Silence, ça tourne ? Si la vie est riche d’expériences et de rencontres, il arrive qu’elle ne réponde pas entièrement à nos attentes et que certain.e.s d’entre nous souhaitent apporter quelques modifications au script.

Nos voisins anglo-saxons ont observé un comportement bien particulier en ce sens, qui existait déjà depuis bien longtemps, mais exacerbé par l’existence des réseaux sociaux : le "syndrome du personnage principal".

Ce mécanisme parfaitement humain consiste à se considérer comme l’héroïne, ou le héros, d’une version fictive de sa vie.

Si cette démarche ne semble pas mauvaise de prime abord, elle comporte toutefois quelques risques.

Une vie parfaite souvent exposée sur Internet

Aussi appelé "syndrome du premier rôle", le syndrome du personnage principal implique une volonté d’investir le premier plan.

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Pour le professeur de psychologie Phil Reed, le terme reste toutefois vague. "Cela fait référence à un large éventail de comportements et de pensées, mais, à l’origine, à une personne qui se présente, ou s’imagine, comme l’acteur.rice principal.e, le leader, le héros ou l’héroïne dans une sorte de version fictive de sa vie, et surtout qui présente cette vie sur les réseaux sociaux", développe l’expert à Psychology Today.

Beaucoup de personnes présentent en effet de fausses versions d’elles-mêmes sur Internet. Le lieu y est propice : on choisit ce que l’on veut bien montrer.

"L’anonymat offert par la communication numérique permet aux gens de se réinventer ou, dans des cas extrêmes et potentiellement dangereux, de présenter des versions entièrement fausses d’eux-mêmes, beaucoup plus facilement", ajoute le professeur de psychologie.

Au quotidien, ce syndrome se présente par le biais de personnes qui se croient au centre de l’attention, donc peu capables d’écouter les autres, qui n’acceptent pas vraiment la critique et considèrent que leur vie et leur personne sont parfaites.

Se réinventer de l’enfance à l’âge adulte, quelle différence ?

Pourtant, s’imaginer comme le personnage principal d’une autre vie n’est pas surprenant. Il est même courant chez les enfants qui s’imaginent souvent être le héros ou l’héroïne d’une série ou d’un film en s’inspirant des personnages vus à l’écran ou dans les livres. Et ce réflexe est plutôt normal pour leur bon développement.

Mais, la différence est que l’enfant sait qu’il joue. "Il n’y avait pas de débat sur le fait que c’était un jeu quand on était petit, alors que, chez l’adulte, c’est difficile de voir la frontière entre le réel et la fiction", avance Delphine Py, psychologue spécialisée en thérapies cognitives et comportementales. "Là, il y a un jugement sur la vraie vie." 

Car s’imaginer comme le personnage principal d’une vie fictive peut être le signe d’une volonté de fuir une réalité peu plaisante. "Si quelqu’un a besoin de se réinventer, il est plus que probable qu’il y ait un problème fondamental dans sa vie et/ou son environnement", affirme le professeur Phil Reed.

Ce syndrome rappelle d’ailleurs à Delphine Py les rêveries compulsives, qu’elle croise souvent en consultation. Les personnes qui les vivent passent des heures à rêver, se désintéressent de leur vie, car leur vie rêvée est meilleure. Et il est souvent difficile d’en sortir.

Le syndrome du personnage principal et ses avantages

Mais ce syndrome du personnage principal, qui n’est pas un syndrome reconnu par la communauté médicale, n’est pas constitué que de mauvais côtés.

Sur TikTok, le hashtag "MainCharacterEnergy" comptabilise 736 millions de vues. Des milliers d’internautes donnent leurs conseils sur la meilleure façon de romancer sa vie, en se comportant comme un premier rôle, pour mieux en profiter. Il s’agit là d’une tendance, qui n’est pas nécessairement malsaine.

"À l’âge adulte, ce n’est pas forcément un problème. Il y a un avantage à ne pas subir son existence. On se pose des objectifs de vie, on sait où on veut aller", analyse Delphine Py. "Le fait de se projeter peut aider à atteindre ses objectifs et peut faire office de réconfort", ajoute l’experte.

Car le fait de visualiser sa vie est assez puissant. La méthode de la visualisation est d’ailleurs un outil thérapeutique qui aide beaucoup les sportif.ve.s de haut niveau qui travaillent sur leurs performances, renchérit notre experte.

D’une certaine manière, la démarche peut nous placer dans un état d’esprit qui favorise la réalisation de ce que l’on convoite. C’est aussi une façon de voir sa vie avec une perspective différente, jonchée de chapitres qui se succèdent. Avoir le cœur brisé ne ferait alors partie que de la trame du chapitre 3. Au chapitre 4, le chagrin sera surmonté et la confiance en soi reboostée.

Où est la limite ?

Mais, poussé à l’extrême, le syndrome du personnage principal peut faire penser à un trouble de la personnalité narcissique. "Cette personne voit tout à travers elle, comme si elle était le centre du monde. Cela peut rendre égocentrique et couper des relations sociales", met en garde Delphine Py.

L’experte rappelle toutefois qu’il s’agit d’un mécanisme très humain de vouloir s’imaginer dans le rôle principal. Qui n’aspire pas à être aimé, apprécié, validé ? Comme pour toute chose, l’équilibre doit primer pour qu’un comportement ne nous heurte pas. Si ce syndrome rappelle par exemple les couleurs du narcissisme, cet amour de soi ne doit pas être totalement diabolisé.

Pascal Neveu, directeur de l’Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA), explique à Atlantico qu’il est même indispensable à notre équilibre psychique. "Je pense qu’une personne ayant un bon narcissisme, se portant une bonne estime de soi, a moins de risque de devenir le héros d’une vie qui n’existe pas", suggère l’expert.

Ce seront donc plutôt les personnes qui entretiennent une représentation négative d’elle-même et ayant peu de confiance en elles qui seront susceptibles de développer ce syndrome pour préserver leur Moi fragilisé. Et la démarche devient néfaste pour celui ou celle qui la vit en fonction des conséquences de celle-ci, du temps qui y est consacré ou de la fréquence lors de laquelle elle intervient, estime Delphine Py.

"Les gens peuvent rêver jusqu’à 6h par jour", avance notre experte, qui rappelle que cela devient dangereux "dès que cela crée des difficultés dans plusieurs domaines de vie, une mauvaise estime de soi, de la déprime ou de l’anxiété".

Ce syndrome, lorsqu’il est mal utilisé, est d’autant plus pernicieux qu’il s’installe petit à petit : en voulant montrer une meilleure image de soi, on finit par s’y perdre. Cela crée une pression telle qu’il devient difficile d’accepter les moments où cela ne va pas… et une solitude s’installe. Car ce qui crée le plus souvent les amitiés réside dans la capacité à se reconnaître dans les failles de l’autre. Et aussi à accepter les siennes.