Tels les Dr Jekyll et Mr Hyde du milieu du la santé, l’un fait sourire ; l’autre inquiète.

Le très célèbre effet placebo (Du latin "Je plairai") génère une sensation de mieux-être à partir d’un protocole pseudo médical qui, en réalité, n’explique pas le résultat ; la plupart du temps, il est associé à la prise d’une substance inerte (comme une pilule de sucre ou une solution saline) sans aucun effet pharmacologique documenté.

Longtemps mal compris, voire déconsidéré par la communauté médicale, l’effet placebo est aujourd’hui un sujet à part entière, étudié avec rigueur et qui pourrait avoir un rôle à jouer aussi bien dans la pratique clinique que dans l’organisation des essais cliniques futurs.

Son jumeau, baptisé nocebo (du latin : "je nuirai"), désigne au contraire, dans le même contexte, une action psychologique ou physiologique qui peut être dommageable pour l'individu

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Les deux faces d’un même processus

Effets placebo et nocebo agissent chacun à leur manière sur l’état de santé du patient, en fonction des attentes positives ("j’espère aller mieux") ou négatives ("je risque d’aller plus mal").

Cet engrenage à double tranchant s’observe aussi bien dans les activités de soins quotidiens que dans les essais cliniques ou les expériences sur des volontaires sains. 

Alors que le premier a occupé massivement les débats scientifiques des dernières décennies, le nocebo a fait irruption sur la scène médiatique début 2022, à la suite d’une publication dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

Objet : les effets indésirables (E.I.) identifiés dans des essais cliniques vaccinaux Covid-19.

Des effets indésirables après les injections de vaccin placebo anti-COVID

Les auteurs de l’étude ont analysé 12 articles issus de la littérature scientifique sur les données de plus de 45 000 participants (la moitié d’entre eux ayant reçu le vaccin et l’autre moitié un placebo).

Dans le viseur, la survenue d’E.I. locaux (douleur au point d’injection, rougeurs etc.) et systémiques (maux de tête, fièvre, fatigue…) dans les deux groupes. Résultat : l’étude montre qu’après la première dose, 35% du groupe contrôle, qui avait donc reçu un placebo, rapportait des E.I. systémiques (31% après la deuxième dose).

Parmi les personnes effectivement vaccinées, 46% des participants faisaient état d’E.I. systémiques après la première dose (61 % après la deuxième).

L’observation de l’effet nocebo développé par les personnes dans le groupe contrôle était d’autant plus stratégique que les freins à la vaccination étaient nombreux. Selon les chercheurs, le ratio entre les pourcentages d’E.I. rapportés dans le groupe vacciné et le groupe contrôle montre que chez les personnes vaccinées, 76% des effets systémiques après une dose de vaccin et 51% après deux doses sont liés à l’effet nocebo.

Tout est dans la tête ? 

Les experts sont formels : douleurs, vertiges, fatigue intense, diarrhée, baisse de tension déclenchées par l’effet nocebo ne tiennent absolument pas de l’imaginaire d’individus hystériques ou psychiquement instables. À l’image de son jumeau placebo, largement étudié par la science, l’effet nocebo modifie concrètement le fonctionnement cérébral, le seuil de la douleur, le métabolisme ou encore les équilibres hormonaux.

Dans un billet de son blog, le cardiologue Dr. Jean-Marie Vailloud évoque l’exemple éloquent - et réel - d’un homme qui participe à un essai clinique concernant un antidépresseur. L’essai est en aveugle, c’est à dire que les patients volontaires pour l’étude ne savent pas s’ils prennent le vrai médicament ou le placebo inactif. Cet homme fait une tentative de suicide en avalant 29 comprimés, mais pris de remords, il appelle les secours qui l’amènent à l’hôpital dans un état critique : sa tension est descendue à 8.

Livide, en sueur, il est pris en charge rapidement, et malgré la perfusion de plusieurs flacons de sérum, sa tension artérielle peine à remonter. Pendant ce temps, les médecins contactent les organisateurs de l’étude pour savoir s’il a avalé 29 comprimés d’antidépresseur ou de placebo. C'était le placebo ! Lorsque le patient l’apprend, tous ses symptômes disparaissent en un quart d’heure et sa tension remonte.

Tout le monde peut être concerné par l'effet nocebo

C’est ce que montrent de nombreuses situations plus ou moins récentes.

Ainsi, en 2010, une étude s’est intéressée à l’intolérance au lactose chez des patients présentant des symptômes abdominaux généraux. 44,4% des patients négatifs au test de dépistage de l’intolérance au lactose ont pourtant présenté des symptômes abdominaux induits lors d’un test utilisant un placebo du lactose, le glucose. 25,9% des patients réellement intolérants au lactose ont été positifs à ce "faux test".

Le Dr. Jean-Marie Vailloud cite par ailleurs l’épidémie de punaises de juin 1962 aux Etats-Unis. Au pic de cette épidémie, 62 employés d’une usine de textile présentent des symptômes vagues (fatigue, malaises, vomissements), imputés à la présence d’insectes sur leur lieu de travail. Après enquête approfondie, aucun insecte n’est retrouvé, ni aucune cause toxique. Les autorités concluent à un phénomène d’autosuggestion collective survenant dans un contexte de conditions de travail difficiles.

Et l’histoire regorge d’épisodes de psychoses collectives similaires.

Des données scientifiques de plus en plus solides sur l’effet placebo

La recherche a démontré largement que l’effet placebo est bien réel, produit par le cerveau, avec des conséquences observables sur la physiologie, notamment par l’imagerie cérébrale.

Dans un document publié par l’INSERM, Didier Bouhassira, neurologue, directeur de l’unité Inserm Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur (Hôpital Ambroise-Paré), en tandem avec Mathieu Molimard, service de Pharmacologie médicale (CHU de Bordeaux) soulignent que quelques idées fausses circulent encore.

Exemple : on estime que seules certaines personnes sont sensibles à l’effet placebo. Or, la recherche montre que tout le monde peut être "placebo-répondeur", même si cet effet est variable d’un individu à l’autre, en fonction de la douleur ressentie ou de la maladie ciblée, de la relation soignant-patient, ainsi que de son vécu et de ses expériences passées. Certaines équipes de recherche tentent également d’identifier des facteurs génétiques qui pourraient expliquer les variabilités entre les personnes. 

Entres autres confusions, on associe l’effet placebo au seul domaine de la douleur, alors qu'il agit aussi dans le concept de "chirurgie placebo". Certaines équipes ont ainsi réalisé des interventions de revascularisation cardiaque, une opération chirurgicale visant à rétablir un flux sanguin satisfaisant dans les artères du cœur pour restaurer l’apport en oxygène. Des patients opérés de cette manière ont ensuite été comparés à un autre groupe, chez qui le thorax avait été ouvert sans rien toucher (l’expérience a soulevé des polémiques sur le plan éthique) : les effets étaient bénéfiques chez les deux types de patients et se prolongeaient pendant plusieurs années dans les deux cas. L’effet placebo n’est donc pas forcément de courte durée.

Selon l’INSERM, la recherche se poursuit dans le domaine pour continuer à identifier tous les mécanismes neurobiologiques, pour prédire quels individus seront répondeurs dans un contexte particulier, ou encore pour tester si l’effet placebo pourrait augmenter celui de certains traitements non médicamenteux.

L’effet nocebo moins étudié que son jumeau

Si le cerveau est capable de soulager certaines douleurs et affections simplement après la prise de substances inertes, il peut aussi mener à des symptômes redoutés, voire un effet indésirable attendu ou non. Ces E.I. associés à l’effet nocebo sont le plus souvent non spécifiques, tels que des maux de tête et/ou des symptômes gastro-intestinaux. Ils sont aussi moins étudiés que l’effet placebo, mais sont régulièrement associés à des personnes ayant un positionnement marqué par une certaine opposition ou un rejet du médicament.

Les recherches dans le domaine ont pour objectif de tenter de réduire l’effet nocebo, notamment dans les essais cliniques (par exemple en expliquant clairement aux patients que même s’ils reçoivent un placebo, ils peuvent avoir des effets indésirables).

Les études doivent là aussi se poursuivre pour mieux identifier les mécanismes sous-jacents mais aussi les personnes qui sont le plus susceptibles d’être affectées par cet effet nocebo.

Nocebo et placebo, purs produits d'une suggestion

"L'être humain a cette particularité d'être suggestible", commente le Dr Ludovic Gadeau sur son blog.

À en croire le docteur en psychopathologie clinique et maître de Conférence des Universités à l’Université Grenoble Alpes (UGA) nous le sommes tous, à des degrés divers et dans des conditions qui ne sont pas les mêmes selon les individus. "Être suggestible signifie que nous sommes influençables et que cette influence psychique se fait à notre insu le plus souvent. La suggestion est donc essentiellement inconsciente", précise le pro. 

Illustration : si je regarde la liste des effets indésirables d’un médicament, il est possible que cette information ait une incidence sur les éventuels effets secondaires du médicament en les provoquant ou en les augmentant (alors que cet effet n’aurait pas eu lieu si je n’avais pas lu la notice). Si, après avoir consulté un médecin, on me dit qu’il a très mauvaise presse, le traitement prescrit (pourtant à bon escient) n’aura pas les effets attendus : mes symptômes persistent pour l’essentiel et j’en ressens éventuellement de nouveaux. 

Une confiance à rétablir dans la relation thérapeutique

"Parfois, l’effet placebo et l’effet nocebo sont intriqués", poursuit le Dr. Gadeau, comme l'ont mis en évidence des chercheurs du MIT en enrôlant des étudiants pour tester un médicament présenté comme un antidouleur efficace.

Les étudiants ont été séparés en deux groupes. Au premier, on annonçait que le médicament coûtait deux dollars, à l’autre qu’il n’avait coûté que dix centimes grâce à un rabais important. Mais dans les deux cas, le comprimé était un placebo inactif ! Les étudiants ont mieux supporté la douleur dans les deux groupes - c’est l’effet placebo ; mais dans le groupe du médicament à dix centimes, le soulagement a été beaucoup moins net, à cause de l’effet nocebo induit par le caractère dévalorisant d’un médicament "soldé". Voilà qui peut expliquer que des patients ressentent moins d'efficacité avec les médicaments génériques. 

Pour le Dr Gadeau, l’effet nocebo peut être le résultat d’une angoisse et d’une colère qui s’insinuent dans la relation thérapeutique : "l’autre soignant (ou la chose = médicament) qui prétend me soigner ne me veut-il que du bien ! J’en doute". Ce doute fait le lit de l’effet nocebo si aucune circonstance (parole bienveillante, atmosphère sécurisante, etc.) ne vient le lever.

Le pouvoir de l’info… et des mots

"Toute la difficulté, et l’intérêt, pour le médecin est d’établir un dialogue avec le patient qui permette d’éviter un effet nocebo. Le réflexe initial, qui est aussi le plus idiot est de ne pas dire au patient quels sont les effets secondaires du médicament qu’il va prendre", avance le Dr. Jean-Marie Vailloud sur son blog.

"Mais cette attitude est à la fois dangereuse pour le patient qui ne va pas surveiller des effets secondaires potentiellement graves et le plus souvent parfaitement illusoire à l’heure du patient hyperinformé".

Selon le cardiologue, il y a des techniques pour informer et éviter l’effet nocebo. Ainsi, affirmer que "c’est une petite piqure, avec une petite aiguille", c’est bien mieux que de dire "soyez courageux, c’est un gros trocart – instrument chirurgical servant à faire des ponctions - et ça fait toujours très mal" ! Traduction : il faut informer sans inquiéter, ce qui est loin d’être simple. Et de noter qu'un médecin optimiste amplifiera probablement l’effet positif et/ou placebo des traitements qu’il prescrit, alors qu’un médecin négatif majorera leurs effets secondaires (voire leur effet nocebo).