Outil indispensable, le maquillage participe à l'élaboration du personnage drag queen. Son pouvoir, multiple, peut parfois révéler la face cachée d'une personnalité, exprimer des envies ou encore magnifier des traits appréciés. Deux drag queens - La Kinky Marina et Anne-Marie Kondom - nous racontent le rapport qu'elles entretiennent avec lui.

Originalité et identité, les maîtres-mots du maquillage drag 

"J’ai commencé à me maquiller adolescent, vers 14 ans. À l’époque, c’était plutôt smoky eyes et look rock’n roll. Je voulais même être maquilleur. C’est une grande passion. Le drag, c’est une extension du maquillage, une extension de moi. C’est qui je suis."

En 2014, alors qu’elle n’est pas encore La Kinky Marina, le show américain RuPaul’s Drag Race (un concours de drag queens télévisé) bouleverse sa vie. Née aux États-Unis à la fin des années 60, la culture drag reste alors plus confidentielle en France. Les drag queens, on les croise à Paris, dans l’antre chaleureuse des cabarets.

Marina, queen autodidacte originaire de Nantes, est née lors du confinement. Son inspiration lui vient de tutos sur YouTube - notamment ceux de la maquilleuse professionnelle Marion Moretti alias MarionCameleon. Elle teste alors différentes techniques de maquillage. Pour le décliner, l’exacerber, le magnifier. Un outil qui fait partie intégrante de la performance artistique. Marina compte aussi aujourd’hui une dizaine de perruques, qu’elle coupe, modifie, adapte à la Kinky Marina d’un soir. "Je pioche un peu partout, mais Marion Caméléon, elle m’a beaucoup appris. Je n’aurais pas évolué autant sans elle. Aussi, en fréquentant le milieu drag, on se donne des astuces."

Parfois, on parle de "mug" pour mentionner la spécificité d’un maquillage drag. "C’est un terme américain, utilisé pour les drag qui se démarquent un peu, dont le maquillage est original", explique la rennaise Anne-Marie Kondom.

Vidéo du jour

L’enfant derrière Anne-Marie a lui aussi commencé à se maquiller et "se déguiser" vers 10 ans. "C’était un nouvel an en famille, j’étais en drag queen, ma mère m’avait trouvé une perruque grise. Quelque part, c’était une forme d’ouverture d’esprit de leur part." L’expérience est une révélation. Tout comme la découverte de la drag Willam Belli, lors de la saison 4 de RuPaul’s Drag Race. "J’ai tout dévoré. J’ai commencé à regarder ses tutos et je me suis dit 'Pourquoi pas ?' Mais je n’osais pas trop me lancer, je me mettais des freins."

À 25 ans, lors d’une soirée sur le thème "american teenage", Anne-Marie prend son courage et son maquillage à deux mains. "C’était une cata. J’étais moche ! J’avais peu de moyens, cousu une robe moi-même. Mais sur le moment, je me suis sentie bien." Après un temps à Paris pour le travail, à écumer les cabarets et savourer l’humour drag, le retour en Bretagne, le glas de la trentaine et le décès d’un proche seront le tournant décisif. "Je ne voulais plus avoir de regrets. Pour mon anniversaire, je loue un bar, je lance une soirée gender queer, j’achète perruque, robe, corset, talons...et, hélas, un maquillage de qualité douteuse."

Pendant 4 mois, elle va s’entrainer deux fois par semaine à se maquiller. Apprendre à coller des faux cils, à définir des sourcils, appliquer des ombres à paupières lumineuses. Et trouver sa propre identité, tout en observant les techniques et le trait, reconnaissable entre mille, de Trixie Mattel. "Je voulais m’inspirer sans copier. À ce moment-là de mon existence, le drag est un appel à la vie pour moi, un déclic qu’il fallait que je vive, et non pas juste que je survive."

Jouer avec les codes du masculin et du féminin pour mieux les questionner

"Le drag, c'est une belle échappatoire à une réalité parfois un peu triste", confie La Kinky Marina. Alors elles savourent les soirs de spectacle, les collègues et amies drag, le public conquis, très souvent bienveillant. "Le côté girls band me fait clairement kiffer, assume-t-elle. Et puis le drag c’est aussi une manière d’exprimer une humeur, le délire et le plaisir de changer, de modifier selon le moment de ta vie".

Devenir la sexy et frontale Marina nécessite une heure de rasage et trois heures de maquillage. Faire exister la théâtrale et sensuelle Anne-Marie prend deux heures, dont une heure trente pour le seul maquillage. Avant, il fallait compter quatre ou cinq heures. Anne-Marie, "drag à barbe", apprécie de (dé)jouer les codes pour mieux les questionner. "On peut être féminin ou féminine comme on le souhaite. Avoir une grosse barbe et des poils n’empêche pas la féminité. Toutes les représentations sont valides."

"Le drag est un domaine où tu n’arrêtes jamais de progresser, souligne-t-elle encore. Il faut trouver les bons trucs, on apprend les techniques au fur et à mesure". Comme celle de "bloquer ses sourcils" avec de la colle, de préférence une sorte de colle en stick, pour les faire disparaître sous le maquillage. Les tutos de maquilleurs et maquilleuses professionnel.les et de drag célèbres sont l’eldorado.

Anne-Marie, qui trouve ses yeux trop petits, apprécient par ailleurs ses longs cils originels, et se délecte de les amplifier avec un maquillage hyper graphique. "Je garde ce qui me plait pour le mettre en valeur, explique cette fan de Kam Hugh. Le maquillage drag me rappelle un peu les masques de la commedia dell’arte. C’est un peu comme un loup que tu mets et qui va représenter ta personnalité. Il crée une sorte de liberté".

"Marina se permet des choses que je ne me permettrais pas", renchérit sa collègue drag, qui de son côté apprécie les performances artistiques de Bettie Bitch et Sasha Velour. "Au final, c’est surtout l’identité qui m’a trouvée. Anne-Marie, c’est la créature, le personnage qui permet de me redécouvrir. C’est un révélateur, une catharsis." Comme le reste des attributs dits féminins et performés de la scène drag, le maquillage permet d’infinies possibilités. Il en est sans doute l’apogée, étape ultime et ultra travaillée pour devenir la drag qui sommeille en soi.

La Kinky Marina et Anne-Marie Kondom lors d'un show