Occupant pendant des dizaines d’années nos débuts de soirée, vissé au pupitre de Questions pour un champion, Julien Lepers apparaît, dans la pensée commune, comme l’une des personnalités les plus intelligentes du PAF. 

Mais cette supériorité intellectuelle qu'on lui donne n'est pas une vérité vraie. Elle s’explique plutôt par un biais cognitif, l’erreur fondamentale d’attribution (EFA), renommée après l’animateur en France car il en est l’illustration la plus parlante : il ne se trompe jamais et complète les réponses avec ce que l'on pense être sa culture générale, alors que l'animateur se repose aussi sur des fiches. 

“C’est typiquement le fait d'attribuer à la personne des compétences qui découlent de caractéristiques internes (comportement, émotion...), sans prendre en compte le contexte et les facteurs externes”, confirme Delphine Py, psychologue et psychothérapeute spécialisée en thérapies cognitives et comportementales

L'interrogateur sera toujours estimé comme le plus cultivé 

Mis en lumière pour la première fois en 1977 par Ross Lee, chercheur à l'université de Stanford, l’EFA a été illustrée par une expérience simple, mais parlante. 

"Deux sujets ont tiré au sort un rôle, soit celui de l’apprenant, soit celui de l’interrogateur. Ensuite, on a laissé quinze minutes au second pour créer une dizaine de questions de culture générale. Puis, il a interrogé l'apprenant. Quand ce dernier ne connaissait pas la réponse, l'interrogateur la lui donnait", décrit Delphine Py.

A la fin de la session d'interrogation, les deux protagonistes ainsi que les personnes qui les entouraient ont répondu à un questionnaire via lequel ils évaluaient le niveau de culture générale de l'un et de l'autre. Résultat : "l’interrogateur est estimé comme plus cultivé, même quand on sait qu'il est à l'origine des questions", poursuit la psychologue. 

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Un biais qui influence quotidiennement notre perception d'autrui

Mais si les exemples susmentionnés n’évoquent que la culture générale, ce biais nous influence dans de nombreuses autres situations et teinte aussi négativement notre perception. "Si quelqu’un me bouscule sans s'excuser, je vais me dire 'mais quel malpoli !'", illustre la psychologue. 

Et même si vous êtes au fait de l'existence de cet effet Julien Lepers, vous tomberez très régulièrement dans le piège du raccourci.

"Le principe de ces biais est de favoriser le fonctionnement de notre cerveau et donc de faire le tri pour garder de l’énergie pour des choses plus importantes. Mais comme avec tout raccourci, il peut y avoir des erreurs", poursuit la spécialiste.

D'autant que ces derniers se transforment souvent en croyances populaires. "On suppose que les gens ont des traits de personnalité (introverti, timide, etc.), des vertus (honnêteté, courage, etc.) et des vices (les sept péchés capitaux, etc.) donnés. Dans la psychologie populaire, ces caractéristiques sont présumées stables dans le temps et fixes peu importe la situation. Dans toutes les langues, il existe des proverbes attestant cette croyance : 'qui vole un œuf vole un bœuf', 'qui dit un mensonge en dit cent'... Une seule action suffira à révéler un trait de caractère ou une disposition particulière et nous permettra de prédire un comportement à l’infini quand cette disposition se représentera", précise un article du site de l'université Paris Saclay, reprenant un billet du blog A man in the arena.

Comment se détacher de l'effet Julien Lepers ? 

Pour autant, si la plupart des raccourcis ne font de mal à personne - bien qu'ils soient utilisés en marketing ou en politique comme un outil de manipulation - il convient de les connaître et de les questionner, car certains peuvent se révéler dangereux. 

"L’erreur est très en lien avec la théorie d’un monde juste (le monde est bienveillant, l'homme est bon). Quand il arrive quelque chose de négatif, on va avoir tendance à trouver des explications qui n'ont pas lieu d'être, comme, dans le cadre d'un vol, remettre la faute sur la victime, parce qu'elle n'avait pas fermé sa porte à clé par exemple", appuie Delphine Py. 

En effet, la spécialiste explique que lorsque ces deux biais entrent en confrontation, ils jouent un rôle rassurant, car en rejetant la faute sur une personne que je résume à un seul comportement, je me sens moins en danger. 

"En prenant conscience de cette facilité que l’on a d’être manipulé ou trompé, on pourra mieux s’en protéger", résume l'article de l'université parisienne. Alors, "attention à ne pas trop généraliser. Dans ces situations, il faut se poser et se demander, 'qu’est-ce qui vient du contexte ?', 'qu'est-ce qui vient de la personne ?'", recommande la psychologue.