"Nous sommes des menteuses selon nos agresseurs, une menace pour le pays selon vous." 14 victimes présumées de Patrick Poivre d'Arvor, ou Nicolas Hulot, s'adressent à Emmanuel Macron dans une tribune forte publiée dans Le Monde ce mercredi 8 décembre. 

En cause : la réaction en demi-teinte du président de la République, le 1er décembre, à propos de l'affaire Hulot. Le 9 novembre, 7 victimes présumées de PPDA ont fait la Une de Libération en dévoilant leur visage, en réponse à ses attaques sur le fait que ses accusatrices témoignaient anonymement. Le 25 novembre, 4 victimes présumées de Nicolas Hulot ont cette fois témoigné dans Envoyé Spécial (France 2), dont 3 à visage découvert. L'ancien ministre a essayé de contrer leur parole la veille en allant démentir leurs accusations, et en annonçant son retrait de la vie publique, sur le plateau de BFM TV

Toutes ces accusations de violences sexuelles sont niées par les intéressés, qui défendent des relations consentantes, ou estiment qu'on veut leur "nuire". La plupart des faits présumés étant prescrits, ils ne pourront pas être jugés.

L'enquête visant PPDA a été classée sans suite, malgré 12 plaintes, de même qu'une plainte pour viol envers Nicolas Hulot avait été classée sans suite en 2008. Le 26 novembre, une enquête préliminaire des chefs de viol et d'agression sexuelle a été ouverte à l'encontre du militant écologiste.

14 femmes répondent à Macron

Face à l'affaire Hulot, accusé pour la première fois en 2018 lorsqu'il était son ministre de la Transition écologique, Emmanuel Macron a salué "une libération de la parole", tout en disant "Nous ne voulons pas, non plus, d’une société de l’inquisition". Des propos tenus lors d'un conseil des ministres, le 1er décembre, a confirmé Le Monde, après les révélations du Parisien et de RTL.

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Ce bémol (sic) émis par le président de la République vient mettre en cause la légitimité des victimes de violences sexuelles, en grande majorité des femmes, à s'exprimer publiquement, et nie la réalité des violences sexuelles commises envers les femmes. Si une femme sur trois environ est victime de violences sexuelles et/ou physiques au cours de sa vie dans le monde, dans tous milieux sociaux et professionnels, il faut forcément s'attendre à des accusations en cascade, à mesure que la parole des victimes est plus entendue avec le mouvement #MeToo

Ce mercredi, 14 victimes présumées de PPDA ou Hulot reprochent à Emmanuel Macron son soupçon d'inquisition, alors que le président a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la priorité de son quinquennat. 

Les signataires de cette tribune sont Nora Arbelbide Lete (journaliste), Karin Bernfeld (écrivaine et actrice), Clémence de Blasi (journaliste), Emmanuelle Dancourt (journaliste), Aude Darlet, Cécile Delarue (journaliste), Hélène Devynck (scénariste), Maureen Dor (animatrice), Justine Ducharne (communicante), Margot Cauquil-Guèze, Stéphanie Khayat (journaliste), Camille Pascaud (assistante de production), Muriel Reus (dirigeante de société), et Cécile Thimoreau.

Le poids des mots

"Quel est le rapport entre nos récits et l’Inquisition ?", demandent-elles. "De nos intimités exposées naîtrait le risque de replonger la France dans une des périodes les plus sombres et les plus unanimement détestées de l’histoire occidentale ? L’Inquisition a emprisonné, torturé, supplicié, brûlé les hérétiques, ceux qui étaient soupçonnés de mettre en cause la toute-puissance divine et l’institution de l’Eglise", rappellent-elles. 

"Vous nous mettez du côté des inquisiteurs, figures honnies de la mémoire collective, représentants des pires atrocités du passé", s'indigne la tribune. "[...] Nous sommes des menteuses selon nos agresseurs, une menace pour le pays selon vous. De quel changement néfaste nos paroles seraient-elles les prémices ? Quel pouvoir avons-nous ? Pas celui de condamner, pas celui de priver de liberté. Nous ne sommes ni juges, ni puissantes, ni riches."

En agitant la menace inquisitoriale, vous en rajoutez une couche, vous nous dites que nous sommes dangereuses. Une pièce de plus dans la machine à taire.

Le prix à témoigner

Les 14 signataires rappellent ensuite à quel point il leur est difficile et dangereux de parler, dans une société où la culture du viol minimise les violences sexuelles, et encourage à douter de la parole, et des intentions, des victimes. Il faut rappeler qu'en France, seul 1% des viols faisant l'objet d'une plainte (environ un sur dix seulement) sont condamnés.  

"Nous avons dit nos hontes les plus intimes, exposé nos larmes ravalées, expliqué nos silences imposés ou nos récits négligés", confient-elles. "Ces témoignages ont été, pour beaucoup d’entre nous, difficiles et coûteux. Il nous a fallu des années pour avoir la force de les livrer. Nous l’avons fait pour soutenir les premières, celles qui avaient eu le courage de s’adresser à la justice."

"Nous avons dévoilé nos noms et nos visages. Certains nous soupçonnent de vouloir faire parler de nous, de nous régaler d’un statut victimaire, de contribuer à l’injustice par le biais d’un imaginaire tribunal médiatique ne respectant aucune règle, de bafouer la présomption d’innocence", regrettent-elles. "On nous dit ce qu’on dit toujours aux femmes : on exagère et on cherche à nuire."

Nous ne sommes pas les bourreaux, monsieur le président de la République.

"La machine à taire"

Enfin, les signataires mettent le président de la République face à ses responsabilités : "En agitant la menace inquisitoriale, vous en rajoutez une couche, vous nous dites que nous sommes dangereuses. Une pièce de plus dans la machine à taire."

"Nous avons parlé par devoir citoyen", défendent ces 14 femmes. "Nous n’avons rien d’autre à y gagner que de dire une vérité, même dérangeante, et d’éclairer le pays sur le traitement des violences sexuelles, sur l’usage que font certains hommes de leur pouvoir, sur les complaisances qui les y autorisent, sur l’impunité dont ils jouissent. Nous l’avons fait dans le respect des institutions et des règles de la République."

En guise de conclusion, la tribune finir de mettre les points sur les i : "Nous ne voulons pas, non plus, d’une société où les victimes de la violence des dominants seraient tenues au silence et condamnées à l’opprobre, à l’infamie et à la caricature si elles transgressent cette règle. Nous ne sommes pas les bourreaux, monsieur le président de la République. Pourquoi faisons-nous si peur ?", demandent-elles enfin. 

Le gouvernement n'a pas encore réagi à cette tribune. 

À la suite de leur témoignage dans Libération, 8 victimes présumées de PPDA ont décidé de monter #MeTooMédias, une association visant à lutter contre le tabou des violences sexuelles dans les médias.