Parmi les phénomènes d’ordre (quasi) paranormal qui encombrent notre quotidien dans la plus grande incrédulité, celui qui se produit de façon systémique à chaque période estivale tend à susciter encore et toujours les plus profonds questionnements.

Et pour cause, chaque année les adeptes de bains de soleil et de farniente bien méritée se confrontent à la même interrogation : pourquoi les gens viennent se coller à notre serviette sur la plage, a fortiori lorsque cette dernière dispose suffisamment d’espace pour accueillir tous les vacanciers dans le respect de l’espace vital de chacun ?

Pourquoi une telle avidité irrationnelle de promiscuité alors que le mercure flirte avec la température d’un four à chaleur tournante et que l’on a passé les 10 derniers mois à se plaindre de cette même promiscuité entre les strapontins de la ligne 13 ou à la caisse du supermarché ?

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D’ailleurs le phénomène ne se limite pas aux seules étendues de plage plus ou moins idylliques : parcs et jardins publics sont également touchés par ce réflexe paradoxal de la nature humaine.

Instinct grégaire et socialisation mimétique

Pour Claire Breton, psychopraticienne en Analyse Transactionnelle, la réponse est à rechercher du côté de la psychologie sociale et de ce que cette discipline appelle communément l’effet de conformisme et de normalisation.

“La personne qui vient poser sa serviette juste à côté de la nôtre est poussée par le respect inconscient d’une norme informelle, d’un rôle prescrit sans autorité de ce qui est attendu d’un vacancier, c’est-à-dire être vu au côté d’autres vacanciers”, explique-t-elle.

La spécialiste cite également le sociologue et anthropologue Gustave Le Bon qui, déjà en 1895 dans son ouvrage fondateur La psychologie sociale des foules parlait du lien communautaire qui unit les individus autour d’une foule et des comportements primitifs auxquels ils peuvent ainsi être ramenés.

C’est un réflexe inconscient, c’est le fameux instinct grégaire qui pousse les individus à se rassembler et à s’imiter”, précise Claire Breton, citant la loi de l’imitation inconsciente du psychosociologue Gabriel Tarde.

“Cet instinct, moteur de l’activité humaine, réagit par une socialisation mimétique, au sentiment de solitude. C’est ce qu’on appelle une 'sympathie', non pas au sens amical du terme mais dans ce qu’il permet de s’accorder avec les états actifs et émotionnels des autres”, poursuit-elle.

Autrement dit, certains êtres humains auraient le réflexe inconscient de poser leur serviette tout près de la nôtre parce qu’ils souhaitent instinctivement ne pas être seuls à faire la même chose. Un comportement un brin "moutonesque" donc, qui permet de se dédouaner de toute prise de décision et de responsabilité face à un acte donné, aussi anecdotique soit-il.

Mais, si elle semble de toute évidence inhérente à la nature humaine, pourquoi cette attitude nous irrite-t-elle autant que le retard d’un Colissimo ou les cris d’un enfant dans un OuiGo ?

L'agacement du collé : un sentiment de rébellion affirmé

Selon Claire Breton, cet agacement découlerait naturellement d’un autre instinct tout aussi humain : celui qui nous pousse à faire (et penser) différemment des autres.

“La théorie de l’Analyse Transactionnelle parle d’une attitude qui invite à se comporter dans un mode relationnel dit Enfant Rebelle, c’est-à-dire en rébellion avec ce que veut la norme, soit une forme d’entité se voulant plus parentale et qui nous invite à faire 'comme tout le monde"', explique-t-elle.

En cause ? Une sensation d’envahissement de notre espace vital qui nous incite à nous rebeller et à nous mettre en opposition à ce que fait le commun des mortels, dans un élan de revendication identitaire inconscient.

“S’émanciper de ce que font les autres, c’est aussi une manière de se positionner, de s’affirmer selon un adage qui reviendrait à dire : 'je me différencie donc je suis'”, résume la psychologue.

La distance de sécurité à respecter

Pourtant selon un sondage réalisé par TripAdvisor sur le sujet, il est communément admis que l’existence (et le maintien) d’un espace vital en zone de plage reste essentiel à son confort balnéaire.

Réalisée aux États-Unis en 2012 et relayée par le site Psychology Today, l’étude dévoile même qu’il y aurait une distance de sécurité à respecter entre chaque serviette.

Problème ? Elle n’est pas la même pour tout le monde. Sur une plage victime de son succès, 27% des personnes interrogées estiment que 1 mètre suffit tandis que 26% exigent au moins 2 mètres d’écart avec leur voisin de plage. Et sur une plage préservée de tout mouvement de foule ? 34% s’attendent à une distance de 7 mètres alors que 18% se contentent d’une distance de 4 à 5 mètres. Ou quand la promiscuité se fait, elle aussi, question de perspective.

Et si la nôtre reste plus restrictive, il en est de notre survie en société que d’apprendre à répondre à ces micro-invasions de façon civilisée.

Rester ou partir ? Telle est la question

En effet comment réagir décemment lorsqu’une personne, un couple ou toute une famille entière s’installe, glacières et animaux de compagnie compris, à une distance non-raisonnable de notre serviette ?

Là encore, notre réponse va dépendre de notre capacité à nous conformer (ou non) aux normes et éthiques sociales. “La manière dont on va réagir dépend beaucoup de l’habitude que l’on a d’attendre ou non l’adhésion de l’entourage, dans nos rapports sociaux”, souligne Claire Breton.

Selon notre experte, la réaction la plus appropriée serait de développer en nous un mode relationnel dit de l’Enfant Libre, c’est-à-dire libéré de l’influence d’une norme inconsciente ou implicite.

“Si je me sens mieux plus loin, je fais fi de la pression inconsciente qui pèse sur moi, à savoir d’être proche des autres et je me déplace, au risque d’être estampillé comme marginal”, conseille-t-elle.

Autre possibilité ? Ouvrir le dialogue avec l'envahisseur sur un mode non-violent et tenter d’obtenir un compromis en agitant un drapeau blanc.

“Je peux aussi demander à mon nouveau voisin, avec le sourire bien sûr, de se déplacer de quelques centimètres s’il ne veut pas risquer de se prendre un jet de sable malencontreux”, propose également la psychologue. Le but ? Agir conformément à nos besoins et ce qui nous convient, sans ruminations ultérieures et pouvoir, enfin, se sentir bien.