Longtemps ramené à sa seule dimension religieuse, le pardon est avant tout un pansement émotionnel - c'est en tout cas ainsi que le qualifie la science. 

Une micro étude conduite en 2013 par des scientifiques italiens et dont les résultats ont été publiés dans la revue Frontiers in Human Neurosciences révélait ainsi "un lien entre le pardon et le soulagement subjectif, ce qui soutient son utilisation dans des contextes thérapeutiques comme aide au soin de la santé mentale”, écrivaient-ils.

Sauf que mal positionné, ce pansement semble faire plus de mal que de bien. Parfois même, il semble se transformer en un plâtre qui nous empêche d'avancer. “J’ai tendance à avoir le ‘je ne t’en veux pas’ facile, sauf que plus le temps passe et plus je me rends compte que je m’accroche toujours à ces choses que je suis censée avoir pardonné”, acquiesce Marie, 25 ans. 

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Cette habitude à laisser passer, c’est un concept que l’on pourrait taxer de “faux pardon”. S'il n'est pas conscient - en tout cas dans un premier temps - il interviendrait d’abord comme une réaction attestant de nos valeurs altruistes. 

Pourtant, au-delà de nous empêcher d’avancer, ce pardon non-accordé mais officiellement donné vient abîmer nos relations à l’autre, sans cesse ramené à ses erreurs, tout en endommageant notre santé mentale. 

De l'impossibilité de pardonner sans évaluer les dommages faits

Selon Catherine Demangeot, thérapeute de couple, l’une des plus grandes erreurs en matière de faux pardon découle du fait que nous laissons passer les choses “par conditionnement moral et non pas par envie réelle". Et tandis que la rancœur est mal vue, le pardon est signe de sagesse et de maturité.

“C’est ambivalent, mais je culpabilise de ne pas pardonner, notamment quand la personne s’est excusée. Pourtant, même si je pense passer à autre chose, au fond je sais que je ne peux pas m’obliger à accepter, juste pour être la bonne personne dans l’histoire. Donc la colère s'accumule”, relate Cécilia, 22 ans. 

Je culpabilise de ne pas pardonner, notamment quand la personne s’est excusée.

La spécialiste des relations indique que dans cette situation, le problème se trouve dans la perspective. On pense d’abord à l’autre, sans pour autant chercher à comprendre comment la blessure qu'il a initiée nous a marqué.

“C’est un peu comme si on était en pilote automatique et je me fais croire que j’ai effacé le passé et la blessure, alors que finalement je la renie”, complète-t-elle.  

L'incidence d'un faux pardon sur nos relations

Que ce phénomène se manifeste dans n'importe quelle relation humaine (familiale, amicale, amoureuse ou professionnelle), il n’est jamais bon pour la survie du groupe - ou du couple -, et c’est la science qui l’affirme. 

Dans une étude de 2018, issue du Western Journal of Communication, des scientifiques américains ont observé le pouvoir du pardon dans les couples. Ils ont ainsi dégagé le concept du “pseudo-pardon” ou du "pardon conditionnel", agissant comme un mécanisme de défense pour la personne blessée, mais également comme un "accélérateur de détérioration" pour la relation.

“Le pardon conditionnel peut fournir ce que nous appelons une 'protection émotionnelle' - c'est-à-dire un sentiment de sécurité - au partenaire blessé, mais peut également maintenir une plaie ouverte. Le pseudo-pardon peut installer un mal-être dans une relation parce qu'aucun pardon réel n'a été donné, ce qui, selon nos recherches, est de mauvais augure pour sa survie”, préviennent les experts.

Et à Catherine Demangeot d'arguer dans ce sens : “il ne faut pas oublier qu’on est un miroir. Est-ce qu’il y a aussi quelque chose que je ne me pardonne pas, en moi ? Il faut se libérer mutuellement, parce que celui qui ne pardonne pas refuse, inconsciemment, de lâcher ses blessures”, explique-t-elle.

Le faux pardon doit lui aussi être excusé pour avancer

“Finalement, dans mes relations amoureuses, quand je laisse passer des choses - qui ne sont "pas graves comme une tromperie", tient à préciser la jeune femme - j’y reviens toujours, dans les disputes par exemple. Et ensuite, on me reproche de remettre des choses 'acceptées' sur le tapis, et c’est synonyme de conflits sans fin", admet Marie.

On me reproche de remettre des choses 'acceptées' sur le tapis, et c’est synonyme de conflits sans fin.

En réaction, Catherine Demangeot cite la pensée du psychosociologue et écrivain Jacques Salomé, qui avance que “chacun est responsable, à 100%, de son bout de la relation”, rappelle-t-elle.

“Si je fais du mal, en étant malfaisant ou maladroit, je ne suis responsable que de ce que l’autre me partage quant à sa répercussion sur lui et donc pas de sa réaction émotionnelle cachée ou inconsciente”, explicite la thérapeute de couple. 

Ainsi, des incompréhensions dans la relation se cristallisent, au sein du groupe, mais également au niveau de l'individu. Plongés dans le flou de ce que l’on (et de ce que l’autre) accepte ou pas, difficile de (re)créer un dialogue sain. 

“Le pardon, c’est le demander à l’autre, il faut donc prendre en compte sa situation et si on ne comprend pas, en nous, ce qui nous a blessés, on ne peut pas pardonner. Il faut regarder ce que j’ai oublié de faire pour moi et ce que ça a réveillé chez moi. Et quand l’autre ne comprend pas alors que demander pardon c’est mettre les choses à plat, on n’avance pas. Parce que les reproches et les ressentiments vont persister”, souligne Catherine Demangeot. 

Pour vraiment pardonner, il faut communiquer 

Sauf qu’au lieu de se tourner vers celui ou celle qui nous a blessés, nous sommes nombreux.ses à faire l’autruche en minimisant les situations qui affectent notre santé mentale. 

“À quoi bon remuer le couteau dans la plaie ? Après tout, si je reste bloquée sur une chose, on ne pourra pas avancer non plus. Et je suis partisane de l’idée que le temps guérit également”, nuance Cécilia, qui confie toutefois “avoir du mal à évoquer ses émotions sous peine de froisser l’autre”.

Si enfouir le problème en accordant un “je te pardonne” pour qu’il disparaisse n’est souvent pas une solution pérenne, à l’inverse, témoigner de sa grâce n’est pas toujours évident. 

Le vrai pardon c’est le don réciproque : le recevoir et le donner.

“Le problème avec le fait de parler d'un problème ou de dire à quelqu'un 'je te pardonne', c'est que cela demande beaucoup d'efforts et blesse notre fierté, car cela peut signifier que vous renoncez à quelque chose que vous voulez. Alors parfois, les gens essaient des raccourcis qui semblent être de bons moyens de résoudre un différend mais qui ne fonctionnent finalement pas”, argue l’éditorialiste Arthur Brooks dans un billet pour The Atlantic.

Pour Catherine Demangeot, il n’y a pas de secret : la communication est la clé. 

“Dans la discussion tout le monde doit repenser sa responsabilité, parce qu’on minimise parfois les faits et leur impact sur la personne. Le vrai pardon c’est le don réciproque : le recevoir et le donner”, explique-t-elle. 

Pour autant, la spécialiste soulève que le pardon est personnel, et que les situations et actions ne sont pas toutes pardonnables. “Il ne faut pas que ce soit une injonction non plus, l’idée c’est d’avoir toutes les cartes en main et de savoir les utiliser, seul.e ou à plusieurs, pour ne plus constamment faire couler de l’acide sur sa plaie”, termine-t-elle.