Il est des créateurs dont le travail vous touche directement au cœur. Et si c’est vrai pour la mode, cela l’est encore plus dans l’univers du bijou. On a toutes le souvenir d’une bague, ou d’une paire de boucles d’oreilles, aperçues dans une boutique. Un objet qui finit par nous hanter. D’autant que passer à l’acte, c’est à dire acheter un bijou, ne se fait pas aussi facilement qu’acheter un vêtement. Il y a en effet dans le bijou une notion d’intimité que la consommation frénétique du vêtement a quelque peu perdu.

Avant d’acheter une belle pièce dans une bijouterie, on vit presque spirituellement avec l’objet. On y pense, on songe parfois au prix en se disant qu’on ne devrait peut-être pas s'accorder cette folie, mais le bijou est là, il occupe notre esprit comme s’il nous avait envoûté. Sans doute parce que bien souvent, un bijou acheté pour soi est un bijou qui sera porté constamment. À peine l’enlèvera-t-on pour dormir, se laver les mains, se doucher… Il nous accompagne au quotidien au point de devenir une partie de qui l’on est.

Et c’est exactement ce genre de bijoux que conçoit Joanne Burke, jeune créatrice britannique installée à Rome.

"Pendant 4 ans, j'ai pensé à cette bague"

Pour tout vous dire, je n’ai pas choisi de faire ce portrait au hasard. Il y a maintenant bien quatre ans de cela, je tombais, au détour d’une session frénétique de "L'art de perdre son temps sur Instagram ", sur l’image d’un anneau en bronze jaune, surmonté d’un empiècement rond, comme une pièce de monnaie, dans lequel sont sculptés deux corps. Adam et Eve. Un symbole biblique dans lequel j'ai immédiatement perçu, moi, le signe du Gémeaux : mon signe astrologique. Deux êtres complémentaires, en miroir.

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Aussi, pendant quatre ans, j’ai pensé à cette bague. J’en ai parlé autour de moi, l’ai montrée à mes amis. Quelque part, elle m’appartenait déjà. Et puis, en juin dernier, pour mon trentième anniversaire, mes amis les plus proches ont fait une cagnotte pour pouvoir me l’offrir. Tous les jours, je porte cette bague à ma main gauche. Elle symbolise une partie de qui je suis et, surtout, l’amour que mes amis me portent. 

Je préfère faire des bijoux laids qui signifient quelque chose que de jolis bijoux qui sont morts à l'intérieur.

Tout ceci, je ne l’ai pas dit à Joanne Burke lorsque je lui ai envoyé mes questions. Parce que finalement, ce que je voulais savoir, c’est comment quelqu’un que je ne connaissais pas avait su parler à mon âme.

Les bijoux Joanne Burke ou la force du symbolisme

"Je suis attirée par les ornements qui ont une fonction et une signification sincères et je pense que quand un bijou ou un vêtement symbolise ou représente quelque chose en particulier pour un individu, il lui donne un pouvoir supplémentaire", m’explique Joanne Burke, avant d’ajouter, "Il serait étrange pour moi de créer de "jolis" bijoux qui ne soient pas porteurs de sens. Je préfère faire des bijoux laids qui signifient quelque chose que de jolis bijoux qui sont morts à l'intérieur. Ce n’est pas juste à propos de ce à quoi les bijoux doivent ressembler, c’est ce qu’ils représentent pour vous en tant qu’individu et ce qui peut être amélioré ou exprimé en le portant".

Collectionneuse de bijoux anciens depuis l'adolescence, la jeune femme originaire d'une petite station balnéaire anglaise s'est décidé à créer ses propres bijoux à défaut d'en trouver qui correspondent à ce dont elle rêvait. "J'aime les bijoux depuis que je suis toute petite et ils sont liés à mes souvenirs d'enfance les plus chers", écrit-elle. 

Inspirée par l'alchimie, la littérature, l'histoire mais aussi des souvenirs personnels, il y a dans les bijoux de Joanne Burke quelque chose d'ancien, d'intemporel. "J'aime beaucoup lire. En ce moment, je lis sur les femmes qui ont fabriqué ou inspiré les bijoux et l'artisanat d'art de la période préraphaélite. Elles étaient les joaillères punks de leur époque alors je suis vraiment passionnée par ce qu'elles faisaient". Une pratique que qui trouve un fort écho dans son travail, puisque tous les bijoux conçus par la créatrice sont faits main. Une approche DIY mais surtout une valeur ajoutée, parce que derrière la main de l'Homme, se dévoile aussi l'imperfection.

Dans un monde où nous avons l'habitude des bijoux et vêtements en série, trouver un défaut à un objet est devenu rare. Il lui donne une particularité, une force étonnante. Elle confie : "Peu importe ce qu'est la perfection, je suis sûre que je suis mal à l'aise avec cette idée car alors, qu'est-ce qui vient après : rien ? Je n’essaie pas de rendre les choses "imparfaites" exprès parce que ça ne serait pas honnête. Mon travail l'est naturellement car mes bijoux sont sculptés à la main, c’est un processus spontané et intuitif. Perfection ou imperfection ne sont pas des mots qui me traversent vraiment l'esprit quand je travaille". 

Des pièces qui semblent avoir déjà vécu

Je n'ai pas pu m'empêcher de lui poser une question - sans doute un peu ésotérique : comment explique-t-elle que ses bijoux semblent avoir déjà vécu ? "Je pense que c’est parce qu’ils ont été fait à la main, ils disposent donc déjà d'une âme propre", glisse-t-elle. Récemment, elle expliquait dans une interview que sa marque lui évoquait trois mots : "Anthropomorphisme, érotisme et souveraineté". Pour le dernier, le rapport semble assez évident. Les pièces qu'elle fabrique sont faites pour êtres portées ensemble ou en tout cas avec de nombreux autres bijoux. On est dans un maximalisme romantique qui n'est pas sans évoquer le Gucci d'Alessandro Michele

Alors pourquoi s’offrir ou transmettre une pièce de Joanne Burke ? Peut-être parce que plus qu'une créatrice de bijoux, c'est une alchimiste. Mais au lieu de transformer les métaux entre eux, ce sont les sentiments qu'elle transmute en bronze jaune ou en or.