Témoignage : "À 42 ans, j'ai appris que j'étais atteinte d'un Alzheimer précoce"

Alzheimer-précoce
Avec "Alzheimer précoce, mes petits carnets de vie", paru aux éditions Michalon, Florence Niederlander nous plonge au coeur de sa mémoire chamboulée par la maladie. De ses cahiers qu'elle tient pour se souvenir et transmettre, débordent pourtant une lucidité et un optimisme puissants. Interview.

"Comment vous parler d'un livre que je ne me souviens plus avoir écrit ?" Florence Niederlander, diagnostiquée Alzheimer en 2013, à l'âge de 42 ans, pose cette question troublante en début d'interview. Bien sûr qu'elle pourrait l'ouvrir ce livre, relire son histoire, des pans entiers de son existence qui lui échappent, mais à quoi bon, interroge-t-elle en l'air, puisque "chaque fois les souvenirs s'effacent." 

Son arme de lutte contre l'oubli ? L'écriture. Sur des Post-it qui tapissent les murs de sa petite maison en Moselle ou sur les pages de cahiers aux couvertures colorées et décorées de fleurs. Ces "carnets de vie", comme elle les surnomme, sont à la fois journal de bord et journal intime.

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Suspendue au bon-vouloir de sa mémoire

Au stylo noir ou au feutre rose, d'une écriture délicate et arrondie, Florence y consigne aussi bien les horaires de ses rendez-vous chez le médecin ou entre amis, listés en pense-bête, que son ressenti profond dans les mauvais jours. Comme cette fois où la quarantenaire ne reconnaît pas son reflet. "C'est une étrange sensation d'avoir cette étrangère en face de moi, je la regarde et elle me regarde, exprime-t-elle, bouleversante. Je ne sais pas si sa présence en face de moi doit m'effrayer, peut-être, je ne la connais pas."

Son livre, Alzheimer précoce - Mes petits carnets de vie (éditions Michalon), d'abord écrit pour garder une trace, jamais pensé pour des lecteurs inconnus, est un témoignage rare, car l'auteure est lucide face à ses faiblesses et sa maladie. Ainsi, les lecteurs sont plongés dans une pensée touchée précocement par Alzheimer, au plus près du ressenti de la personne suspendue au bon-vouloir de sa mémoire.

Alzheimer précoce, une pathologie qui reste rare

Et puis, ce qui fait la rareté de ce témoignage, c'est aussi la rareté de son cas. Les symptômes de cette maladie apparaissent à l'âge moyen de 73 ans. En France, d'après l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 900 000 personnes ont été diagnostiquées Alzheimer, et seulement 2% d'entre eux ont moins de 65 ans.

Durant l'interview, Florence est concentrée, appliquée à livrer des réponses précises, poussées. Il y a, à certains moments, de courtes pauses, des blancs d'égarement, pas plus qu'avec d'autres interviewés qui perdent le fil, oublient la question initiale après une longue réponse. 

Cet entretien, elle craint de ne pas pouvoir le lire, car il lui arrive dans les mauvais jours d'oublier comment fonctionne son téléphone. Au pire, "les infirmiers du matin" lui liront l'interview. "Ils savent", dit-elle. Alors, allons-y.

Quatre ans entre l'annonce du médecin et celle aux proches

Marie Claire : Comment avez-vous compris que quelque chose n'allait pas ?

Florence Niederlander : Tout allait bien pour moi, il n'y avait aucun souci ! Je ne voyais même pas l'intérêt d'aller consulter un neurologue ou un quelconque médecin.

Mon fils, alors âgé de douze ans, m'y invitait parce qu'il y avait des indices qui l'inquiétaient. Dans notre maison, les objets n'étaient plus à leur place, on ne retrouvait plus certains de ses vêtements. Mais je trouvais une explication à chaque situation. Pas inquiète, je n'allais pas plus loin.

Jusqu'à ce jour où je me perds dans notre cuisine, je ne reconnais absolument plus rien. Mon fils me lance alors : "Maman, ça craint". "Craindre" est un terme fort qui m'a interpellé et alerté, il ne faisait pas partie de son vocabulaire. J'ai eu envie de le rassurer en allant voir un médecin.

Vous consultez alors plusieurs médecins, dont un neurologue. Vous souvenez-vous de votre ressenti au moment de l'annonce du diagnostic ? 

Quand le neurologue a prononcé le mot "Alzheimer", il y a eut un bruit sourd en moi. Un bâtiment m'est tombé à ce moment-là sur la tête. Aucun mot ne sortait de ma bouche. Je n'ai pas ressenti de peur, le mot "Alzheimer" était tellement puissant que j'étais en état de choc.  

Que pouvais-je répondre à une telle annonce ? J'associais cette maladie à la perte de la mémoire, d'une identité, aux personnes âgées, c'est tout. Je ne savais rien d'autre.

Pourquoi l'avoir cachée à votre fils ?

Ce n'était jamais le bon moment. Il était trop petit pour entendre cela. J'ai gardé le secret durant deux ans. Et puis, la situation à la maison et mes agissements devenaient incompréhensibles pour lui. J'ai donc dû lui expliquer. Pendant tout ce temps, il s'était armé de tellement de patience et de douceur.

Craigniez-vous aussi de l'annoncer à vos proches ?

Mes proches étaient discrets et bienveillants, mais je sentais bien qu'ils me voyaient égarée et se demandaient ce qui clochait. J'ai réussi à leur en parler seulement quatre ans après le diagnostic, et ce, grâce à "France Alzheimer". L'association a organisé deux conférences dans mon village, y a invité ma famille et mon entourage, et leur a expliqué ce qu'il m'arrivait.

Certains ont posé des questions, d'autres n'ont pas eu ce courage. Chacun a réagi selon ses moyens.

J'associais cette maladie à la perte de la mémoire, d'une identité, aux personnes âgées.

Certains se sont-ils éloignés de vous ?

Le mot "Alzheimer" peut effrayer. Donc, certains ont pris leur distance. Mais surtout, d'autres sont arrivés dans ma vie. L'association "France Alzheimer" m'a permis de faire de belles rencontres. Et puis, les infirmiers, l'orthophoniste, le neurologue, le médecin généraliste, l'ergothérapeute... Tout les soignants qui s'occupent de moi sont aussi de belles rencontres.

Je suis bien entourée. Je me sens chanceuse.

Les carnets pour alliés

Dans quelle mesure l'écriture vous aide-t-elle ?

Ces carnets, je les remplis, au départ, pour exprimer tout ce que je ne peux pas dire, puisque je décide de garder le silence. J'écris pour tenir, pour patienter jusqu'au moment où j'allais oser lui parler (à son fils, ndlr). Ils lui étaient destinés.

Poser des mots sur le papier s'est révélé nécessaire pour libérer mes ressentis, mais aussi, simplement, pour me rappeler des choses. 

Que ressentez-vous lorsque vous vous relisez ?

Je ne sais pas si j'en parle dans le livre, je ne m'en souviens plus, mais j'avais un jour rendez-vous avec la psychologue de "France-Alzheimer", et le Jour-J, nous n'étions pas d'accord sur l'horaire déterminée ensemble. J'étais persuadée d'avoir raison en lui avançant une certaine heure. Et elle, patiente, m'assurait calmement que j'avais tort. Alors j'ai relu mon carnet pour vérifier. C'était bien mon écriture, mais c'était comme si je découvrais ce qui était écrit, je ne m'en souvenais plus. J'ai relu et j'ai réalisé que c'est elle qui avait raison.

Mes écrits sont des preuves, ils m'aident à rester cohérente, à concéder après avoir contredit. Alors parfois, c'est difficile de se relire. Mais d'autre fois, c'est tellement surprenant de ne plus me souvenir d'avoir écrit cela, que ça m'amuse.

L'optimisme comme arme contre la maladie

Qu'avez-vous appris de vous depuis l'annonce de votre maladie ?

Dès l'annonce de ma maladie, je n'avais pas envie de penser qu'elle allait me faire perdre ma personnalité ou bien mon optimisme. J'avais envie de crier "Je suis vivante", et ça, je le crierai tant qu'il m'est possible de le faire. 

Mes écrits sont des preuves qui m'aident à rester cohérente.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur la maladie d'Alzheimer ?

On décrit toujours cette maladie dramatiquement, et c'est vrai qu'elle est dramatique. Mais lorsqu'on la regarde en face, qu'on l'affronte - et je le pense sincèrement - on réalise qu'elle cache une autre facette impressionnante et magnifique. Un vrai trésor d'instants puissants.

Alors c'est vrai, je peux avoir des comportements incompris ou inadaptés, qui peuvent mettre mal à l'aise mes interlocuteurs, mais aujourd'hui je sais rire de ma maladie avec mon fils, et ça, c'est merveilleux.

Comment va votre fils ?

Il fait désormais ses études loin de la maison. Il a sa vie à vivre. Je l'ai encouragé à partir, je ne voulais pas qu'il devienne aidant. Surtout pas. Il est trop jeune. Ce n'est pas son rôle.

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