Les pivoines jaunes ne seront pas prêtes pour la Fête des Mères. Elles ont trois semaines de retard sur le calendrier de l’an dernier. Hortense Harang est préoccupée lorsqu’on la rencontre dans son atelier, « Fleurs d’ici », logé dans le village alternatif des Grands Voisins (Paris, XIVe). Il va falloir rapidement trouver un plan B pour la créatrice de la première plateforme nationale de livraison de fleurs locales et de saison pour assurer l’un des plus importants événements de l’année. Car les fleurs d’Hortense Harang ne sont pas importées du Kenya, de Colombie ou de Hollande comme les 85% de bouquets vendues en France.

Des fleurs qui n'ont pas avalé de botox

En lançant avec son associée Chloé Rossignol « Fleurs d’ici », Hortense Harang a préféré importer le concept de Slow flower apparu dans les années 2010 en Angleterre. Autrement dit, un principe simple : des fleurs de saison issues des fermes florales de proximité, "à qui l’on n’a pas fait avaler de botox", souligne la femme de 40 ans, et livrées à domicile par vélo ou voiture électrique. "Nous avions deux principaux objectifs lorsque nous avons lancé « Fleurs d’ici » en 2017, explique la jeune cheffe d’entreprise. Redorer le blason de l’industrie de la fleur, - en soutenant les commerces de proximité, faire évoluer les modes de consommation."

On s'est retrouvées confrontées à des hommes qui nous ont vues comme deux gourdasses qui font de la fleur, des cruches qui vont ouvrir une boutique de doudou

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L’idée bourgeonne dans la tête d’Hortense Harang depuis quelques temps déjà lorsqu’elle décide de se lancer. Le déclic ? "Un petit producteur en bas de chez moi à l’époque, Place des fêtes, Monsieur Henri. Il vendait uniquement des bouquets de saison, des fleurs de jardin. Du lilas, du seringat. Ca m’a inspiré", raconte-elle malicieusement. Et puis évidemment, avec un prénom pareil, j’étais presque destinée à travailler au contact de la fleur, sourit Hortense Harang en se remémorant les dimanches en famille à la ferme à cueillir les plantes de saison, ou à avaler en cas de maux de tête, à défaut d’aspirine, de la Reine des Prés préparé par sa mère. "J’ai réalisé que des producteurs de fruits et légumes, des agriculteurs ou des poissonniers travaillaient depuis longtemps en circuits courts, mais que rien n’était fait pour cette filière industrielle polluante et non durable, poursuit la cheffe d’entreprise. Alors qu’il n’existe pas d’obligation légale de traçabilité sur les fleurs, qu’elles sont congelées, traitées avec des produits chimiques, qu’elles font des milliers de kilomètres et qu’elles sont programmées à durer un temps limité, je me suis dit qu’il fallait éveiller les consciences."

Sauver l'horticulture française

Hortense Harang se lance alors dans un combat nouveau. Elle participe à un concours, « Les audacieuses* », dont elle est lauréate, qui lui donne un coup de pouce pour démarrer son projet entrepreneuriale. Cette ancienne journaliste pour la BBC, qui a notamment couvert la guerre en Afghanistan ou la présidentielle de 2007 en France se trouve "confrontée à des hommes qui nous ont vues comme deux gourdasses qui font de la fleur, autrement dit pour eux, des cruches qui vont ouvrir une boutique de doudou, balance-t-elle. C’est la première fois que je n’étais pas prise au sérieux. J’étais face à des investisseurs, tous des hommes, qui ne comprenaient pas l’enjeu et l’importance du projet", regrette la cheffe d’entreprise qui grâce à une levée de fonds réussie, vise plusieurs millions de chiffre d’affaires pour 2019.

Ca ne l’a pas empêchée de développer sa petite entreprise. Elle commence en proposant ses services à des particuliers via son site Internet, puis décroche rapidement un contrat avec Orange, des marques de luxe telles que LVMH pour fleurir le siège et toutes les boutiques, ou encore Matignon pour la venue de la délégation chinoise il y a quelques mois. Grâce aux réseaux sociaux et aux outils de communication, elle développe également une appli de gestion des demandes et des envois de bouquets. "On est implantées dans toute la France auprès de cent fleuristes, et on commence à avoir des demandes de l’étranger, principalement de Belgique et d’Italie".

Mais Hortense Harang, malgré son langage d’experte du management digne des entreprises du CAC 40, assure ne pas avoir vocation à être à la tête d’une grosse usine. Elle dirige 10 personnes dans son atelier et ambitionne dans les années à venir être comparable à un Interflora visant à "sauvegarder l’horticulture française tout en soutenant une industrie représentée en majorité par des femmes". 85% des fleuristes sont en effet des femmes. "Ca me va si j’apporte des revenus complémentaires aux boutiques qui travaillent avec nous, se réjouit-elle. Mais en étant vue comme ce que je suis : une entrepreneuse qui créé de l’emploi et fait tourner une industrie en développement". Qu’on se le dise.

*Les Audacieuses, concours de la Ruche Factory