Petit retour en arrière sur le métier d'hôtesse de l'air

"Toute ma vie j'ai rêvé d'être une hôtesse de l'air", chantait Jacques Dutronc en 1970. Et il n'était pas le seul : à l'époque, ce métier suscitait autant de vocations chez les jeunes filles que de fantasmes chez les hommes, "grâce au trio beauté-voyage-glamour associé à la profession, ainsi qu'au caractère élitiste de l'avion, synonyme de technologie de pointe et réservé aux seules CSP+ il y a encore trente ans", rappelle l'historienne Vanessa d'Hooghe. Il faut dire que les critères de sélection mis en place dès la naissance de cette profession, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, étaient bien plus stricts qu'aujourd'hui. "Avant, on était toutes canons", résume Valérie, 52 ans, aujourd'hui chef de cabine chez Air France, tandis que Catherine, 59 ans, se souvient : "Lorsque j'ai postulé chez UTA, on m'a littéralement jetée sur la balance avant de me demander quoi que ce soit d'autre."

Chez Air France, les hôtesses ne pouvaient pas mesurer moins d'1,62 m (ni plus d'1,80 m), leur silhouette devait être "harmonieuse" – indice de masse corporelle à l'appui – et leurs jambes toujours hissées haut : "Nous n'avons eu le droit de troquer nos talons pour des mocassins qu'au début des années 2000", complète Catherine.

Synonyme de beauté certifiée, la profession offrait aussi des conditions de travail alléchantes, évoquées par Sabrina, aujourd'hui quinquagénaire, avec nostalgie : "A 20 ans, je travaillais pour une compagnie étrangère. J'étais logée, je gagnais 12 000 F (l'équivalent de 3 600 € actuels, en tenant compte de l'inflation, ndlr) par mois net d'impôt, et avec nos escales qui duraient une semaine, on avait le temps de voir du pays !"


Vidéo du jour

Une ascension peu féministe

Si on ajoute à cela la possibilité de croiser, au détour d'un siège business, celui qu'on n'aurait jamais côtoyé ailleurs, on comprend pourquoi nombre de jeunes filles rêvaient de passer leur vie en l'air... Et de s'élever socialement au passage, comme le résume Christelle, 37 ans : "J'arrivais de Bretagne, je n'avais jamais pris l'avion, dormi dans un palace ni côtoyé d'hommes d'affaires avant de voler pour Air France..." Amour, gloire et beauté dans un ciel sans nuage ? En partie oui, mais c'était aussi l'image du métier vantée par les compagnies. N'oublions pas que l'avion a été et reste, en dépit de sa fiabilité, un moyen de transport qui fait peur, et que le personnel navigant a sciemment été féminisé afin de rassurer les mâles voyageurs, jadis ultra-majoritaires parmi les passagers.

Comme l'explique Vanessa d'Hooghe : "En embauchant des femmes, les compagnies entendaient prouver que l'avion n'était pas dangereux... puisque des filles osaient y monter ! Le rôle des hôtesses, souvent recrutées dans des concours de beauté, issues de la bourgeoisie et vêtues d'uniformes créés par de grands couturiers pour Air France (Balenciaga, Christian Dior, Nina Ricci, Christian Lacroix), était de recevoir les passagers comme s'il se fût agi d'amis de leur mari ! On recréait ainsi une ambiance "comme à la maison", apte à faire oublier qu'on était à trente mille pieds du sol." Cette exploitation commerciale d'une certaine image de la féminité allait de pair avec une organisation du travail pas franchement féministe : afin de parer les hôtesses d'une alléchante aura de disponibilité, on leur a longtemps interdit d'avoir des enfants, plus de 40 ans, les cheveux frisés ou même de se marier (jusqu'en 1963)... sous peine de licenciement.

Ce corps de métier s'est battu pour faire valoir ses droits, mais il a fallu attendre 2005 pour que les hôtesses d'Air France obtiennent celui de porter le pantalon. "En dépit des progrès sociaux, je déconseille ce métier aux mères, résume Valérie. Nos plannings de vol changent tout le temps. Et comme on est souvent divorcées de stewards logés à la même enseigne, c'est un casse-tête pour la garde des enfants."

Casser le mythe lié à ce métier : voilà à quoi s'emploie Jeanne-Marie Lavallée, ex-hôtesse devenue comédienne. Sur la scène d'un théâtre parisien, dans son one woman show, elle balance ses sketchs comme on dézingue un rêve brisé, raconte sa trouille post-11-Septembre et les voyageurs qui lui jettent des cacahuètes. "Oui, j'ai connu le super-salaire, les cosmétiques gratuits, les fêtes jusqu'au bout de la nuit et la drague généralisée. Puis ils ont réduit le temps d'escale et le nombre d'hôtesses sur les vols. Les nouvelles recrues, de plus en plus épuisées et précaires, préféraient manger des soupes instantanées dans leur chambre d'hôtel plutôt que de sortir."

Alors qu'un avion décolle chaque seconde dans le monde, le transport aérien obéit désormais à une logique de masse : aéronefs pouvant transporter jusqu'à 450 passagers, temps d'escale et de repos rognés au maximum, salaires réduits, embauches en CDD. Le tout agrémenté de relations avec les voyageurs de plus en plus conflictuelles, comme en témoigne Sabrina : "Avant, les gens nous prenaient pour des mannequins. Désormais, ils nous traitent comme leurs boniches de l'air."


Du BCBG au low-cost

"Elles sont devenues moches, les hôtesses", a t-on entendu grincer plus d'une fois de la bouche d'un macho déçu. "Moches... et vieilles, oui Monsieur !" aurait-on envie de leur répondre, en se félicitant de la généralisation, sur le sol occidental, des lois "antidiscrimination" qui empêchent de recruter ouvertement selon l'âge ou l'apparence physique. Le hic, c'est que certaines compagnies continuent à alimenter la machine à fantasmes, tel Ryanair éditant chaque année son calendrier sexy des hôtesses ou faisant miroiter, dans une pub de 2012, "des promos aussi chaudes que son équipage" ("red hot fares & crew") sur fond de pin-up en maillot de bain. Malmenées par des passagers de plus en plus nombreux, promues au rang d'objets sexuels alors qu'elles étaient jadis considérées comme les ambassadrices BCBG de leur pays, les hôtesses de l'air ont vu leur image et leurs conditions de travail se détériorer.

Comme le résume Bertrand Flamme, responsable pédagogique à l'Académie parisienne Ilia, qui forme des membres d'équipage de cabine : "Le métier est plus dur qu'avant, et revêt des réalités très variées, en fonction des employeurs." Ainsi, les compagnies low-cost, qui n'hésitent pas à recruter au niveau bac, offrent à leur personnel contrats précaires et mini-trajets (car majoritairement intra-européens), donc sans escale ni cocotiers. "Moi, je n'aurais jamais accepté de bosser dans ces conditions-là", précise Cécilia qui, forte de son deug d'anglais et de son expérience comme chef de cuisine sur des yachts, navigue sur une compagnie de jets privés, gère rarement plus de cinq passagers à bord, et a passé Noël à l'île Maurice, tous frais payés, alors qu'elle travaille quinze jours par mois pour 3 000 € net.

Rien de commun, non plus, entre la vie d'Olga, qui (ne) fait (que) Paris-Moscou pour 1 500 € mensuels, et celle d'Amélie, chez Emirates : "On était quatre cents à postuler, dix retenues ! Aujourd'hui, je partage un 120 m2 avec deux collègues à Dubaï. Je suis logée, nourrie, payée 1 800 € net d'impôt, plus les frais en liquide à chaque escale. Je connais l'Asie, les Etats-Unis... mais ne ferai croire à personne qu'il est passionnant de servir des plateaux-repas." Un discours pragmatique, à mille lieues de celui d'Inès, croisée lors d'une journée portes ouvertes à l'Académie Ilia : "Je suis gardien de la paix,
mais j'ai dû me tromper d'uniforme. Hôtesse, c'est plus féminin, ça m'irait bien car j'ai toujours le sourire. Moi, j'adore les avions, je me vois bien dans les Caraïbes. L'anglais ? Je le parle a little. J'ai le niveau bac, mais je mesure 1,69 m."

"Ce métier reste un rêve pour les jeunes filles issues d'un milieu modeste, qui ne réalisent pas que, sans bagage culturel ni un bon niveau de langues, elles ont peu de chances de voler en long courrier, constate Bertrand Flamme. Mais il est encore synonyme d'ascension sociale, car débuter à 1 500 € dans une petite compagnie, lorsqu'on n'a pas de diplôme, n'est pas si mal en temps de crise." Si la profession ne fait plus tant rêver en France, elle reste mythique dans de nombreuses parties du globe. Selon Franklin Auber, directeur des relations extérieures chez Singapore Airlines : "Ce métier est toujours très valorisé en Asie, d'autant plus qu'il permet aux hôtesses de découvrir le continent européen, où elles n'auraient pas forcément eu les moyens de voyager."


Quitter le chômage pour le ciel

A une tout autre échelle, Olga, l'hôtesse de la ligne Paris-Moscou, est consciente de la chance qu'elle a "de vivre en France, même en gagnant 1 500 € par mois", quand elle compare son existence à celle de ses copines restées à Vladi vostok. Comme l'a remarqué Amélie, il y a aussi "de plus en plus de Grecques et d'Espagnoles chez Emirates". Il est vrai que, dans leurs deux pays, le chômage des jeunes dépasse les 50 %. Le métier d'hôtesse permet encore à de nombreuses femmes d'échapper aux contraintes économiques, géographiques et même politiques dictées par leur pays d'origine. "Je viens d'une île où les gens n'ont pas le droit de voyager, sauf à l'invitation d'un étranger", témoigne ainsi une hôtesse cubaine, qui dit "savourer, à chaque vol, le privilège énorme que représente cette liberté de mouvement". Et il est encore des hôtesses françaises qui ne regrettent pas d'avoir choisi le ciel comme lieu de travail. "C'est quand même un sacré luxe de passer sa vie hors du monde quotidien", reconnaît ainsi Valérie, trente-deux ans de métier. Avant d'avouer : "Je suis toujours capable de me mettre à pleurer d'émotion au spectacle d'une aurore boréale."