Lorsqu’elle décide de quitter sa brillante carrière d’ingénieure pour se lancer dans le stand-up, la Canadienne Salma Hindy doit faire face à ce qu’elle redoutait le plus en optant pour une telle reconversion professionnelle : la désapprobation de ses parents.

“Je n’arrivais pas à accepter le fait que ceux que j’aime le plus au monde ne soient pas heureux de ce que je fais", raconte-t-elle dans une conférence TedX UofT intitulée Why people-pleasing is hurting you ?, diffusée en mai 2019 sur Youtube.

"Et parce que j’avais plus leur approbation, j’ai commencé à la chercher désespérément auprès des autres", poursuit cette passionnée de comédie, décrivant alors un paradoxal mais profond mal-être. Jusqu’au jour où une amie bienveillante lui demande si faire marche arrière et abandonner ce nouvel objectif de carrière l’aiderait à se sentir mieux. Sa réponse ? "Absolument pas."

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Elle en a le cœur net. "Alors pourquoi me sens-je aussi mal ?", s’interroge-t-elle. "Parce que tu es une people-pleaser !", lui répond de but en blanc son amie.

Une révélation inattendue aux allures d’épiphanie pour la jeune femme, qui doit alors se rendre à l’évidence : son changement de carrière ne la rend pas heureuse car elle ne supporte pas qu’il ne fasse pas plaisir à ses parents. Et elle n’est pas la seule à être dans cette situation. 

Tous des people pleasers en puissance

“Nous sommes tous des people pleasers à plus ou moins grande échelle", admet-elle. "Mais si vous prenez systématiquement en compte l’avis des autres dans votre prise de décision, ou si vous utilisez vos relations personnelles comme des excuses pour ne pas poursuivre vos rêves, alors vous êtes un “people-pleaser"", prévient-t-elle durant sa conférence.

Au quotidien, ces individus se présentent toutefois différentes formes, parfois anecdotiques et imperceptibles. C'est celui ou celle qui, par exemple, accepte de remplacer un.e de ses collègues à la dernière minute alors qu’il ou elle avait déjà des plans de prévu. C’est celui ou celle qui se porte volontaire pour garder le chien du voisin qui part pour la 12e fois en vacances depuis le début de l’année. C’est celui ou celle qui prête son chargeur à sa moitié alors que la batterie de son propre smartphone est sur le point de lâcher.

Bref, c’est celui ou celle qui dit oui à tout, tout le monde, tout le temps, quitte à s’oublier, à se négliger, voire à se sacrifier. "C’est souvent la personne la plus gentille, la plus serviable et la plus généreuse que vous connaissiez. Vous savez que vous pouvez toujours compter sur elle car, de fait, elle a vraiment du mal à dire non et passe son temps à faire des choses pour les autres", résume Salma Hindy.

Plus généralement, ces personnes tendent à faire passer - souvent inconsciemment - les besoins des autres avant les leurs. Empathiques, à l’écoute, prévenants, ils culpabilisent à l’idée de refuser de donner un coup de main de peur de paraître égoïste et tendent à faire des choses qu’ils n’aiment pas ou qu’ils n’ont tout simplement pas envie de faire.

Ils sont même prêts à s'excuser pour un oui ou pour un non et à endosser une responsabilité face à une faute qu’ils n’ont pas commise. Problème ? Ils ne le font pas forcément pour les bonnes raisons. 

Donner plus pour recevoir plus

En effet, si l’on pourrait croire que le monde se porterait bien mieux s’il était peuplé de ces personnes, il faut toutefois garder en tête que ces derniers s’oublient dans le but - souvent inconscient - de recevoir l’amour et l’approbation de leur prochain.

"S’oublier, c’est ne pas être affranchi du regard des autres", commente Thierry Gaubert, thérapeute, conférencier et auteur de l’ouvrage Cesser de vous oublier. Respectez-vous pour mieux respecter les autres (Mardaga, 2021).

"Une personne est motivée dans ces mécaniques pour ne pas déplaire, pour ne pas décevoir, dans le but d’être aimée et compensée dans un manque d’estime de soi", poursuit-il.

En manque d’amour, l’enfant va chercher chez les autres ce qu’il n’a pas chez lui et tenter ainsi de recueillir cet amour et cette reconnaissance.

Et pour cause, ce besoin compulsif de plaire prendrait son origine dans des failles narcissiques, elles-mêmes conditionnées par une enfance fragilisée par des carences affectives et des besoins de reconnaissance non assouvis.

"L’oubli de soi est intimement lié à nos histoires éducatives. En manque d’amour, l’enfant va chercher chez les autres ce qu’il n’a pas chez lui et tenter ainsi de recueillir cet amour et cette reconnaissance", commente le spécialiste, précisant que s’ajoutent par ailleurs “des structures particulières de tempéraments”, qui vont favoriser un processus psychologique d’oubli de soi.

"Cela peut être aussi des personnes sensibles, avec le sens des valeurs, tournées vers les autres", envisage-t-il. Une tendance au don de soi exacerbé en somme, qui poussée à l’extrême, peut s’avérer un brin nocive et se retourner contre le principal concerné. 

Éreintés par le manque de réciprocité

Épuisement, frustration, voire colère et ressentiment : éreintés par le manque de réciprocité, ces personnes qui s'oublient au profit des autres finissent tôt ou tard par saturer.

"À force de dépenser beaucoup trop d’énergie, à accepter l’inacceptable, à être dans un forçage permanent, on s’épuise et on se rend compte qu’on ne reçoit pas à hauteur de ce que nous donnons", explique Thierry Gaubert qui rappelle qu’en dehors de certaines situations d’altruisme ou de dons purs, l’être humain a besoin de nourrir et d’être nourri par les autres.

"On va en vouloir à l’autre, à la terre entière, on va saboter les relations car on estime que le fautif est l'extérieur, l’autre, alors que nous sommes nous-même la problématique", poursuit-il. Une prise de conscience douloureuse qui peut prendre des allures de burn-out et de soudain repli sur soi, l'individu éprouvant souvent des difficultés à réajuster son sens de la gentillesse et de la serviabilité tant il a toujours fonctionné ainsi.

J’ai réalisé que chaque décision que j’avais prise dans ma vie avait été conditionnée par d’autres personnes.

Le conseil de notre spécialiste ? "Il faut trouver un équilibre entre son coeur, son corps, son mental et observer les situations en conscience afin de voir si ce que l’on dit et ce que l’on fait est un vrai oui ou un vrai non, pas un oui ou un non déguisé. Il faut s’assurer que l’on est bien aligné, loin des postures de sacrifices et de déni de soi".

Un cheminement difficile mais nécessaire, auquel s’est astreint Salma Hindy pour embrasser pleinement sa nouvelle carrière. "J’ai réalisé que chaque décision que j’avais prise dans ma vie avait été conditionnée par d’autres personnes. Faire de la comédie était la première qui m’appartenait vraiment…et c’était terrifiant !”, confie-t-elle, soulignant que l’on est parfois plus effrayé à l’idée de réussir que celle d’échouer, avant de conclure : "J’ai encore des hauts et des bas mais j’ai arrêté de rechercher à tout prix l’approbation des autres pour devenir enfin une version plus fidèle de moi-même".