C’est dans l’Allemagne meurtrie de l’après Grande Guerre, celle de la République de Weimar que le mouvement Bauhaus prend racine. En 1919, le Belge Henry van de Veld et l’Allemand Walter Gropius prennent alors l’initiative de réunir l’école des Arts Décoratifs et l’académie des Beaux-Arts de Weimar en une seule et même institution : la Staatliches Bauhaus. Contraction des mots “bâtiment” (Bau) et “maison” (Haus), cette nouvelle structure expérimentale vise à fusionner art et technique dans un seul et unique objectif humaniste de (re)construction.

Vue extérieur de l'Ecole du Bauhaus à Dessau en Allemagne, en 1928.

Un manifeste artistique majeur signé Walter Gropius

Cette nouvelle institution aux préoccupations d'une grande modernité s'accompagne d'un manifeste mémorable où Gropius donne le ton des années à venir. « Architectes, sculpteurs, peintres, tous nous devons retourner à l'artisanat » écrit-il. Le temps est à l'abolition des frontières entre les arts, entre les artistes et les artisans, entre l'art pour l'art et les arts appliqués. Architectes, peintres, designers : tous doivent en effet se réapproprier les innovations et matériaux modernes pour les mettre au service de toutes les couches de la population. Le travail manuel et l’artisanat sont ainsi remis au cœur de chacun des ouvrages et chaque corps de métier travaille sur un pied d’égalité. L’art “total” était né.

Architectes, sculpteurs, peintres, tous nous devons retourner à l'artisanat

Vidéo du jour

Rejoints par des artistes tels que Paul Klee, Piet Mondrian et Vassily Kandinsky, les disciples du Bauhaus s’emparent de médiums hérités de la Révolution Industrielle, comme le béton, l’acier et le verre, et partent à la conquête d’ouvrages aussi minimalistes que fonctionnels. Les lignes sont sobres, les formes géométriques et les palettes chromatiques généralement primaires. Un parti-pris esthétique novateur, en rupture totale avec le style germanique classique jusqu’ici de rigueur, qui ne manquera pas d’attiser les critiques des plus conservateurs. Ces derniers s’agacent particulièrement de l’aspect démocratique de ce nouveau paradigme.

Le Bauhaus, un mouvement culturel à dimension sociale

Entre les murs du Bauhaus, professeurs et élèves travaillent main dans la main provoquant choc des générations, des points de vues et des principes de création. Ici la simplicité recherchée à tout prix permet une production en série et donc des prix relativement accessibles pour le plus grand nombre. Car outre sa dimension artistique, c’est sa vocation sociale qui fait du Bauhaus un mouvement totalement révolutionnaire qui marquera les esprits.

En 1925, chassée de Weimar, réfugiée à Dessau, l’institution lance la construction de la cité ouvrière de Törten, un ensemble d’habitations modernes, pragmatiques et surtout économiques. Un modèle d’architecture signature que le Bauhaus propage à travers l’Allemagne. C’est ainsi qu’à Weimar, on peut encore apercevoir la Maison Haus Am Horn, une nouvelle forme d’habitat pour l’époque, conçue par Georg Much et qui donne à voir les principes architecturaux, épurés et rationnels, du mouvement. Au sud, à 23 km de Weimar, c’est l’un des plus grands ensembles du Bauhaus, la “Maison du Peuple” que l’on peut aller observer. Toujours dans cette région de Thuringe, c’est l’intégralité de la ville de Iéna qui a constitué un terrain de jeu unique des partisans du Bauhaus. 

Vue aérienne de la maison

Intensément actif en matière d'architecture, le mouvement n'en oublie d'investir tous les champs de la vie quotidienne et accorde naturellement ses préceptes au design. Le Bauhaus s'exprime ainsi  à travers des pièces de mobiliers devenues pour certaines iconiques, à l’image de la chaise "Wassily"et des fameuses 8 tables basses gigognes de Marcel Breuer ou du fauteuil "Barcelona" de Mies van der Rohe . Toutes ces pièces légendaires évoquent la rigueur du style du Bauhaus et sa fonctionnalité à toutes épreuves.

Chaise Wassily de Marcel Breuer

Un courant et un style à l'héritage durable et international

Dispersés à travers le monde à l’arrivée du régime nazi, les maîtres du Bauhaus s’appliquent à diffuser ce courant artistique à travers de nouvelles écoles et réalisations de bâtiments. Walter Gropius se retrouve à la tête de l'école de design de Harvard, Mies Van Der Rohe à la tête de celle de Chicago et confie parallèlement la direction du nouveau mouvement New Bauhaus à Lazlo Moholy-Nagy.

Walter Gropius et Laszlo Moholy-Nagy accompagnés de leurs étudiants dans l'escalier mythique de l'école du Bauhaus de Chicago en 1938.

Si la pensée du Bauhaus se répand aux quatre coins du globe, elle se concrétise par la sortie de terre de bâtisses symptomatiques de ces principes. À Tel-Aviv, en Israël, ce sont ainsi près de 4000 immeubles de style Bauhaus qui voient le jour entre 1937 et 1950, muant la ville en véritable projet architectural humaniste. En Amérique du Sud, notamment en Argentine et au Chili, bon nombre de bâtiments publics (mairies, universités, casernes…)  et d’habitations à vocation sociale témoignent également de cette influence phénoménale du Bauhaus, sous l’impulsion notamment de Tibor Weiner.

Le courant Bauhaus a façonné ce qu’on appelle communément le “style international”, à savoir une architecture sobre et fonctionnelle que certains préfèrent encore taxer d'architecture froide et inhumaine. Si la période de vie de ce mouvement fondamental fut de courte durée dans les faits, les festivités de son centenaire prouvent que ces 15 années seulement à pratiquer et démocratiser cet art désiré comme total n'ont jamais connu de fin réel. Tristement coincée entre les deux plus grandes guerres de notre histoire, le rêve avorté du Bauhaus a finalement réussi à expatrier ses principes, ses fondements au-delà des frontières du Vieux Continent. Ce groupe d'hommes et de femmes, d'architectes et de designers, de professeurs et d'étudiants a amplement dessiné une partie de notre monde. Ce monde peuplé d'innombrables tours de verre et d’acier, d'habitations modernes et novatrices, ce monde où encore nombre de designers et d'architectes veillent à conserver les principes phares du Bauhaus comme la nécessité de faire coexister art et artisanat afin de produire pour notre quotidien des objets esthétiques, simples et fonctionnels. Le Bauhaus toujours moderne depuis plus de 100 ans, on vous avez prévenu...