D’aussi loin que je me souvienne, mon rapport au temps a toujours été particulier. Petite, je téléphonais au moins une fois par semaine au service de l’horloge parlante, ce qui avait tendance à exaspérer mes parents, juste pour vérifier que ma montre était bien à l’heure. Un peu comme le Lapin d’Alice aux Pays des Merveilles -sans monocle ni redingote- qui fixait sa montre, en craignant d’arriver en retard pour le thé.

Et c’est le temps qui court

Cet attrait pour la ponctualité a perduré, faisant de moi, une personne toujours à l’heure, voire très en avance. C’est un fait, je ne sais pas être en retard, même dans les moments où j’aimerais me faire désirer un peu (lors d’un rendez-vous amoureux par exemple). Chez le médecin, j’arrive systématiquement 5 à 10 minutes en avance pour poireauter 15 à 20 mn dans la salle d’attente, le "docteur" ayant "un peu de retard". 

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Pas sportive pour un sou, je préfère même courir et risquer le point de côté, plutôt que d’arriver en retard au restaurant. Même de quelques minutes. En réalité, “être à l’heure” signifie pour moi “avoir un peu d’avance”. Un laps de temps pouvant aller d’au moins 5 minutes pour n’importe quel rendez-vous, à… plus d’une demi-heure quand il s’agit de prendre un train.

Et j’attends et j’attends …

Si dans le monde du travail, la ponctualité est considérée comme un gage de sérieux, en dehors, le retard semble être érigé comme une norme. Ainsi, près de 95% des mes amis n’arrivent jamais à l’heure à un rendez-vous : les 5% restants sont des personnes qui souffrent du même trouble de la ponctualité que moi. Je passe ainsi ma vie à attendre les autres, au point que pour certain.es, je ne donne plus la vraie heure de rendez-vous. Las, je les attends parfois quand même malgré tout ! Et même si leur manque d'anticipation a tendance à m'énerver, c'est souvent à moi que j'en veux le plus, de me "faire avoir" encore et encore. 

Le problème, c’est que la science va dans leur sens. Les études ne cessent de vanter les mérites du retard. Ainsi, une étude de l’université de San Diego aux Etats-Unis datant de 2015, aurait montré la corrélation entre le fait d’être en retard et la santé mentale, du fait d’un optimisme débordant et une capacité de rester zen en contrôlant son stress, et ce dans tout un tas de situations. 

La bonne élève est toujours à l’heure

De plus, quand on se penche un peu plus précisément sur ces questions de ponctualité exacerbée, on se rend compte qu’il cache souvent un besoin de contrôle et de perfection. "Le fait d'être à l'heure, c'est d'abord quelque chose qui s'apprend, une habitude qu'on hérite de ses parents, de son éducation", explique Maïté Tranzer, psychologue clinicienne à Paris. Elle ajoute même que "c'est une manière de montrer que l'on a du respect pour soi et pour les autres".

Mais ce besoin d'être à l'heure peut également cacher une fragilité et une faible estime de soi. "Avoir peur d'être en retard marque parfois la peur de "rater quelque chose" ou même de décevoir les autres, de ne pas être à la hauteur de leur regard", énumère l'experte qui nuance en disant que souvent, "le stress lié au retard ou au contrôle de la ponctualité, dépend généralement de l'importance de l'événement". C'est vrai soit dit en passant, que je suis moins stressée à l'idée d'arriver 5 minutes en retard à un apéro dinatoire chez des amis qu'à un rendez-vous administratif, par exemple. 

Pour l'experte, la dérive se trouve quand l'anticipation des retards prend le pas sur la vie de la personne : "quand dans une journée, la dite personne passe plus de temps à attendre ses rendez-vous qu'à vivre sa propre vie". Heureusement, je n'en suis pas encore là. 

A l’inverse, Maïté Tranzer pointe du doigt ce que peut cacher un retard constant. "Tant que la ponctualité n'est pas pathologique, je dirais que les personnes "à l'heure" ont généralement un meilleur équilibre de vie et des valeurs comme la politesse ou le respect, plus prononcées", explique-t-elle. "Quand on est systématiquement en retard, c'est parfois un symptôme du fait qu'on a du mal à s'adapter aux autres, ou ça peut aussi être une manière pour les personnalités passives-agressives de jouer sur la corde sensible", poursuit l'experte. Ainsi, en arrivant en retard, ils ou elles expriment leur volonté de dominer l'autre, de le défier, et ainsi de gérer la relation. Dernier point abordé par la psychologue : la recherche constante d'adrénaline. "Parfois aussi, les personnes en retard sont en recherche constante de sensation, elles aiment jouer avec le feu et cela se ressent dans leur rapport au temps". Grand bien leur fasse. 

Soit. En conclusion, histoire de trouver un terrain d’entente, entre mes amis retardataires et mon subconscient ponctuel, j’aurais aimé pouvoir vous citer de manière compréhensible l’histoire de la théorie de la relativité, et sa définition du concept d’espace-temps, qui varie en fonction de la masse (et je ne parle pas ici de la personne "à la masse") à proximité. Mais je vous invite plutôt à regarder à l’occasion les documentaires de Brian Green sur le DVD "La Magie du Cosmos", qui explique cela très bien. 

Et puis surtout, je risque d'être en retard pour rendre mon article, et comme on le sait tous maintenant, c'est tout à fait impossible.