La thérapie visuelle : le pouvoir thérapeutique de la contemplation et des belles images

Par Géraldine Dormoy-Tungate
thérapie par l'image
Dans notre société hyper-connectée, les images sont partout. Et si, plutôt que de subir leur emprise, nous choisissions de nous entourer de celles qui sont bonnes pour nous ? Leur impact positif sur notre santé physique et mentale est désormais scientifiquement prouvé et les réseaux sociaux, Pinterest en tête, démocratisent l'accès aux œuvres d'art. De quoi donner envie à chacun·e de se lancer dans sa propre collection de visuels “feel good”.

 En cas de baisse de moral, il m'arrive d'aller faire un tour sur la page de mon compte Pinterest", confie Mona Chollet dans son dernier essai, D'Images et d'eau fraîche (Éd. Flammarion). Depuis dix ans, elle nourrit en ligne une vaste collection de photos d'art, de tableaux et de dessins.

Une activité loin d'être anecdotique : "Cette évasion quotidienne me permet d'échapper à la tyrannie anxiogène de l'actualité", analyse-t-elle.

Si le monde ne va pas forcément plus mal qu'hier, mettre les mauvaises nouvelles à distance relève de plus en plus d'une démarche active. "Ça m'a sortie des flux d'informations qui finissaient par me donner une vision étroite et désespérante de mon environnement, nous confie la journaliste et autrice. J'ai pu retrouver une appréhension large du monde."

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Une forme d'art-thérapie contemplative

Ce changement d'attitude est rendu possible par la profusion inédite des images – nos téléphones en regorgent – et leur mise en circulation sur des plateformes visuelles. Pour la psychologue clinicienne Laure Mayoud, les confinements ont encore accentué le besoin de se raccrocher à des visuels réconfortants : "Privés d'accès à la nature, nous avons trouvé refuge dans la contemplation."

Fondatrice de l'association L'Invitation à la beauté, elle a inventé les Prescriptions culturelles, une forme d'art-thérapie associant parfums, peinture et poésie.

Durant ses consultations dans trois hôpitaux lyonnais, elle présélectionne des reproductions d'œuvres pour ses patient·es : "Mon choix se porte sur des artistes qui stimulent la capacité de narration. Je privilégie aussi les couleurs tendres et les thématiques apaisantes. Point de Picasso quand c'est déjà Guernica dans la tête de quelqu'un atteint de maladie grave."

Remplacer les images toxiques par des images douces

Accroché en face du lit du malade, le tableau crée une ouverture et devient un sujet de conversation avec les proches et les soignant·es. "On remplace les images toxiques par des images douces qui sortent de l'isolement", s'enthousiasme la thérapeute.

En 2019, une méta-étude de l'OMS sur les arts et la santé a confirmé ce que Laure Mayoud pressentait : l'analyse de plus de neuf cents publications scientifiques a prouvé que les activités artistiques et culturelles pouvaient améliorer la santé physique et mentale et compléter les traitements médicaux traditionnels.

L'œuvre peut constituer un tuteur de résilience, nous prendre par la main et nous guérir d'un traumatisme en élargissant notre point de vue.

Des résultats qui n'ont pas non plus étonné le neurologue Pierre Lemarquis. Dans son livre L'Art qui guérit (Éd. Hazan), il attire notre attention sur les neurones miroirs : grâce à eux, "nous nous adaptons à l'œuvre avec laquelle nous interagissons et à laquelle […] nous nous identifions". Reliés à une certaine zone du cerveau, ces neurones nous permettent même de ressentir l'œuvre de l'intérieur.

Une "empathie esthétique" capable de nous transformer : "L'œuvre peut constituer un tuteur de résilience, nous prendre par la main et nous guérir d'un traumatisme en élargissant notre point de vue, en nous faisant sortir de notre cage", écrit-il encore. 

L'art, un formidable outil d'introspection

L'art, par sa beauté, donne accès à plus grand que soi. Il constitue aussi un formidable outil d'introspection, notamment par sa capacité à nous reconnecter à notre passé. "Souvent, au fond d'une image qui me plaît, il y a une réminiscence de l'enfance", observe Mona Chollet.

Les images offrent "une archéologie intime". Au détour d'un cliché, on se retrouve face à une ancienne version de soi… ou à celle que nous souhaitons devenir.

Olympe, 55 ans, a toujours fabriqué "des cahiers d'inspiration à base de photos de magazines" : "Ces images sont autant de marqueurs d'identité. Désormais, c'est Pinterest qui m'offre un terrain de jeu infini. Le soir, bien calée dans mon lit, j'enrichis la rubrique “Mon style” qui raconte mieux qu'un portrait quelle femme j'aspire à être. Ce passe-temps est à la fois léger et profond, concret et débridé. Il me ressource et me permet de me construire."

Les tableaux de visualisation pour se reconnecter à soi et à ses envies profondes

Un mouvement de va-et-vient entre passé, présent et futur sur lequel s'appuie la coach de vie Anne-Françoise Lebrun pour construire ses "tableaux de visualisation". L'outil est si puissant qu'elle lui a consacré un livre : Réalisez vos rêves grâce au vision board (Éd. Le Lotus & l'Éléphant).

Au quotidien, on se met des barrières. Le “vision board” permet d'aller au-delà, de devenir une autre personne.

Cet "assemblage d'images, de mots et de décorations qui représentent ce que vous souhaitez avoir, faire et être dans votre vie » est plus qu'un simple collage. Elle y voit un moyen de s'immerger dans un monde qui n'a pas encore surgi : "Au quotidien, on se met des barrières. Le “vision board” permet d'aller au-delà, de devenir une autre personne."

À l'aide d'un travail préparatoire conséquent, on s'interroge sur ce que l'on a envie de vivre. On se laisse ensuite porter par l'énergie des images, puis on garde l'objet sous ses yeux. "C'est un catalyseur, le revoir permet d'apprendre à prendre confiance", énonce-t-elle.

 Accro aux images : un équilibre à trouver

Amasser des images rend-il accro ? Mona Chollet reconnaît qu'au début, elle s'est fait peur : "J'ai mis du temps à accepter que je ne pourrai jamais tout voir, que c'est une activité, que la vie c'est aussi autre chose."

Finalement, l'équilibre s'est fait naturellement, favorisé par le caractère solitaire des collections en ligne : "Pinterest et Tumblr ont beau être des réseaux sociaux, les relations y sont minimales, se félicite-t-elle. On ne se parle pas, on s'envoie juste des images, ce sont des gens que je ne connaîtrai jamais. J'aime ce mélange de familiarité et d'ignorance."

Olympe abonde : "Je m'autorégule. C'est un plaisir auquel je m'adonne seule, une pratique quasi méditative. Je ne cherche pas à partager ni à être suivie, c'est un espace intime bien qu'accessible, que je nourris sans frénésie". L'absence d'ego dans une quête de beauté sincère et personnelle facilite les choses.

Rechercher des images vivantes

À cela s'ajoute une évidence que Pierre Lemarquis prend soin de rappeler : "Le digital ne remplacera jamais la réalité, une reproduction ne sera jamais aussi belle que l'œuvre originale."

J'ai plongé dans les images pour échapper à l'écrit et, finalement, c'est ce qui m'a donné envie d'y revenir, d'écrire à mon tour.

C'est pour cette raison que Laure Mayoud finit par inciter ses patient·es à rechercher des images vivantes. "Je les invite à sortir de chez eux pour contempler la nature et remplacer leurs images intimes douloureuses par leurs propres photos prises dehors", explique-t-elle.

On touche là au pouvoir créateur des images : elles poussent à s'exprimer à son tour. Même Mona Chollet, peu encline à la pratique de la peinture ou de la photo, reconnaît un pouvoir transformateur à sa collectionnite : "J'ai plongé dans les images pour échapper à l'écrit et, finalement, c'est ce qui m'a donné envie d'y revenir, d'écrire à mon tour", s'étonne-t-elle.

Un voyage intérieur qui n'a pas besoin du numérique

Pour amorcer un rapport fructueux aux images, se connecter à une plateforme visuelle n'a rien d'une obligation. "On peut procéder à l'ancienne, découper des pages dans les magazines ou acheter des cartes postales", suggère Mona Chollet. Dans son livre Méditer avec l'art (Éd. Eyrolles), la thérapeute Marjan Abadie propose de son côté un "voyage intérieur immersif dans les œuvres d'art" mêlant méditation et poésie soufie.

Chez soi ou au musée, face à l'œuvre véritable, on se laisse "glisser dans un espace d'écoute corporelle, à travers ses ressentis et non son mental".

Enfin, si vous souhaitez vous lancer dans un "vision board", sachez qu'il ne s'agit pas forcément d'une entreprise solitaire : "On peut en créer un en couple, en famille ou entre amis, en s'appuyant sur le foisonnement d'idées des autres, précise Anne-Françoise Lebrun. On prend plaisir en le faisant, puis dans le futur, quand les images deviennent une réalité."

Article publié dans le magazine Marie Claire 846, daté mars 2023, publié en février 2023

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