L'intellectualisme de salon, les abstractions hors-sol, très peu pour Simone Weil qui ne philosophait jamais mieux que les mains dans le cambouis : de son expérience d'ouvrière chez Renault, elle a tiré un Journal d'usine (Éd. Mercure de France) implacable ; de son enrôlement dans les colonnes antifranquistes, un Journal d'Espagne (Une anarchiste en Espagne, in Œuvres, éd. Quarto Gallimard) en pointillé – moins qu'un journal : un carnet plein de pages blanches.

Brodant finement autour de cette œuvre à trous, la raccommodant ici et là, Adrien Bosc, dans son deuxième roman Colonne, en lice pour le Prix du Roman Marie Claire, donne voix aux élans et frustrations d'une penseuse de terrain.

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Une tête brûlée

Ferrailler l'exalte follement, le danger l'indiffère – se verrait-elle martyre ? Elle versera plus tard, en tout cas, dans la mystique chrétienne – et l'on aurait presque envie de prendre les armes à ses côtés tant ses entêtements enthousiasment.

Mais les exactions de certains anarchistes de son camp vont doucher sa fougue de jeune intellectuelle de gauche, ce que Bosc raconte sans manichéisme aucun.

Une guerrière bien humaine

Drôle de guerre que celle de Weil qui, à peine arrivée sur le front, se blesse bêtement. Voici la scène : il pleut des obus, tou·tes aux abris ; quand tout se calme, sortant de sa cachette, la philosophe va-t-en-guerre se prend les pieds dans une marmite d'huile bouillante oubliée là, se brûle gravement, ce qui l'écarte des combats.

Les morceaux de bravoure de ce roman de guerre ? Ils résident, non sans ironie, dans ces moments d'inaction forcée, dans ce que devient l'envie d'en découdre face à la trivialité du corps. 

Une lettrée parmi des hommes

Loin du roman biographique linéaire, Colonne tient du stimulant collage où se mêlent fiction, interrogations historiques de l'auteur, textes flamboyants de Weil elle-même, dont cette longue lettre post-guerre à Bernanos : à l'écrivain d'hyper droite qui a pourtant dénoncé, dans Les grands cimetières sous la lune (Éd. Le Castor Astral), les atrocités franquistes, elle dit se reconnaître en lui.

Camaraderie littéraire inattendue sur fond d'idéologies déçues. Weil, Bernanos, mais aussi Hemingway (Pour qui sonne le glas, Éd. Folio) ou Orwell (Hommage à la Catalogne, Éd. 10/18)… Autant de grandes plumes qui, à la Guerre d'Espagne, doivent leurs plus puissants ébranlements.

Colonne, d'Adrien Bosc. Éditions Stock, 18,50 €.

Cet article a été initialement publié dans le Marie Claire numéro 835, daté avril 2022.

Avec le soutien de nos partenaires Nathalie Blanc et Fauré Lepage.