L’écriture, au contraire, sans costume, sans rôle à endosser, c’est une terre que je pourrai labourer toute ma vie. "

Cet article a initialement été publié dans le magazine Marie Claire numéro 861, daté juin 2024.