16 heures, sur le fuseau horaire de la France métropolitaine. À cette heure-ci, chaque après-midi depuis le 11 avril 2022, les lives débutent sur YouTube et TikTok.

Johnny Depp attaque son ex-épouse, Amber Heard en diffamation, à la suite d'une tribune écrite par cette dernière et publiée en 2018 dans le Washington Post. Dans cet article, l'actrice américaine se présente comme un symbole des violences conjugales.

Voilà l'enjeu du procès : attester de la véracité de ces faits et définir l’impact potentiel que ces accusations auraient eu sur la carrière de l’acteur phare de la saga Pirates des Caraïbes.

Psychologues, amis, employés et membres de la famille défilent à la barre, sous le regard des dizaines de personnes présentes dans la salle d'audience, mais aussi, celui de centaines de milliers de spectateurs qui épient, en direct, les témoignages scabreux.

Comme souvent aux États-Unis, l’intégralité du procès est filmée et diffusée de manière publique, bien qu’il soit possible pour les différentes parties de refuser une quelconque captation.

Entre série Netflix et voyeurisme assidu

En plus de certaines chaînes de télévision américaine, comme CBS ou CNN, qui relaient des extraits d'audiences, plusieurs chaînes YouTube diffusent en direct l’intégralité du procès. Soit plus de 8 heures d'enregistrement quotidien.

Depuis qu'ils traitent de l'affaire Heard-Depp, ces comptes rencontrent un véritable succès.

La chaîne Law & Crime Network par exemple, est passée de 744 000 abonnés, au 9 avril 2022, à près de 2 millions un mois plus tard.

En moyenne, leur live de l'audience du jour est visionné par 500 000 personnes en simultané. L'une de leur vidéo du procès ultra-médiatique a même atteint un pic à 29 millions de vues au total.

Vidéo du jour

Alors, comment expliquer un tel engouement ? Bien sûr, la nature du procès joue. Les deux parties, mondialement connues, brouillent tous les codes et créent une mise en abîme dans laquelle le spectateur perd ses repères : "Suis-je en train de regarder une fiction ou une affaire grave et bien réelle ?".

Il y a un risque d’induire des comportements chez les personnes qui sont filmées.

Pour Nathalie Rehby, directrice de Satellitis, agence de conseil en communication dédiée exclusivement aux avocats, la diffusion de ces audiences n’a rien de neutre.

"Il y a un risque d’induire des comportements chez les personnes qui sont filmées, et il y a des réalisateurs qui décident des plans, de ce qu’on montre", estime la spécialiste, préoccupée. Le tout, en permettant le montage et le détournement des vidéos.

Par ailleurs, regarder, seul·e derrière son écran, un live "brut" d'un procès, est une chose bien différente que consulter, par exemple, des live-tweets d’audiences réalisés pas des journalistes spécialisés dans les questions judiciaires. "Il y a un problème de pédagogie, les connaissances juridiques du grand public sont très limitées, quand il n’y a pas de médiation, on ne comprend pas forcément", pointe Nathalie Rehby.

Là où, sur YouTube, chacun est livré à lui-même, "le journaliste écoute tout, puis comprend ce qu'il s’est passé au cours de la journée. Il y a un travail d’explication, de mise en contexte", insiste la communicante.

Pas de procès en live prévus en France

Mais quel impact cette captation en direct a-t-elle vraiment sur le processus judiciaire ? "Le principe du procès, c’est la sérénité, résume Nathalie Rebhy. C'est pourquoi la vidéo est très crainte par les avocats. L’espace de défense doit rester vraiment libre. La véhémence d’une plaidoirie ne doit pas être contrainte par la présence d’une caméra."

Si en France, à l’exception du Conseil constitutionnel, les caméras et les micros sont pour l'heure bannis des tribunaux, tout va bientôt changer.

La loi pour la confiance au sein de l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 permet désormais de filmer un procès "dans un but pédagogique".

Attention, pas question de retrouver ces enregistrements au fil de l’eau sur Internet : "On ne pourra le diffuser et l’étudier qu’après une décision définitive", détaille Nathalie Rehby. 

Un accord avec France télévisions a été signé. Le groupe du service public pourra proposer des émissions revenant sur des affaires judiciaires, dans l'unique visée de les décrypter, les réexpliquer.

En attendant, les spectateurs avides de détails sur l’affaire Depp-Heard pourront visionner les audiences en direct jusqu’au 27 mai 2022, date des dernières plaidoiries dans le procès en diffamation.