Je crois que je me souviendrai toujours du regard bienveillant et précis de celle que je considère comme ma mentor*. Je me rappelle de ses conseils, de ses encouragements, de son obsession pour les accents - en particulier sur le mot “événement” -, de sa volonté de m’apprendre à voler de mes propres ailes, même si à l’époque, elles étaient encore bien petites ces ailes. Si au départ, je l’ai côtoyée durant un seul trimestre, j’ai éprouvé beaucoup de bonheur à la retrouver quelques années plus tard dans le même service. Et de la fierté. J’étais fière de lui montrer que j’avais retenu ses leçons et que j’avais appris à voler en solo, même si au fond, j’avais finalement encore besoin d’elle.

Aujourd’hui, quand je la croise dans les couloirs du Groupe Marie Claire, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle a, à sa façon, changé ma vie en m’apprenant à être toujours plus exigeante avec moi-même et à croire en moi. Je crois que je ne lui ai jamais dit merci pour ça, mais je le fais aujourd’hui.

S’il est difficile de définir avec précision ce lien qui unit mentor et mentoré, c’est que chaque personne, chaque duo même, a sa propre vision de la relation. Ce qu’on retrouve malgré tout dans la plupart des témoignages, c’est la bienveillance d’abord, l’envie de transmettre, de porter et de protéger l’autre, tout en apprenant de lui aussi. C’est précisément ce qu’il ressort de la relation qu'entretiennent Géraldine, Elodie et Aurélie. Trois femmes, mentors et mentorées, qui ont bien voulu nous raconter leur histoire.

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Mentoring : la transmission bienveillante

La force des liens qui unissent ces trois-là est palpable. Leur histoire, étonnante. Quand Elodie signe son premier CDI en 2011, elle rencontre Géraldine, 35 ans, rédactrice en chef d'un site de presse féminine : une femme au charisme débordant et au style qui l'impressionne. C’est elle qui la recrute. Très vite, l’une et l’autre prennent conscience de ce qu’il se joue entre elles. “Élodie est l'une des premières personnes que j'ai eues à manager. Je n'avais pas toujours été bien encadrée par le passé, j'avais à coeur de faire les choses différemment, j'étais très investie. Elle était jeune journaliste. Nous nous sommes trouvées”, commence Géraldine.

Une évidence ressentie également par Elodie, 20 ans à l'époque. “J’ai vite compris qu’elle prenait très au sérieux mon éducation professionnelle, qu’elle se faisait un point d’honneur à me tirer vers le haut, à me donner de plus en plus d’autonomie. En ce sens, nous avions une relation particulière. Il aura cependant fallu que je m’en aille et que je laisse décanter nos quatre années de collaboration pour pouvoir analyser ce qu’elle m’a apportée et surtout, le lui dire”, détaille-t-elle. Car au-delà de la relation qui se noue alors que mentor et mentorée travaillent ensemble, le lien est si fort, qu’il perdure longtemps. Comme un souvenir que l’on porte en soi d’une époque qui nous a construit.

Plus tard dans sa carrière, alors que son service était bringuebalé entre des consultants agressifs et un manque de visibilité notoire, Elodie s’est rendue compte que la force insufflée par Géraldine était toujours là, comme un rempart au désordre et à la perte de confiance. “Je voyais des collègues souffrir énormément. J’ai aussi été secouée par cette tempête professionnelle, mais moins. J’ai compris que c’était en grande partie grâce à Géraldine, à tout ce qu’elle m’avait transmis et surtout en cette confiance inébranlable qu’elle avait un jour placée en moi et qui a fini par m'habiter, pour finalement savoir ce que je vaux et ne pas vaciller”, assure la jeune femme.

De mentorée à mentor : quand les places s’échangent

Aujourd’hui, Elodie a changé de place et campe avec bienveillance dans son fauteuil de mentor. “Depuis que je suis passée de l’autre côté, je découvre des doutes et des incompréhensions que mon mentor a probablement connus avec moi”, analyse-t-elle. Parfois, elle se demande ce qu’aurait fait Géraldine à sa place ou comment elle pourrait aborder tel ou tel problème. Même si elle sait aussi que chaque mentoré est différent et chaque relation de ce type unique.

J’ai rencontré Elodie en novembre 2016 alors que je signais mon premier contrat de journaliste web. Je manquais de confiance en moi. Elle m’a prise sous son aile, n’a pas hésité à me donner des conseils pour m’organiser, améliorer mes compétences. Toujours avec pédagogie, calme et précision”, explique alors Aurélie, 32 ans, padawan d’Elodie depuis près de deux ans maintenant. “Elle a toujours les bons mots pour me rebooster et me faire voir les choses autrement. Même quand j'ai envie de tout envoyer balader, que rien ne va et que je ne crois plus en moi, elle reste là, comme Jiminy Cricket sur mon épaule”, admet la jeune femme.  

C'est ce qu'il y a de fort dans ces relations spéciales : la transmission ne s’arrête pas aux connaissances ou aux compétences. Elle va bien au-delà. “Le mentorat c’est presque comme une transmission parent-enfant. Un mentor te permet de grandir, t’épanouir, (re)croire en toi, devenir davantage autonome”, souligne Aurélie. Mais cette relation est avant tout basée sur l’échange et la réciprocité, observe Elodie. Pour avoir vécu les deux aspects (apprenant et mentor), je dirais que c’est une relation qui, si elle est saine, doit pouvoir faire grandir les deux personnes concernées.” Et d'expliquer : “Si j’ai conscience de devoir apporter des enseignements et du soutien à l’autre, ma position de mentor m’apporte aussi au quotidien. Elle m’apprend beaucoup sur moi-même, m’oblige à puiser dans des ressources et aptitudes insoupçonnées mais surtout, elle me procure des sentiments globalement positifs : de la joie et de la fierté quand je vois l’autre prendre confiance dans son travail et en lui-même, développer de nouvelles compétences, gagner en autonomie et tout simplement prendre du plaisir à faire ce qu’il fait.”

Mentorat : quand la rupture est salutaire 

Une relation souvent galvanisante pour les deux individus qui peut dans certains cas devenir toxique, surtout si elle dure longtemps. Alors que pour ma part, la rupture s'est faite d'elle-même à la fin de mon stage, puis une nouvelle fois quand ma mentor a changé de poste, pour d'autres, il faut savoir mettre fin à la relation. “Pendant près d’un an après mon départ de l’entreprise, je n'ai eu aucun contact avec Géraldine. Nous ne nous étions pas quittées en mauvais termes mais je crois que c’était ma façon de m’émanciper. C'était un peu radical -et sans doute pas très sympa-, mais j’ai eu besoin de ce temps pour me retrouver et m’affranchir de son regard qui a par ailleurs tellement compté”, se souvient Elodie, avec un certain recul. 

Un éloignement salutaire qui permet à l’un.e et à l’autre de se retrouver et de prendre conscience du lien créé. Alors que Géraldine se trouve dans une période difficile de sa vie, elle reçoit un message puissant d’Elodie qui la remercie de leur collaboration. “J'étais en arrêt maladie, au tout début de ma chimio. Je me posais des milliards de questions sur le boulot. Et ses mots ont clarifié beaucoup de choses. Je me suis rendu compte que le vrai sens de mon job, en dehors de l'écriture, était de donner confiance à mon équipe. Que c'était ça qui valait le coup, que c'est la seule chose qui reste. Et aujourd'hui, l'une de mes plus grandes satisfactions professionnelles est d'avoir retrouvé un peu de cette connivence avec mon équipe, même si cette relation est différente de celle que j'avais avec Elodie et ses collègues d’alors. Elles étaient les premières personnes que j'ai eu à manager, ça leur confère un statut à part !”.

Pour l’heure, Aurélie ne semble pas tout à fait prête à “couper le cordon” avec celle qu’elle considère comme sa mentor. “Je travaille encore avec elle à l’heure actuelle et j’espère encore pour longtemps... J’ai encore besoin d’elle !”, avoue la jeune femme en souriant. Pourtant, elle sait aussi qu’il lui faudra partir un jour. “Au bout d’un moment, je pourrais voler de mes propres ailes, mais je sais (ou j’espère) qu’elle sera toujours là pour moi, si j’ai besoin de ses conseils. Je pense que le jour où l’on ne travaillera plus ensemble, elle sera la première que j’appellerai en cas de questions."

* Définition du Larousse : Mentor : guide attentif et sage, conseiller expérimenté : Servir de mentor à quelqu'un.