Sur la plage, dans les bois, sur un balcon, une terrasse, une chaise longue ou un canapé, les vacances sont l'occasion parfaite pour se plonger dans une aventure littéraire qui permet de déconnecter quelques minutes, quelques heures, le temps qu'il faut pour savourer pages après pages.

Qu'il s'agisse d'un polar de voisinage dans un quartier résidentiel aisé qui voit son équilibre menacé par un nouvel arrivant (Bien sous tous rapports), ou alors une ode nostalgique aux vacances aux rebondissements tragiques (Des vacances vintage), il y a forcément un roman qui vous intéresse dans cette sélection estivale.

Vidéo du jour
1/6

Un thriller poil à gratter : "Bien sous tous rapports", de Louise Candlish

JONNY RING/Presse

Si ce roman n'était qu'un polar, il boxerait déjà dans le haut du panier, tant son autrice ménage les suspenses, les coups de théâtre, les faux-semblants, avec maestria. Mais plus que ça, Louise Candlish mêle génialement aux codes du genre la satire sociale, décochant de drôles de flèches vers ces riches Londonien·nes qui ne jurent que par l'entre-soi.

Car tout est d'abord homogène à Lowland Way, la petite rue fictive où le drame se noue : maisons coquettes, pelouses au cordeau, femmes au foyer, bambins qui jouent dehors. Jusqu'à ce que la vieille dame du n°1 décède et que son logis tombe entre les mains d'un neveu qui a le mauvais goût d'être garagiste, d'écouter du hard-rock et d'entamer lui-même des travaux, sans entrepreneur imaginez donc.

Le groupe Facebook des voisin·es s'enflamme. Les noms d'oiseaux fusent. On en vient aux mains. Un accident aussi cocasse qu'abominable va faire éclater plus encore la communauté et jeter les suspicions sur tou·tes. La métaphore grinçante d'une capitale anglaise à deux doigts de l'invivable.

T.J.

Traduit de l'anglais par Caroline Nicolas, éd. Sonatine, 24,50 €.

2/6

Une autofiction irradiante : "Generator", de Rinny Gremaud

SOPHIE BASSOULS/PRESSE

Une quête du père sur fond de centrales atomiques, voilà à quoi nous convie, avec autant de drôlerie que de sensibilité Rinny Gremaud dans son deuxième roman. L'autrice a vu le jour en 1977 à deux pas du réacteur de Kori, en Corée du Sud : sa mère, Coréenne, y travaillait, son père biologique aussi, ingénieur anglais qui dispensait son savoir-faire nucléaire de par le monde. Il quittera vite les lieux.

La mère et la fille s'installeront en Suisse, où la petite Hyerin sera rebaptisée Rinny par l'état civil et prendra le nom de son beau-père. Alors, comme une reporter de l'intime – Gremaud est aussi journaliste, rédactrice en chef de T, le magazine du quotidien Le Temps –, l'écrivaine va fouiller l'histoire de son géniteur qui fait corps avec celle de l'atome.

Entre Pays de Galles, Taïwan et Michigan, entre circuits de refroidissement et uranium enrichi, c'est la cartographie d'une absence qui se déploie, mais aussi celle, vertigineuse, d'une industrie qui tient entre ses mains toutes nos vies.

T.J.

Éd. Sabine Wespieser, 21 €.

3/6

Un road trip déjanté : "Sale menteuse", de John Waters

GREG GORMAN/Presse

Pape du mauvais goût érigé en grand art, génie du grand n'importe quoi, le cinéaste John Waters a commis entre 1968 et 2004 une douzaine de longs métrages jouissifs, aux castings desquels Melanie Griffith, Christina Ricci et surtout Divine, sa muse dragqueen iconique, s'adonnent à tous les excès.

À 77 ans, il sort un premier roman qui n'a pas le trash de ses films mais qui n'en est pas moins caustique, absurde, hilarant, course-poursuite hallucinée entre une voleuse de bagages, Marsha, et toutes celles et ceux à qui elle a fait les poches : sa fille Poppy qui règne sur une troupe de trampolineuses folles, sa mère Adora, chirurgienne esthétique pour chiens, son ex-chauffeur Daryl, doté d'un pénis parlant.

Mytho de haut vol et méchante au possible, notre héroïne lance des rumeurs de crashs d'avion dans les aéroports, insulte les quidams, change de perruque à tout va pour toujours plus de larcins. Une célébration "anar-queer", en somme, des féminités rugueuses et de tous les grimages. 

T.J.

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laure Manceau, éd. Gaïa, 22,80 €.

4/6

Des vacances vintage : "Accès direct à la plage", de Jean-Philippe Blondel

CEDRIC LOISON/Presse

Sur ce roman court mais labyrinthique, butinant entre Hyères, Capbreton, Perros-Guirec et Arromanches, embrassant trois décennies de 1972 à 2002, une nostalgie plane. Celle des Clubs Mickey où les gosses socialisent pour que les parents soufflent, des locs saisonnières exiguës où l'on revient pourtant chaque été : quelque chose d'avant les vols low cost et Airbnb.

D'un chapitre à l'autre se dessine alors une nébuleuse de personnages qui comptent les uns pour les autres, même si certains se croisent à peine, avec entre eux des histoires minuscules, si banales qu'on s'y reconnaît tou·tes : couples qui prennent l'eau, nouveaux élans amoureux, dragues qui font chou blanc, félicités estivales – avec en sous-texte, quand même, des drames innommables qui affleurent.

Publié en 2003 aux éditions Delphine Mon-talant, aujourd'hui disparues, ce premier roman de Jean-Philippe Blondel reparaît aujourd'hui chez Finitude, belle maison bordelaise, comme une carte postale vintage qui nous donnerait des nouvelles douces-amères de la fin du siècle.

T.J.

Éd. Finitude, 17 €.

5/6

Une plongée dans l'Amérique abandonnée : "Absolutely Nothing", de Giorgio Vasta et Ramak Fazel

ULF ANDERSEN/Presse

Le visage de Giorgio Vasta, tel qu'une photo récente le présente, ressemble à son projet d'Amérique oubliée : une surface lisse, étudiée à la loupe par deux yeux sémaphores qui ne perdent rien de ce qu'ils voient.

Cet écrivain italien s'est embarqué avec le photographe Ramak Fazel ainsi qu'une complice cartographe dans une aventure qui, à première vue, semble rabattue : une exploration des lieux incongrus et pittoresques d'une Amérique de passage, celle des projets industrieux, commerciaux ou ludiques délaissés à peine la rentabilité écornée. Jean Baudrillard en avait tiré un ouvrage inoubliable.

Mais notre explorateur palermitain ne se contente pas de relater ses traversées de villes fantômes, de parcs d'attractions rouillés, de motels aux piscines vides, de cimetières d'avions, il interroge un être dont il ne sait rien, un sphinx énigmatique caché parmi les multitudes de ce grand "rien" : lui-même. Un récit métaphysique plus qu'un ouvrage de voyage qui renouvelle le genre avec bonheur.

F.G.

Traduit de l'italien par Louise Boutonnat, éd. Verdier, 24 €.

6/6

Une dystopie solitaire : "Après nous les oiseaux", de Rakel Haslund

SOFIE AMALIE KLOUGART/Presse

Elle marche seule, dans l'île dévastée. Elle n'a plus de nom et se souvient d'Am, son âme double aimée dont on ne sait à quel sexe elle appartenait. Mais Am a disparu, avalé·e par ce déluge des temps modernes, celui de la folie des hommes, celui du feu de la guerre, de l'industrie meurtrière et de l'extinction finale.

Elle marche pour atteindre la mer où peut-être quelque chose a survécu. Elle ne s'arrête jamais ou alors tombe pour dormir. Dans ses rêves, une eau noire et lourde la recouvre peu à peu. Soudain, un oiseau surgit dans le ciel de ténèbres et se met à la suivre, ange protecteur chez lequel elle lit l'invitation au saut dans le vide...

Rakel Haslund nous offre à 35 ans un court roman habité d'une présence entêtante parce que la poésie des mots, vibrante et lyrique, fait corps avec la femme qui marche. Cormac McCarthy avait frayé le chemin en majesté avec La Route, Rakel Haslund ne démérite pas avec cette vision, comme écrite en transe, d'un désastre annoncé.

F.G.

Traduit du danois par Catherine Renaud, éd. Robert Laffont, 18 €.

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