Depuis la découverte de la pénicilline en 1928 par l’Ecossais Alexander Fleming, l’avènement des antibiotiques a permis de sauver des millions de vie en muselant les bactéries agressives responsables d’infections. Cette extraordinaire avancée de la médecine moderne semble toutefois à bout de souffle. En raison de leur grande efficacité, les antibiotiques ont vu en effet leur usage se démultiplier… jusqu’à la gabegie. Résultat : beaucoup de germes se sont adaptés et ont développé des résistances.

Si nous n’arrivons pas à les dompter, nous risquons de retourner un siècle en arrière, à une époque où une simple blessure pouvait dégénérer en infection mortelle. Les suites opératoires après une pose de prothèse ou une greffe d’organe pourraient également devenir problématiques.

Les bactéries de plus en plus coriaces

La situation commence à devenir critique. Le nombre de morts, lié directement ou indirectement à une infection par des bactéries résistantes, est estimé à 700 000 par an dans le monde. Et selon une étude de novembre 2018 publiée dans la prestigieuse revue de recherche médicale The Lancet, 33 000 personnes en seraient décédées en 2015 dans l’Union Européenne, dont 5 500 en France. Si rien ne change, la mortalité par maladie infectieuse dépassera celle par cancer. "Une personne mourra d’infection toutes les trois secondes en 2050 dans le monde", alerte l’OMS.

Pour freiner la prolifération de germes tenaces, il ne faut recourir aux antibiotiques que lorsqu’ils sont absolument nécessaires

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Les bactéries qui commencent à poser le plus de souci sont les entérobactéries (surtout Escherichia coli et Klebsiella pneumonae), car leur résistance aux céphalosporine de 3ème génération continue de s’accroître : 2% en 2007 contre 10,2% en 2017 pour les premières et 10% en 2007 et 28,8% en 2017 pour les secondes. Les bacilles responsables de la tuberculose inquiètent aussi de plus en plus avec 600 000 cas résistants à la rifampicine, l’antituberculeux de référence en première intention, signalés en 2017.

La surconsommation sur le banc des accusés

À force d’employer des antibiotiques de façon déraisonnée, nous avons nous-mêmes signé leur arrêt de mort. Alors que ces médicaments ne sont efficaces que contre les bactéries, beaucoup sont encore prescrits à mauvais escient à des patients atteints d’une maladie virale (rhume ou grippe par exemple). Face à cette agression, les bactéries de notre flore intestinale – le fameux microbiote – développent alors des résistances qu’elles sont susceptibles de transmettre aux bactéries pathogènes.

En France, la consommation d’antibiotiques reste ainsi trop élevée. En médecine de ville, elle est deux fois plus importante qu’en Allemagne et trois fois plus qu’aux Pays-Bas, selon un rapport de la Cour des comptes de février 2019. Nous sommes certes de mauvais élèves, mais c’est encore pire dans certains pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud où les antibiotiques sont en vente libre, sans contrôle médical. On en trouve parfois même sur les marchés. Peu dosés, ils ne sont pas très efficaces mais stimulent fortement l’apparition de résistances. Et avec les mouvements de populations, ces "super-microbes" se disséminent dans le monde. 

L’élevage également responsable

La moitié des antibiotiques commercialisés dans le monde est destinée aux volailles et au bétail. Certains sont dispensés à des fins vétérinaires, à but thérapeutique ou préventif. Mais la majeure partie est délivrée pour booster la croissance et la prise de poids des animaux. Il est en effet prouvé que les bœufs, les porcs, les dindes et les poulets grandissent plus vite en ingérant des antibiotiques à faible dose.

Cette pratique est désormais interdite en Europe, mais elle perdure dans de nombreux pays – dont les Etats-Unis- ce qui favorise énormément l’apparition de bactéries résistantes qui se répandent dans l’environnement et sont transmises ensuite à l’homme.

L’hôpital, un lieu à haut risque

Les infections nosocomiales, contractées suite à des soins ou à un séjour à l’hôpital, sont légion : une personne sur vingt en serait victime en France, selon la Cour des Comptes. Or en milieu hospitalier, nombre de germes en circulation sont résistants à un ou à plusieurs antibiotiques en raison de la concentration des malades. Il suffit que le personnel soignant oublie de se laver les mains au gel hydro-alcoolique entre deux patients pour que les bactéries passent de l’un à l’autre. En novembre 2018, une étude parue dans The Lancet suggérait que 75% des infections par des bactéries multi-résistantes étaient en effet contractées à l’hôpital.

L’excès d’hygiène est aussi en cause. Des chercheurs autrichiens de l’université de Graz ont démontré en mars 2019 que les services les plus sujets à un contrôle microbien strict (unité de soins intensifs notamment) abritent davantage de germes ultra résistants.

Le tourisme médical est encore plus risqué car il s’effectue dans des pays où les germes récalcitrants sont les plus nombreux. Aller se faire poser une prothèse de hanche en Inde ou se refaire les seins au Maghreb est certes moins coûteux mais accroît beaucoup le risque de contracter des souches multi-résistantes. 

Les bons réflexes à adopter

Pour freiner la prolifération de germes tenaces, il ne faut recourir aux antibiotiques que lorsqu’ils sont absolument nécessaires. Mieux vaut aussi respecter le dosage et la durée de prise indiqués sur l’ordonnance. Arrêter un traitement trop tôt, sous prétexte que vos symptômes ont disparu, est propice au développement de bactéries résistantes.

Face à une angine, votre médecin devrait en outre systématiquement réaliser un test de diagnostic rapide pour déterminer si son origine est virale ou bactérienne. Dans le premier cas, les antibiotiques sont totalement inutiles. Mais hélas, seuls 40% des médecins traitants effectuent ce test. Les pharmaciens ont désormais le droit de le pratiquer aussi. Mais force est de constater que peu d’officines le propose.

Des alternatives en perspective

Depuis des décennies, les grands laboratoires ont cessé d’investir dans la recherche de nouveaux antibiotiques. Ils préfèrent miser sur le développement de médicaments contre le diabète ou le cancer bien plus rentables. Mais tout espoir n’est pas perdu. Plusieurs start-up tentent de comprendre les mécanismes biologiques à l’origine des résistances aux antibiotiques afin de les contourner. D’autres isolent des molécules issues de champignons ou de bactéries susceptibles de restaurer l’efficacité des antibiotiques.

Beaucoup de médecins fondent de grands espoirs sur les bactériophages, des virus spécifiques qui s’attaquent aux bactéries. Les administrer aux patients infectés par des souches multi-résistantes devrait permettre de se passer d’antibiotiques. C’est le principe de la phagothérapie. Connue de longue date, elle est tombée dans l’oubli avec l’arrivée des antibiotiques, sauf en Europe de l’Est. Plusieurs laboratoires essaient de la remettre au goût du jour, mais pour l’heure elle n’est réservée en France qu’aux cas les plus graves pour lesquels il n’existe plus d’autre alternative. Mais au vu des bons résultats obtenus, notamment à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon contre des infections ostéoarticulaires, ce traitement pourrait se généraliser d’ici quelques années.