Le temps a pour coutume de renfermer certains artistes dans des cases trop étroites pour la diversité de leurs talents. Les expositions comme les ouvrages existent pour réparer ces méprises récurrentes communes dans l’histoire de l’Art. C’est toute l’ambition de la première exposition monographique en France consacrée à l’artiste britannique William Morris. La Piscine de Roubaix poursuit son exploration des liens étroits qui unissent artistes, artisans et intellectuels en Grande-Bretagne avec son "automne anglais" dédié à l’oeuvre touche-à-tout, et surtout engagée, de la figure majeure du mouvement Arts&Crafts.

William Morris, enfant terrible des arts anglais

Aujourd’hui, le nom de William Morris évoque en priorité des papiers peints so british qui peuplent les intérieurs épris de formes naturelles à fort potentiel poétique. Mais derrière la marque anglaise réputée se dissimule un personnage essentiel de l’histoire des arts anglais de la période victorienne, méconnu des français. Un artiste, chef d'entreprise, peintre, dessinateur, fabricant, écrivain, journaliste dont les engagements politiques font plus que jamais échos à l’actualité et dont cette riche exposition dotée d’une centaine d’œuvres – papiers peints, tentures, mobiliers, peintures, dessins – veille à retranscrire tout l’avant-gardisme.

Vidéo du jour

Photo : William Morris (1834-1896) (dessinateur), Jeffrey &Cie (fabricant) The Pimpernel Vers 1876 Papier continu à pâte mécanique, fond vert brossé à la main, impression à la planche de bois en 6 couleurs. 70 x 56.6 cm Paris, musée des Arts décoratifs © Les Arts Décoratifs / Jean Thol

Né dans l’Essex en 1834, William Morris est issu d’une famille bourgeoise aisée. Il a pour projet initial de faire carrière dans les ordres. Sa rencontre avec plusieurs membres de la confrérie préraphaélite lui fait changer totalement de cap. Au contact de plusieurs architectes visionnaires comme Dante Gabriel Rossetti et Philip Webb (qui construira quelques années plus tard la fameuse bâtisse de Morris la « Red House »), il s’engage vers une voie artistique. Les préraphaélites sont en quête d’authenticité, de nature véridique, supérieure et livrée dans ses moindres détails via la peinture. William Morris se rangera du côté de ces enfants terribles qui en architecture comme en peinture affirment leur désir à contre-temps de réveiller le monde des arts et se rebellent face à la montée en puissance de la société industrielle qui va révolutionner l’ère victorienne. Morris se passionne pour les arts appliqués, mais rejette cette industrialisation promise comme seule avenir de la nation anglaise. Il la juge dangereuse car dépourvue de beauté concernant les choses produites et surtout peu soucieuse du bien-être de ses ouvriers.

Photo : Philipp Webb (1831-1915) pour Morris & Co Buffet Vers 1880 Paris, musée d’Orsay

En 1861, il fonde avec Peter Paul Marshall, Ford Madox Brown et Charles Joseph Faulkner la firme Morris, Marshall, Faulkner & Co. Edward Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti rejoignent un peu plus tard l’entreprise. Leur crédo ? Des artisans fabriquent dans la « dignité » des meubles et objets voués à embellir les intérieurs. Ces papiers peints, textiles, meubles, vitraux, céramiques dessinés par les artistes préraphaélites sont de très grande qualité et présente des matériaux nobles, finement travaillés et embellis. Un an plus tard, présentés à l’Exposition universelle de Londres, leurs travaux gagnent ainsi en notoriété. L’entreprise perdure jusqu’en 1940, date où elle prendra le nom de Morris & Co. Entre temps elle aura été sollicitée pour décorer avec maîtrise demeures de particuliers plus ou moins célèbres. La firme sera chargée notamment de décorer certaines pièces du palais Saint-James ou encore une salle à manger du musée de South Kensington (devenue la salle Morris du musée Victoria et Albert). C'est ainsi que William Morris participera à la petite et grande histoire de sa patrie, collaborant avec l'élite tout en se battant avec conviction pour ses idées socialistes.

Un artiste engagé contre la société industrielle

Parallèlement à cette vie d’entrepreneur où il travaille à établir dans les mentalités la nécessité de produire une belle oeuvre par la main d’artisans aussi heureux que rigoureux, William Morris s’engage en politique. Un choix comme une mise en pratique intellectuelle de sa production manuelle qui lui vaut d’être reconnu Outre-Manche comme un artiste touche-à-tout et visionnaire.

Chez lui, architecture, décoration intérieure et politique se nourrissent avec intensité et logique. Si l’art est dans tout, la politique l’est également. C’est par cette globalité des savoirs, cette nécessité de camaraderie et cette primauté de l’esthétique fonctionnelle que l’oeuvre entière de Morris préfigure les grands mouvements du début du début XX ème siècle, le Bauhaus européen en tête. Accompagné d’une troupe de jeune gens désireux de former un groupe humain en opposé à la déshumanisation grandissante de la société industrielle, William Morris va être l’initiateur de la notion même du cadre de vie, sa "Red House" à Londres, construite et décorée pour lui et sa jeune épouse Jane Burden en 1860, en semble le témoin le plus palpable aujourd’hui encore.

Photo : William Morris par Abel Lewis, imprimé par James Edward Bruton (Brunton) platinotype carte du cabinet, avril 1880. NPG x3723.

La conversion de ce chef d'entreprise issu d'un milieu aisé en militant actif de la cause ouvrière surprendra ses contemporains. Loin de l'image de l'artiste isolé dans sa tour d'ivoire, son parcours prouve à de multiples reprises son engagement pour la collectivité. En 1883, fraîchement converti au socialisme, il sillonne son pays pour convaincre ses compatriotes des bienfaits d'un tel projet. Il deviendra directeur d'une publication socialiste "Commonweal", fondera la Society for the Protection of Ancient Buildings pour empêcher la restauration des bâtiments anciens par des méthodes modernes et portera des discours de "décroissance", un terme encore peu employé dans une Angleterre où l'industrialisation apparaît comme le meilleur des mondes.

« Outre le désir de produire de belles choses, la principale passion de ma vie a été et reste la haine de la civilisation moderne » écrivait-il dans un très célèbre article écrit en 1894 pour justifier son engagement socialiste. Une justification valable également pour son oeuvre guidée par la quête de l'absolue beauté et le bien-être au service du plus grand nombre. Une oeuvre qui plus d'un siècle plus tard parlera sans nul doute aux visiteurs.

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William Morris, L'Art dans tout

Jusqu'au 8 janvier 2023

La Piscine - Roubaix

23 Rue de l'Espérance, 59100 Roubaix