Sylvie Le Bihan : “J’avais 17 ans, ils étaient trois.”

Par Catherine Durand et Corine Goldberger
Sylvie Le Bihan
Le témoignage de Sylvie Le Bihan, écrivaine.

«J’étais monitrice de colonie de vacances. C’était en juillet 1983. Nous avions passé la soirée à danser. Après la fête, je suis allée prendre une douche, ma serviette sous le bras... J’étais seule, ils étaient trois. J’ai encore du mal à en parler. On peut difficilement imaginer la violence de la chose. Tout s’est effondré d’un coup, quand ils ont surgi et qu’ils m’ont violée, entourée de ces carreaux blancs de salle de bain. Je me souviens de tout, de ces visages. Mais je n’ai jamais su qui ils étaient. Je ne les avais jamais vus avant. Est-ce que j’ai été suivie ? Je ne sais pas.

On m’a transportée à l’hôpital

On m’a transportée à l’hôpital, j’avais une fracture ouverte de la jambe, des côtes cassées... Un gendarme m’a dit : “Je te donne un conseil, ne porte pas plainte, reconstruis-toi, oublie.” Il représentait l’autorité, je l’ai écouté et je n’ai pas porté plainte. Quarante-huit heures plus tard, ma mère est venue me chercher. Je suis rentrée chez moi et je n’ai plus voulu en parler. J’ai bâillonné la jeune fille qui avait subi, puis je suis partie faire mes études à Strasbourg en faisant tout pour oublier.

Vidéo du jour

Ma revanche était d’essayer d’avoir une vie normale. Je n’en veux pas à mes parents de ne pas avoir cherché à me faire parler, je ne sais pas non plus comment j’aurais réagi. Près de trente plus tard, alors que j’étais invitée sur un plateau de télévision pour parler de mon premier livre (1), sur les violences psychologiques dans le couple (j’avais vécu avec un pervers narcissique), un avocat m’a dit: “Si vous avez été ciblée par ce genre d’homme, c’est que vous aviez une faille.” Sur le moment, j’ai pensé: “Mais qu’est ce qu’il me raconte? C’est n’importe quoi, je vais très bien.”

J’étais dans le déni

En fait, il avait raison. J’étais dans le déni. Ensuite j’ai commencé à écrire mon troisième roman (2), et plus j’avançais, plus je me rendais compte que le personnage principal, cette femme dont je parlais, me ressemblait beaucoup. Pour la première fois. J’ai appelé mon éditrice et je lui ai annoncé: “Je crois que je vais raconter quelque chose.” Elle m’a fait confiance. Mais je n’aurais jamais pu écrire sur le viol sans inventer un personnage, sans rempart.

Un viol, on ne s’en sépare jamais

Un viol, on ne s’en sépare jamais, on y pense tous les jours. Quand ma fille a eu 17 ans, j’ai paniqué. Pendant un an je suis allée la chercher à toutes ses soirées, à 4 heures du matin ; c’est con, parce que quand elle a eu 18 ans ç’a été fini. Pendant des années j’ai fait des cauchemars, mon mari me retrouvait prostrée dans un coin. Si je le pouvais aujourd’hui, je porterais plainte. Pas pour moi – je vais mieux, je vis aujourd’hui avec un homme qui me soutient, l’amour m’a guérie –, mais je le ferais pour les autres, pour que ceux qui ont failli me détruire ne recommencent jamais. Il faut donner le choix aux victimes, leur laisser le temps d’être prêtes à parler. »

Signez le Manifeste pour l'allongement du délai de prescription pour les victimes mineures de viol : ici

1."L’autre", éd. Points. 2. "Qu’il emporte mon secret", éd. Seuil.

qu'il emporte mon secret

[Dossier] #JamaisTropTard : Manifeste pour l'allongement du délai de prescription pour les victimes mineures de viol - 12 articles à consulter

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