Comment le numérique transforme en douceur le système de santé

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

11 janvier 2024

Paris, France – Essor de la télésurveillance remboursée depuis le 1er juillet, financement de dix nouveaux entrepôts de données de santé pour mieux exploiter les datas, échanges de documents dans Mon Espace Santé, ordonnance numérique généralisée en 2025... Les services du ministère de la Santé et de l’Assurance maladie ont présenté, le 14 décembre dernier, un point d’étape sur la feuille de route du numérique en santé. En dépit d’avancées, le chantier de la digitalisation ne se fera pas en un jour.

Dix millions d’utilisateurs de Mon Espace Santé

Près de deux ans après son lancement en février 2022, Mon espace santé n’est pas encore devenu le carnet de santé numérique incontournable de tous les assurés. Mais les Français commencent à se l’approprier. « 95 % des Français ont un Espace Santé ouvert et 15 % l’ont activé », souligne Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Caisse nationale d’Assurance maladie. L’outil comprendrait 10 millions d’utilisateurs et les professionnels de santé commencent à l’alimenter. Plus de 220 millions de documents ont été envoyés aux patients sur Mon Espace Santé sur environ 500 millions de documents de santé remis chaque année aux patients. « Cela représente en moyenne 3 documents par patient et par an », observe Marguerite Cazeneuve. Une nette progression de 50 % a été enregistrée au cours des trois dernier mois « grâce à une mobilisation exceptionnelle des professionnels de santé libéraux et de leurs éditeurs », fait savoir le ministère. « On est loin d’avoir atteint notre rythme de croisière en termes d’alimentation », reconnaît toutefois la directrice déléguée de la Cnam, qui veut passer la vitesse supérieure. Dans leur feuille de route du numérique en santé, les autorités visaient un rythme de 250 millions de documents de santé par an alimentés dans Mon espace santé par les professionnels fin 2023 et 400 millions fin 2026.

Avec Mon Espace Santé, le ministère veut que les français s’engagent dans des parcours de prévention clés. Un Agenda permettra à tous d’avoir des rappels pour des examens de prévention (enfants, bucco-dentaire, vaccins, dépistages, grossesse, etc.) et à terme d’adresser des messages ciblés de prévention personnalisée. « Nous sommes à un moment charnière, a déclaré Aurélien Rousseau, lors du Conseil du Numérique en santé, quelques jours avant son départ du ministère de la Santé. Le numérique peut être un outil vertigineux d’efficacité en prévention. » La Délégation du numérique en santé a d’ailleurs fixé l'objectif de permettre à un million de patients de préparer un bilan de prévention dans Mon espace santé d'ici 2027.

L’ordonnance numérique généralisée en 2025 ?

Après avoir relooké le DMP dans le cadre de Mon Espace Santé, les pouvoirs publics veulent généraliser en 2025 l’ordonnance numérique chez les médecins et dans les pharmacies de ville. Leur objectif est ainsi de sécuriser la prescription et de réduire les fraudes aux fausses ordonnances. Mais à un an de cette échéance, et même si le sujet de la e-prescription est sur la table depuis 2017, le compte n’y est pas. Les éditeurs de logiciel n’ont pas tous mis en conformité leurs logiciels après des expérimentations sur le terrain. Surtout, il faudra convaincre les médecins de l’intérêt de l’ordonnance numérique, qu’ils sont encore peu nombreux à utiliser.

Les autorités affichent deux objectifs ambitieux avant cette échéance. Ils souhaitent que d’ici à la fin de l’année 2024, 75 % de la part du marché des logiciels aient passé avec succès les préséries, étapes d’expérimentation indispensables pour être compatibles à l’ordonnance numérique. Et qu’au moins 40 000 praticiens aient réalisé une e-prescription dans le téléservice ordonnance numérique de l’Assurance Maladie d’ici à la fin de l’année prochaine.

Le but est que les médecins utilisent dans le futur, en routine, l’e-prescription et puissent glisser leurs ordonnances numériques dans le carnet de santé numérique du patient. Selon le ministère, seuls 6 éditeurs de logiciels de cabinet ont validé les préséries, ce qui représente 35 % des parts de marché des logiciels de cabinet pour les médecins généralistes. Et seulement 14 000 médecins, généralistes et spécialistes, avaient créé au moins une ordonnance numérique.

La télésurveillance remboursée depuis le 1er juillet

La télémédecine continue de gagner du terrain en France. Après la téléconsultation (1,2 million d’actes remboursés chaque mois) et la téléexpertise, c’est désormais la télésurveillance qui est prise en charge, sous conditions, depuis le 1er juillet 2023 par l’Assurance maladie. La France est d’ailleurs devenue l’un des premiers pays au monde à rembourser les solutions de télésurveillance médicale qui apportent un bénéfice clinique ou améliorent l’organisation des soins. Cette évolution concrétise les expérimentations menées depuis 2014 dans le programme Etapes pour éviter les épisodes aigus et réduire les hospitalisations pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, de diabète et ayan une prothèse cardiaque implantable. Ce sont plus de 160 000 patients qui sont aujourd’hui pris en charge via un dispositif de télésurveillance, qui permet à un professionnel de santé « d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et de prendre des décisions relatives à sa prise en charge ».

Selon le ministère de la Santé, plus de 1 100 opérateurs (médecins, établissements de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles...) se sont déclarés afin de télésurveiller les patients à travers la France. A terme, la télésurveillance devrait se déployer dans d’autres indications comme l’oncologie. La pérennité économique de cette activité est cependant en question, plusieurs sociétés du secteur s’alarment du montant des forfaits qu’ils estiment trop bas (tarifs qui oscillent entre 50 euros par mois et par patient pour un système qui a un impact organisationnel à 91,67 euros par mois et par patient pour celui qui a un impact clinique sur la mortalité clairement démontré). Air Liquide s’est par exemple retiré de ce marché où le groupe occupait une place importante dans la télésurveillance des patients insuffisants cardiaques car il estimait que l’activité n’était pas suffisamment rentable.

Dix nouveaux entrepôts de données de santé financés par le gouvernement

Le ministère de la Santé a annoncé que dix nouveaux entrepôts de données de santé allaient bénéficier de financement de l’Etat pour accélérer leur déploiement (après six premiers entrepôts lauréats en mars dernier). Au total, 75 millions d’euros seront alloués à ces 16 entrepôts constitués le plus souvent par des acteurs privés autour de CHU pour collecter des données massives (relatives à la prise en charge médicale, socio-démographiques…) et les réutiliser à des fins d’études, de recherches et d’évaluations dans le domaine de la santé. Le ministère de la Santé a diligenté une mission sur la réutilisation des données de santé qui doit lui rendre prochainement ses conclusions.

La cybersécurité, une priorité des établissements

Face au risque d’attaques de hackers, le gouvernement a décidé de renforcer massivement la cybersécurité dans les établissements.

D’ici à 2027 au plus tard, tous les établissements devront réaliser un exercice de crise cyber annuel ou bi-annuel. En 2023, 1 300 exercices de crise ont été réalisés ou planifiés, observe le ministère de la Santé. La priorité sera donnée au premier semestre 2024 aux établissements proches des sites des Jeux Olympiques.

Les étudiants en santé désormais formés au numérique

Enfin, dans le cadre de la récente Stratégie d’Accélération « Santé Numérique », plus de 20 000 étudiants ont débuté leur formation au numérique en santé lors de la rentrée 2023. L’effort demandera à être amplifié puisque « d'ici 2027 », une formation au numérique en santé devra être intégrée dans l'ensemble des cursus du sanitaire, social et médico-social pour 500 000 élèves. Cette formation a pour objectif « d'appréhender les enjeux liés à la santé numérique, de favoriser l'interprofessionnalité et l'interdisciplinarité, et d'intégrer le numérique en santé dans l'exercice des professionnels de santé ». Au cours de cette formation, les étudiants vont acquérir des compétences dans cinq domaines : les données de santé, la cybersécurité, la communication en santé, les outils numériques en santé et la télésanté.

 

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