"Quelle chance ! Tu peux bosser en pyjama !" Tous les freelances et indépendants ont un jour entendu cette remarque de la part d'un proche. L'intention n'est pas mauvaise mais en dit finalement long sur notre vision du travail en dehors de l'entreprise. Effectivement, les premières semaines, voire les premiers mois, donnent le vertige. Aucun horaire précis à respecter, aucun chef à qui rendre des comptes en direct, aucune tenue correcte exigée, bref la liberté totale. Et la panique qui va avec.

Car si se retrouver seule maîtresse à bord a indéniablement ses avantages – travailler en pyjama justement, ou avec les cheveux gras – il s'agit aussi d'apprendre à s'organiser. Pour bosser efficacement d'une part, mais surtout pour ne pas s'épuiser et perdre la notion de vie privée. On fait le point avec Isabelle Barrasa, chargée de développement au CMB, le service de santé au travail assurant le suivi des intermittents du spectacle, des mannequins et des journalistes pigistes. Une habituée, donc, des salariés "multi-employeurs".

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Débrancher son téléphone

Adoptée en janvier 2017, la loi garantissant le droit à la déconnexion devait rétablir la frontière entre vie pro et vie perso. Depuis, selon le Code du travail, la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail doit aborder "la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale". Seulement voilà, lorsqu'on n'est pas entièrement intégrée à une entreprise, dur dur de faire respecter ce cadre. Dur dur aussi de se l'imposer.

"Même malade, je bosse. En vacances, je consulte mes mails, je garde un œil sur mon téléphone, je reste toujours disponible. C'est sûr, je ne me repose jamais complètement, mais je ne peux pas me permettre de rater un contrat", reconnaît Emilie, photographe. Ce que comprend Isabelle Barrasa : "Couper reste évidemment compliqué pour des gens qui sont payés s'ils travaillent et ne le sont plus dès qu'ils s'arrêtent." Alors, comment faire ?

La spécialiste conseille d'avoir deux téléphones, l'un pro et l'autre perso. "C'est tout bête mais quand le portable professionnel sonne à 23h, ça permet de se dire : "est-ce que je décroche ?"" À défaut, on peut s'astreindre à ne pas répondre aux appels aux heures indues ou les week-ends. Votre interlocuteur laissera un message, que vous écouterez au moment où vous l'aurez choisi.

Ne pas se noyer dans les mails

Quant aux mails, il existe cette merveilleuse fonction de "réponse automatique", certainement inventée par un développeur freelance en mal de vacances. Car oui, même indépendante, vous avez le droit de prendre quelques jours de repos. Et de signaler à vos clients ou vos différents employeurs que vous serez absente de telle date à telle date. "Lorsqu'on envoie un mail, on espère une réponse rapide. Là, vos interlocuteurs n'ont pas à attendre, ils sont fixés. Et c'est à vous de décider quand vous leur répondrez plus précisément."

En temps normal, Isabelle Barrasa conseille d'ailleurs de ne consulter ses mails que deux fois par jour : l'une le matin, l'autre en milieu d'après-midi. Ce qui permet d'organiser sa journée plus sereinement, tout en restant disponible et capable de répondre aux éventuelles urgences. De même, on coupe les notifications de mails, pour ne plus être assaillie et faire soi-même la démarche d'aller lire ses courriels.

Gérer ses horaires

"Quand j'ai commencé en freelance, je bossais vraiment n'importe comment, se souvient Louise, auto-entrepreneuse. Je dormais jusque midi, je travaillais au beau milieu de la nuit. Après, j'ai eu un moment où je culpabilisais à mort et j'enchaînais des journées super longues, de 6h30 à 22h. Imagine la tête du client qui reçoit un mail pro à 6h40 le matin !" Effectivement, se fixer des horaires consiste une des premières difficultés rencontrées par les nouveaux indépendants. Quand on y pense, toute notre vie, notre emploi du temps a été réglé par d'autres que nous  : nos parents, l'école, nos patrons... Alors, quand on se retrouve à organiser soi-même ses journées, on ne sait finalement pas trop comment faire. Pourtant, c'est tout simple : il suffit de garder des horaires classiques, qu'on peut légèrement aménager si on n'est pas du tout du matin ou, au contraire, plutôt couche-tôt – il faut quand même que l'indépendance garde ses avantages.

Quand j'ai commencé en freelance, je bossais vraiment n'importe comment. Je dormais jusque midi, je travaillais au beau milieu de la nuit.

Déjà, parce que physiologiquement, notre corps n'est pas fait pour travailler à 2h du matin, quand tout le monde dort, mais plutôt de 9h à 17h. Surtout, "c'est socialement important de rester dans les horaires de la société. Vous pouvez voir votre entourage, rester connecté aux autres, garder une vie extérieure. Sinon, vous allez vivre complètement en décalage avec la vie sociale", rappelle la spécialiste de la santé au travail. Ce qui n'empêche pas, bien au contraire, de s'octroyer quelques pauses. Une courte sieste après manger, pour recharger les batteries et se créer une vraie coupure pour le déjeuner, par exemple. Ou, dix minutes dans la matinée pour faire quelques mouvements de gym, pratiquer la méditation, aller marcher, en tout cas quitter la pièce où l'on travaille pour voir la lumière du jour. "Il ne s'agit que de dix minutes, rassure Isabelle Barrasa, elles ne changeront rien à ce que vous gagnerez à la fin du mois." Évidemment, le téléphone n'est pas admis lors de cette parenthèse.

Et lorsqu'on doit travailler en horaire décalé, si c'est exceptionnel, il vaut mieux rattraper après. Pour celles dont c'est le quotidien, là encore fixer un cadre a son importance. "Il faut respecter un rythme de vie, s'arrêter à heures fixes pour s'alimenter."

Aménager son espace de travail

Freelance, vous répondez à vos mails pros depuis votre canapé ? Ce n'est pas vraiment un problème, tant que vous êtes bien installée. Car les postures de travail sont primordiales. Elles constituent d'ailleurs un des points auxquels le CMB reste le plus attentif. "Lorsqu'on rencontre une personne, on s'intéresse à la manière dont elle s'assied, de quel matériel elle dispose : a-t-elle un bon siège dont elle peut régler la hauteur ? Celle des accoudoirs ? Où est placé son écran ? Où se situent ses coudes par rapport à son clavier ? Tout ce qu'on peut ajuster pour ne pas se retrouver avec une hernie discale à 50 ans."*

Vous l'aurez compris donc, travailler à la maison implique de s'équiper un peu : une bonne chaise, une pile de livres pour relever votre écran, un support spécifique pour l'ordinateur si vous bossez dans votre canapé, un repose-pied si votre bureau est assez haut, parfois une souris ergonomique... "Quand j'ai posé mon PC portable sur quelques gros bouquins, ma vie a changé, s'amuse Céline. J'avais moins mal aux cervicales puisque l'écran était devant mes yeux. Pareil pour les bras, mes coudes étaient plus soutenus, mes poignets moins sollicités. Finalement, ça ne tient à pas grand chose !"

Pour celles qui le peuvent, se créer un espace de travail dédié peut aussi améliorer le quotidien. Compartimenter physiquement aide le corps à intégrer les différents temps de la journée. Et cela permet également de s'aménager sa petite bulle, à son goût. Pour que le travail ne soit plus une corvée.

*Retrouvez ici les conseils du CMB pour l'installation de son poste de travail et de son écran. 

Les prénoms ont été modifiés.