Sexiste, la médecine ?  

C'est ce que sous-entend la journaliste Camille Noe Pagán, spécialisée en santé, dans le célèbre quotidien américain The New York Times. Dans un article publié le 3 mai 2018, elle pointe du doigt un phénomène, certes qui n'est pas tout à fait nouveau, mais de plus en plus dénoncé : la minimisation de la douleur des femmes par le corps médical. 

Disparités entre les sexes au niveau des traitements, idée préconçue selon laquelle la souffrance des femmes ne serait que "dans leur tête", retards de diagnostics... Il semblerait qu'il ne soit pas bon d'être une femme en mauvaise santé. 

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"Je demandais de l'aide. Mais mon médecin avait l'impression que je n'en avais pas besoin"

C'est en constatant personnellement le mépris de son mal-être que la journaliste a décidé de se pencher sur la question : "'Et bien, vous avez l'air d'aller bien' m'a gentiment informé mon médecin traitant (ndlr : une femme elle aussi). Je l'ai regardée depuis la table d'examen avec incrédulité. Je venais de lui dire que je n'appréciais plus de passer du temps avec mes enfants et que j'avais du mal à faire ce qui devait être fait au travail et à la maison", écrit-t-elle. Et de poursuivre : "Je savais qu'être incapable de vivre sa vie était le grand drapeau rouge signalant qu'il était temps d'obtenir de l'aide. Je demandais de l'aide. Mais mon médecin avait l'impression que je n'en avais pas besoin."

Camille Noe Pagán reçoit alors pour seule prescription du yoga, de la méditation, et un "essayez de dormir un peu plus". Des méthodes déjà testées et peu concluantes. Échaudée par cette consultation, elle mettra alors plusieurs mois avant de refaire confiance au corps médical et d'entreprendre une thérapie cognitivo-comportementale. Une démarche qui fonctionne, mais la fait s'interroger : "J'ai commencé à me demander à quel point il était courant pour les femmes de voir leurs problèmes de santé minimisés ou rejetés par un médecin."

16 minutes d'écart dans la prise en charge de la douleur

Selon le Dr Tia Powell, une bioéthicienne et professeure d'épidémiologie clinique et de santé de la population au Collège Albert Einstein (New-York), interviewée par la journaliste, il ne fait pas de doute que cette disparité est bel et bien présente, à commencer au niveau de la recherche médicale : "médecins et infirmièr(e)s prescrivent moins de médicaments contre la douleur aux femmes que les hommes après la chirurgie, même si les femmes signalent des niveaux de douleur plus fréquents et plus sévères (...) Elles ont aussi plus tendance à se faire dire que leur douleur est 'psychosomatique' ou influencée par une détresse émotionnelle". Elle poursuit en expliquant que d'après une étude de l'Université de Pennsylvanie, les femmes sont même contraintes de supporter ces douleurs 16 minutes de plus que les hommes avant de recevoir des analgésiques lorsqu'elles se rendent aux urgences. 

Une situation que déplore également le Dr Fiona Gupta, neurologue et directrice de santé et bien-être dans le département de neurochirurgie de l'école de médecine Icahn au Mount Sinai (New York) : "Je ne peux pas vous dire combien de femmes ont entendu de leurs médecins que leurs problèmes étaient liés au stress ou tout dans leur tête." Des préjugés qui selon elle peuvent avoir de graves dramatiques pour leur santé : "Beaucoup de ces patientes ont ensuite été diagnostiquées avec des problèmes neurologiques graves, comme la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson. Elles savaient que quelque chose n'allait pas, mais elles avaient été écartées et avaient reçu l'ordre de ne pas faire confiance à leur propre intuition."

Femmes et hommes, biologiquement inégaux face à la douleur

En 2012, une étude publiée par la Revue Médicale Suisse1 expliquait que la prévalence de la douleur était identique chez les garçons et les filles, et ce jusqu’à l’adolescence. Après cette période, celle-ci est plus élevée chez la femme, "notamment lorsqu’elle est d’origines musculaire, osseuse, viscérale ou en lien avec une maladie auto-immune", précise-t-elle. Des différences qui "seraient à la fois liées au sexe, la dimension biologique de l’individu, et au genre, à savoir le rôle qui lui est attribué dans un environnement social et culturel donné." 

À l'époque déjà, des travaux scientifique évoquaient la différenciation dans la prise en compte et le traitement de la douleur chez les deux sexes2 : "La plupart des gens, soignants inclus, pensent que les femmes supportent mieux la douleur que les hommes. C’est pourtant l’inverse en ce qui concerne le seuil et la tolérance à la douleur. Le seuil à la douleur, lorsque celle-ci est provoquée expérimentalement par une pression ou un stimulus électrique, est plus bas chez la femme. La femme perçoit plus rapidement la douleur et sa tolérance est plus basse, notamment quand la douleur est d’origine abdominale, en lien avec l’appareil locomoteur, non expliquée ou lors de fibromyalgie. Elle rapporte également des douleurs plus sévères, une fréquence de pics douloureux plus élevée et des douleurs anatomiquement plus diffuses et plus persistantes."

Au niveau de l'expression de la souffrance, l'étude explique que les hommes se focaliseraient davantage sur leurs sensations physiques tandis que les femmes se concentreraient plutôt sur les aspects émotionnels de cette douleur. Leurs plaintes pourraient donc être mal interprétées, ce qui entraînerait alors des retards diagnostics et de mauvais choix thérapeutiques, comme cela est souvent le cas dans les maladies cardiovasculaires ou encore l'endométriose, une pathologie qui entraîne des douleurs souvent mises, à tort, sur le compte de celles généralement causées par les règles...

https://www.revmed.ch/RMS/2012/RMS-348/Hommes-et-femmes-sommes-nous-tous-egaux-face-a-la-douleur
2  "Sex, gender, and pain?: An overview of a complex field", Hurley RW, Adams MCB,Anesth Analg 2008; 107:309-17