Elle a gagné cette peluche lors d'une fête foraine. C'est un singe qu'elle serre fort contre elle, longtemps, à onze ans quand elle le remporte, et bien plus tard encore, en 1971, sur la pochette du single Melody Nelson. Elle a nommé son confident de chiffon "Munkey". Et cela faisait six décennies que Jane Birkin se confiait à lui dans son Munkey diaries et dans sa langue natale, sûrement pour que ses mots collent, au plus près, à son ressenti.

L'actrice lui parlait souvent de Serge Gainsbourg. Au premier jour de leur rencontre en janvier 1968, alors qu'il lui adresse trois mots désagréables, elle noircit toute une page. Serge écrit sur elle, pour elle. Jane écrit sur lui, pour elle. Et quand la mort a séparé Jane de Serge, Jane a choisi de se séparer aussi de Munkey. Pour les enterrer ensemble. Mais elle n'a jamais cessé de parler de l'un à l'autre.

Vidéo du jour

Le sentiment d'être devenue une marionnette

De leur couple photogénique et iconique, Jane Birkin ne cache rien aux lecteurs. Pas même la détérioration de leurs rapports qui lui fait craindre plus que tout une détérioration de leurs sentiments. Quand on découvre les premières pages disponibles de ce journal intime (publiées dans l'Obs, édition du 20 septembre 2018), la voix douce, timide, de la muse candide, n'est pas celle qui résonne à l'esprit. Les mots sont crus, la femme est forte face à son homme qui détruit leur relation à mesure qu'il se détruit.

Je refuse la puissance de son amour, son autorité, sa supériorité.

"Je refuse la puissance de son amour, son autorité, sa supériorité. Je veux savoir ce qu'est la vie toute seule avec moi. Je dois savoir", écrit-elle dans son journal, ce jour où elle décide de quitter le mythique 5 bis rue de Verneuil pour s'installer à l'hôtel avec ses deux filles, Charlotte et Kate. 

Fatigue et désespoir

"Voilà Munkey, tu sais tout... [...] comment la vie avec Serge est devenue insupportable, son ivrognerie, et moi sa marionnette." L'alcool le "transforme en quelqu'un de si différent et effrayant" confesse Jane Birkin, terrorisée par l'addiction du désormais Gainsbarre.

Je ne veux pas tout recommencer. Je préférerais mourir.

C'est par ces lignes de questionnements désespérés que l'on apprend que Jane Birkin a imaginé la pire échappatoire. "Et parfois il dit que maintenant qu’il a la gloire, l’argent, la célébrité, la seule chose qu’il ne connaît pas est de tuer, il ne parlait jamais comme ça avant. Je me demande comment ça va finir. Et quand je suis triste, j’ai vraiment envie de mourir, et de sa main. Pourquoi pas  ? Je suis si fatiguée de la difficulté de vivre. Il me semble que je fais toujours tout de travers et je m’aperçois que je suis mise de côté et que je pourrais repartir de zéro avec quelqu’un d’autre, comme c’est le cas. Je ne veux pas tout recommencer. Je préférerais mourir..."

Le rêve d'une relation à trois 

Parfois, sur quelques lignes, Jane Birkin lui pardonne. Plus que ça, elle s'accuse, elle culpabilise de son état. "Je ne peux pas lui en vouloir, je l'ai blessé dans son orgueil" griffonne la femme victime d'un genre de syndrome de l'infirmière. Son amour pour lui est indiscutable, mais voilà qu'un nouvel homme l'attire. Il s'appelle Jacques Doillon, et à ses côtés, elle reconnaît que l'amour est plus simple.

Et moi aimée par les deux, qui me tiennent comme des serre-livres. Retires-en un et tu glisses, retires l'autre et tu glisses, retires les deux et tu tombes.

Avec littérature, par une image poétique, Jane Birkin décrit son déchirement intérieur face à ses sentiments contraires. "Alors me voici maintenant, j'ai blessé Serge à tel point que je pense que la vie ne sera plus jamais la même, et Jacques, qui est triste et veut ma vie lui aussi. Et moi aimée par les deux, qui me tiennent comme des serre-livres. Retires-en un et tu glisses, retires l'autre et tu glisses, retires les deux et tu tombes. J'en suis là." 

L'idéal, pense-t-elle un jour, serait de pouvoir conjuguer ces deux formes d'amour, le grand et le léger, le passionnel et le sain. "Si c'était possible, ce serait le moment le plus heureux de ma vie. Et si Serge pouvait aimer Jacques, et même s'ils partaient tous les deux, je ne serais pas triste puisqu'ils seraient ensemble. Et je sais qu'ils seraient heureux." Ces lignes ne parlent que d'amour. De l'amour véritable, dévoué. Quand importe, avant tout, le bonheur de l'être aimé.

MUNKEY DIARIES (premier volume, 1957-1982), par Jane Birkin, Fayard, 352 p., 22,50 euros (en librairie le 3 octobre 2018).