Le tout premier rôle de Kate Winslet au cinéma. En 1994, la jeune actrice incarne l'adolescente Juliet Hulme dans Créatures célestes de Peter Jackson. Le réalisateur néo-zélandais a adapté une affaire de matricide qui a secoué son pays quatre décennies auparavant. 

Le 22 juin 1954, Juliet Hulm, 15 ans alors, et son inséparable amie Pauline Parker, assassinaient la mère de cette dernière, après l'avoir attirée au parc Victoria de Christchurch, assénant sur sa tête plus de vingt coups d'une demie-brique qu'elles avaient glissée dans une chaussette.

La découverte du secret d'Anne Perry

À l'aube de la sortie de ce drame et du lancement de la carrière de Kate Winslet, celle d'Anne Perry, autrice de polars historiques à succès est, elle, déjà au sommet. À 56 ans, la romancière a publié une vingtaine d'ouvrages, sur les 70 de sa prolifique carrière, vendus au total à plus de 25 millions d'exemplaires, et traduits dans quinze langues.

Mais c'était sans compter sur la curiosité d'un journaliste néo-zélandais, qui a investigué, et révélé, alors que le film se dévoile au public, que la jeune meurtrière n'est autre que la populaire et primée Anne Perry. Celle-ci apprit l'existence du film et de l'enquête journalistique par un appel de son agent littéraire, la veille des premières projections dans les salles obscures. Son éditeur tomba des nues.

Comme lui, ses amis n'avaient aucune idée de son passé de tueuse. La presse s'agite alors, traque la concernée, qui se mure dans le silence.

Pas un mot, pas une explication. Alors, ses romans, qui mettent en scène la mort et d'autres thèmes sombres, comme les erreurs judiciaires, la folie, ou les secrets de famille, se mettent à parler pour elle. Ou plutôt, on les fait parler : ils sont subitement lus à la lumière de cet acte pour lequel elle fut dans une autre vie reconnue coupable et condamnée.

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Plusieurs parallèles entre la fiction et la réalité

L'historienne et biographe Joanne Drayton a ausculté son écriture et même établi, dans son récit Search Anne Perry paru en 2011, plusieurs parallèles entre les expériences traversées par l'écrivaine et celles de ses personnages.

"Ce qui caractérise Anne Perry, c'est qu'elle a commis l'acte primal qui est le point de départ de n'importe quel roman policier. Le crime n'est plus purement narratif, elle est réellement une criminelle. Écrire, pour Anne Perry, va être un moyen de transformer un événement extrêmement traumatisant en fiction, de travailler sur cette culpabilité initiale, analyse au micro de France Culture Thierry Robin, Professeur en études anglophones à l'Université d’Orléans, dans un épisode du podcast Sans oser le demander, consacré au parcours de la Britannique décédée le 10 avril 2023, à l’âge de 84 ans.

"Les thèmes du pardon, de la rédemption, vont donc être récurrents dans son œuvre. La rédemption est-elle limitée à une sphère sociale donnée ? Est-elle limitée dans le temps ? Je pense donc qu'écrire a été une forme de thérapie pour elle", avance l'interviewé. "Il est vital pour moi de continuer à explorer les questions morales", confiait en ce sens Anne Perry au Guardian en 2003, dans le premier entretien autour de cette affaire qu'elle accepta, neuf ans après la révélation publique de son passé. 

Et si l'on se plonge dans ce passé, rembobinons jusqu'au jour 1.

Un amitié exclusive, un acte prémédité

Juliet Hulme est née à Londres, en 1938. Si, avant l'éclatement de son lourd secret, elle ne contredit pas la presse qui écrit qu'elle a grandi en Grande-Bretagne, l'écrivaine l'aurait quittée pour la Nouvelle-Zélande à ses dix ans, lorsque son père, scientifique réputé, y est nommé recteur d'université. 

À l'âge de 13 ans, Juliet Hulme contracte la tuberculose. La maladie l'oblige à partir longuement du collège. Isolée dans une chambre d'hôpital durant trois ans, la jeune fille peut compter sur sa camarade Pauline Parker, avec qui elle entretient une intense relation épistolaire. Les adolescentes s'inventent un monde qui n'existe pas et s'y plongent pleinement. Ce qui inquiète les deux familles, aussi préoccupées par leur amitié fusionnelle et exclusive.

En 1954, Juliet peut enfin s'extraire ce décor froid hospitalier et retrouve sa vie extérieure. Seulement, rien ne semble à la même place qu'avant son entrée au sanatorium : elle surprend sa mère au lit avec un autre homme que son père, qui, lui, a perdu son travail, et les Hulme vont divorcer du fait de la révélation de cet adultère par l'adolescente, qui va être envoyée par ses parents chez une tante, en Afrique du Sud. Juliet propose à Pauline de partir avec elle vers cet ailleurs, emménager à ses côtés. Mais Honorah Rieper Parker, la mère de cette meilleure amie, s'oppose au projet.

Refusant d'être séparées, s'imaginant qu'il suffirait d'éliminer celle qui avait rejeté leur plan, les deux filles tendent un piège à la mère de Pauline, pour l'entraîner dans un parc de Christchurch, où elles la tuent à coups de brique.

"Je sentais que j'avais une dette à rembourser [envers Pauline Parker, ndlr] assurait Juliet Hulme alias Anne Perry au Guardian. Pauline était la seule à m'avoir écrit quand j'étais à l'hôpital, et elle menaçait de se suicider si je ne l'aidais pas. Elle vomissait après chaque repas et perdait du poids tout le temps. Je suis sûre maintenant qu'elle était boulimique. Je croyais vraiment qu'elle se suiciderait et je ne pouvais pas y faire face."