Dans les Alpes-Maritimes, le mois de mai est placé sous le signe du cinéma (le Festival de Cannes fête en 2022 ses 75 ans) et de la rose. Une rose à la corolle claire et fournie en pétales, qui embaume chaque année l’air durant environ trois semaines.

Cultivée depuis des décennies à Grasse et aux alentours, la rose Centifolia, ou rose de mai, est avec la rose de Damas l’une des deux seules roses utilisées en parfumerie. Appréciée pour son parfum riche et enveloppant, on la retrouve dans les créations des plus grandes maisons, dont la plus célèbre au monde : L’Extrait N°5 de Chanel.

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Une rose incorporée au parfum le plus célèbre au monde : N°5 de Chanel

Elodie Bousquet

"En 1921, quand Gabrielle Chanel a demandé au parfumeur Ernest Beaux de lui créer un parfum qui lui ressemble, elle a exigé l’utilisation des plus belles matières premières", nous raconte Olivier Polge, maître parfumeur et nez de la maison Chanel depuis 2015. Beaux se rend logiquement à Grasse, capitale de la parfumerie mondialement connue depuis le 16ème siècle, où il sélectionne le jasmin et la rose de mai.

"Depuis lors, le travail des parfumeurs Chanel est de de garantir la qualité d’origine de cette création révolutionnaire pour l’époque (c’est la première fois qu’une maison de mode intègre le parfum à son savoir-faire et à sa marque, ndlr). Pour cela, nous n’avons jamais cessé de nous fournir en Jasmin et en rose Centifolia de Grasse. Dans les années 80 cependant, les exploitations commencent disparaissent, faute de repreneurs, ou après leur rachat par des promoteurs immobiliers.

En 1987, le maître-parfumeur Chanel de l’époque, Jacques Polge, mon père, a alors cette idée : s’associer en direct avec un producteur de la région. C’est ainsi que nous avons signé un partenariat exclusif avec la famille Mul, productrice de fleurs à parfum dans la région depuis cinq générations, afin de protéger cette terre qui nous offre aujourd’hui les cinq récoltes annuelles nécessaires à la fabrication de certains parfums de la maison : l’iris, le jasmin, le géranium, la tubéreuse et la rose centifolia", détaille Olivier Polge.

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Aux origines de la rose de mai

Elodie Bousquet

Aussi appelée rose de mai ou rose de Grasse, la rose Centifolia tire son nom de l’arbuste qui la voit éclore, le rosier cent-feuilles, Rosa Centifolia. D’aspect buissonneux, peu épineux, il peut atteindre jusqu’à 1,50 mètre de hauteur et possède une durée de vie d’environ 20 ans.

C’est le botaniste Gilbert Nabonnand, originaire de la Côte d’Azur, qui a créé à la fin du 19ème siècle l’hybridation à l’origine de la Centifolia aujourd’hui cultivée dans le bassin grassois.

D’après les spécialistes, elle serait le résultat de l’association de trois roses : la rose Damascena ou rose de Damas, notamment cultivée en Turquie et en Bulgarie, la rose Canina, et une troisième variété mystère sur laquelle les botanistes n’arrivent pas à se mettre d’accord.

Aussi éphémère que précieuse étant donné son temps de récolte très court, "c’est la rose la plus demandée en parfumerie car elle possède un parfum complexe très présent", observe Fabrice Bianchi, Directeur de l’exploitation Mul. Ce fils d’agriculteurs de la région, entré dans la famille par le mariage, fait chaque année pousser six hectares de cette fleur rose clair à la cinquantaine de pétales qui fanent vite, mais dont les notes, puissantes, créent un sillage unique.

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La rose Centifolia de Grasse, un parfum inimitable

CHANEL

Mais alors, que sent la rose de mai ? Difficile à dire pour le commun des mortels tant elle possède de facettes. Olivier Polge, parfumeur-créateur de la maison Chanel (voir photo ci-dessus), nous aide à mettre des mots sur cette senteur unique : "La fleur cultivée ici est une rose miellée, épaisse, mais aussi fruitée", analyse-t-il en nous offrant une mouillette imbibée d’absolue de rose Centifolia.

Au nez, son opulence nous saisit immédiatement. Enveloppante, elle est légèrement acidulée, presque piquante.

Des notes spécifiques, inimitables, résultat du mariage du terroir et du climat de la région. Protégée par les contreforts des Alpes et le massif de l’Estérel, les cultures de la vallée de la Siagne bénéficient d’un climat doux et d’un sol sablo-limoneux. "Ici, les fleurs sont naturellement rafraîchies par un retour de brise marine dans les terres", explique Fabrice Bianchi qui affirme : "Cultivée ailleurs, la même variété de rose n’aura pas le même parfum."

Ramassées à la main par une cinquantaine de cueilleuses et cueilleurs qui se relaient chaque jour dès 7h30 du matin durant trois semaines, les roses délicates passent des tabliers en lin à des sacs de jute de 50 kg qui, aussitôt remplis, sont transportés à l’usine de distillation située quelques centaines de mètres plus loin. Là-bas, c’est Jean-François Vieille - un cousin de la famille Mul, qui, depuis 35 ans, veille au grain.

Grâce à lui et à son équipe, les 30 à 40 tonnes de roses ultra-fraîches récoltées chaque année vont se transformer en concrète, puis en absolue de rose. Garant de la stabilité des matières premières utilisées dans les fragrances de la maison, Olivier Polge contrôle chaque lot et peut, au besoin, procéder à des assemblages pour ajuster la qualité du produit qui sera ensuite incorporé à la formule de L'Extrait N°5.

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Une culture exigeante

Elodie Bousquet

Une quête d’excellence que l’on retrouve bien évidemment au cœur des pratiques de l’exploitation. Depuis plus de trois décennies, la maison Chanel et la famille Mul favorisent une cultivation respectueuse du biotope.

"Ici, on se donne le temps. On travaille sur la durée, pas par à-coups", souligne Fabrice Bianchi. Ainsi la terre est analysée tous les trois ans et enrichie en diverses matières organiques selon les carences observées. La mise en jachère tournante sur toute l’exploitation valorise la régénération naturelle des sols.

L’apport d’eau est raisonné, ajusté au quotidien grâce à un système d’irrigation en goutte-à-goutte intégré dans le sol, couplé à une station météo, qui renseigne les besoins hydriques des plants de rosiers.

Au pied de ces derniers, diverses herbes non coupées assurent le développement d’insectes et larves qui vont naturellement protéger la plante de certains nuisibles, comme les pucerons.

En conversion en bio, les parcelles de la rose de mai testent depuis deux ans une innovation en la matière. Pour les protéger du champignon de la Rouille qui les affaiblit, la famille Mul s’est associée à la société Genodics, spécialisée dans la création de fréquences sonores qui seraient capables de soigner les plantes. Ainsi, trois fois par jour, des notes de piano spécifiquement créées pour les rosiers Mul, s’élèvent d’un haut-parleur planté en plein milieu d’une parcelle. Si les chercheurs voient juste, cette mélodie pourra empêcher la prolifération du champignon sans avoir à recourir aux techniques conventionnelles.

Le soleil est haut dans le ciel lorsque nous quittons l’exploitation. Les champs roses du matin sont devenus verts. Sur chaque arbuste, des bourgeons sont prêts à éclore. Annonciateurs d’une nouvelle journée de récolte, ils refleuriront dès le lendemain, au lever du jour.

Vidéo du jour
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Dans les champs de Chanel à Grasse

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Joseph Mul, Fabrice Bianchi et Olivier Polge dans les champs de roses à Grasse

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De gauche à droite : Fabrice Bianchi (directeur de l'exploitation de fleurs à parfums Mul), Joseph Mul (propriétaire de l'exploitation en partenariat exclusif avec la maison Chanel depuis 1987), Olivier Polge (maître-parfumeur et nez de la maison Chanel depuis 2015).

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Chaque année, durant 3 semaines, la récolte de la rose de mai bat son plein à Grasse

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Très fragiles, les fleurs fraîches sont récoltées à la main dès le petit matin

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Entre 30 et 40 tonnes de rose de mai sont distillées sur l'exploitation chaque année

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En 1987, la maison Chanel et la famille Mul ont construit une usine de distillation sur la propriété

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Après extraction des fleurs, la concrète de rose est conservée sur place, sous atmosphère contrôlée

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Distillée à la demande de la maison Chanel, elle fournit l'absolue de rose qui entre dans la formule du N°5 Chanel

Elodie Bousquet

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