Nous ne sommes pas sans savoir que la pluie fait partie du folklore d’outre-Manche. Il y pleut tant, qu’un jour d’hiver en 1856, un apprenti drapier du nom de Thomas Burberry souffre de rhumatismes précoces et s’empresse de consulter son médecin.

Le diagnostic tombe, le drapier de tout juste 21 ans doit cesser de porter son imperméable en caoutchouc, protégeant certes de la pluie, mais ne permettant pas au corps de respirer.

Cela ne l’empêchera pas d’ouvrir sa première boutique spécialisée dans les vêtements de sport et d’extérieur à 80 kilomètres de Londres quelques semaines plus tard et de la faire devenir un "emporium" (un grand magasin) dans les années 1870.

La gabardine, l’invention qui valait des milliards

Si Thomas Burberry se spécialise dans les vêtements chauds et plus particulièrement dans les manteaux de pluie, ça n’est qu’en 1880 qu’il crée la gabardine, une étoffe protégeant du froid et résistant à la pluie et au temps grâce à son tissage particulier la rendant imperméable.

L’histoire raconte qu’il en aurait eu l’idée auprès d’un berger de sa région dont la veste avait l'étonnante particularité de résister à la pluie.

L'homme attribuait cela aux produits utilisés lors du bain des moutons, qui ont la propriété de protéger la laine des bêtes des intempéries. Persuadé du potentiel de sa gabardine, Thomas Burberry fait breveter son invention dès 1888 et en développe cinq épaisseurs différentes; Airylight (léger comme l’air), Double-Weave (double tissage), Karoo, Wait-a-bit (Attendez un peu) et Tropical.

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Protégeant de la pluie et du froid, cette technique de tissage a pu sauver le Capitaine Robert Falcon Scott qui s’abritait des tempêtes de neige sous une tente en gabardine lors de ses expéditions en Antarctique. L’une des meilleures publicités pour ce tissu révolutionnaire.

En 1891, le créateur ouvre sa première boutique londonienne au 30 Haymarket et renomme sa marque Thomas Burberry & Sons. L’enseigne a encore pignon sur rue aujourd’hui et contient le siège social de la griffe.

En 1901, nouveau challenge pour Thomas Burberry à qui le ministère de la défense britannique a demandé de dessiner les nouveaux uniformes d’officiers, avec pour cahier des charges qu’ils soient imperméables et résistants.

Un défi relevé haut la main par le drapier puisque cela contribuera à sa renommée internationale. La même année, le logo du cavalier, le Equestrian Knight, apparaît pour la première fois, accompagné de l'adverbe latin Prorsum, qui signifie "en avant". L'armure symbolise la protection, la sûreté des habits, le cavalier reflète les standards d'intégrité de la firme, et enfin la devise latine représente le désir d'innovation de Burberry. 

En 1905, la première boutique internationale ouvre à Paris et dix ans pus tard, un premier bateau chargé de trenchs en gabardine part pour le Japon. Burberry devient une véritable institution.

Mais ce qui assiéra véritablement la réputation de la maison, est son titre de fournisseur des grandes expéditions polaires, puis de l’armée britannique lors de la première Guerre Mondiale.

Pour ses soldats, Thomas Burberry imagine le Trench-Coat adapté aux nouvelles formes de combat; plus d’un demi-million de soldats porteront ce "manteau des tranchées" entre 1914 et 1918 et continueront à le porter à leur retour, le popularisant à la ville.

Après la guerre, le roi George V rend hommage à la marque en la propulsant au rang de son habilleur officiel.

Des tranchées aux boutiques de luxe en passant par Hollywood

Cinq ans après la fin de la guerre, Burberry élargit sa gamme d’une écharpe imprimée de son fameux tartan écossais noir et chameau "nova check", devenu le leitmotiv de ses collections. On retrouve également des parapluies, des chapeaux, des pantalons, des vestes et des tenues sportives pour la chasse, le golf, la pêche, le tir à l’arc ou encore le tennis.

Le succès est de nouveau au rendez-vous, mais marque la fin d’une ère; Thomas Burberry s’éteint en 1926 et laisse à ses fils le soin de faire perdurer la tradition familiale.

Ces derniers laisseront alors de côté l’innovation si chère à leur père, pour se reposer sur leurs acquis et profiter du rayonnement de la marque grâce à l’apparition de pièces griffées Burberry dans des films mythiques tels que Casablanca, Breakfast at Tiffany’s, La Panthère Rose ou encore dans la série Columbo.

En 1955, alors que la marque devient fournisseur officiel de la reine Elizabeth II, elle est rachetée par le groupe de grande distribution GUS et perd son indépendance familiale.

Rebaptisée Burberrys, elle gagne cependant de renouer avec l’innovation et voit son chiffre d’affaires et ses bénéfices bénéficier d’une forte croissance jusqu’aux années 1990, grâce à l’ajout de costumes, de prêt-à-porter, de parfums, de lunettes et de maroquinerie pour homme, femme et enfants à ses collections et à ses points de vente dans les plus luxueux grands magasins internationaux.

C’est l’apogée du motif check, qui a fait son apparition sur les accessoires de la maison, grâce à Jacqueline Dillemman, une acheteuse de notre boutique de Paris, qui a eu un éclair d'inspiration lors de la préparation d'une présentation pour l'ambassadeur britannique Sir Patrick Reilly en 1967. Elle a retiré la doublure à carreaux d'un manteau pour envelopper un bagage et créer une protection pour parapluie.

Du luxe BCBG aux clips de rap

En 1998, Burberrys devient Burberry et la maison s’offre les services de Fabien Baron, ancien collaborateur de Calvin Klein, du photographe Mario Testino ainsi que de Kate Moss et Stella Tennant pour ses campagnes mais également du styliste Roberto Menichetti, puis en 2002 de Christopher Bailey.

Le chiffre d’affaires augmente de plus de 275 millions d’euros et le groupe GUS, actionnaire majoritaire depuis plus de 50 ans décide d’une cotation en bourse. Sur les plans créatifs et économiques, Burberry renaît et est plus florissante que jamais.

Pourtant, la marque de luxe conservatrice aux notes BCBG connait une crise identitaire, puisqu’elle devient l’enseigne de prédilection des "Chavs", des fans de rap adeptes des logos et des griffes voyantes. Ces derniers font de la casquette imprimée Nova Check leur emblème et elle devient un signe ostensible d’appartenance.

Burberry décide alors de retirer le produit de la vente et de réduire son utilisation de tartan. Associée également au mouvement hooligan dans les stades de foot, mais aussi accusée par la PETA d’utilisation abusive de la fourrure, la maison perd de son prestige dans son pays.

Luxe et grand public

Au fil des saisons, la marque reprend du galon et réussi même à imposer une image de marque rajeunie grâce à de nouvelles égéries britanniques à l’instar d’Emma Watson, Romeo Beckham, Eddie Redmayne, Lily Donaldson… mais aussi par la réorganisation de ses collections et à la répartition de son offre : Burberry Prorsum, sa collection milanaise ciblée haut-de-gamme et Burberry London, plus accessible.

S’est ajoutée la ligne Thomas Burberry, devenue Burberry Brit, dédiée la jeunesse. Une ligne enfant, ainsi qu’une gamme de parfums et de montres profitent également au rayonnement de la griffe qui possède aujourd’hui plus de 60 boutiques à travers le monde et un chiffre d’affaires avoisinant le milliard d’euros.

De Christopher Bailey à Riccardo Tisci

S’il ne fallait ne citer que deux directeurs artistiques de la maison, ce serait eux. Christopher Bailey, arrivé en 2002 à la tête de la création, se retrouvait capitaine d’un énorme vaisseau en perdition. Aux côtés de la PDG Angela Ahrendts qui a rejoint l’entreprise en 2006, il a orchestré le grand retour de la marque en fusionnant savoir-faire exceptionnel et héritage à une stratégie innovante sur les réseaux sociaux et ambassadeurs de renom.

Ils ont également investi dans des ateliers basés en Angleterre pour réaliser des pièces à la fois élégantes et durables. 

Sa plus grande réussite est d’avoir su faire du fameux trench qui avait perdu de sa superbe, une pièce inconique. Sans oublier sa vision de la marque, qu’il a fait devenir une pionnière du numérique et à laquelle la génération réseaux sociaux pouvait s’identifier.

Burberry fut notamment l'une des première à retransmettre en live son défilé printemps-été 2009 sur Internet, démocratisant le sacro-saint podium. Mais l’une de ses innovations les plus marquantes, fut l’intégration du see-now, buy-now chez Burberry en septembre 2016, consistant à proposer les collections en boutique dès le lendemain du défilé.

Un bouleversement pour le monde de la mode, qui est désormais copié par de nombreuses autres griffes.

Dix-sept ans de bons et loyaux services plus tard, le britannique qui était devenu CEO de Burberry en 2014, raccroche et est remplacé par le ténébreux italien Riccardo Tisci. Ce dernier, tout droit débarqué de chez Givenchy où il a soigné son style streetwear néogothique, commence fort dans la maison britannique en retravaillant le logo qui devient épuré, puis le monogramme Thomas Burberry et en réaménageant ou fermant certains magasins.

En 2019, un an après sa nomination, les ventes sont en hausse. Son but étant d’égayer les collections de la maison qu’il considérait "austère" à son arrivée, tout en repensant les pièces cultes et en attirant les millenials avec des égéries bien choisies (Billie Eilish, Irina Shayk, Kendall Jenner.)

Il a aussi à cœur que la marque s’engage pour la planète, l’inclusion des minorités et plus récemment pour les victimes du Covid-19.

Rester dans le luxe, mais sans oublier la rue, semble donc être la bonne formule d’une grande marque d’aujourd’hui.