Quel est le point commun entre une employée de banque, mère de trois enfants, qui prend son mercredi, une cadre célibataire née dans les années 88-89, une commerçante qui travaille avec son mari, une caissière en congé parental, une quinqua au chômage divorcée et mettons, une prof débutante ? Facile : en ce moment, elles se posent toutes la même question : "Et moi, jusqu’à quel âge vais-je devoir bosser ?", et "Combien est-ce que je vais toucher ?".

Le premier ministre, Edouard Philippe l’avait claironné en décembre dernier : "Les femmes seront les grandes gagnantes de la réforme des retraites." Mais chez les opposants à la réforme, femmes en tête, on n’en croit pas un mot. Ainsi la sénatrice Laurence Rossignol a tweeté le 7 janvier : "J’ai posé 4 questions sur les conséquences de la réforme sur les #Retraites des #femmes. Aucune réponse. J’hésite entre le foutage de g... et l’incompétence."

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"Grandes perdantes nous serons"

Le 9 janvier dernier, déguisées en Rosie la riveteuse, des militantes d’Attac ont chanté, (sur l’air de "À cause des garçons"), "A cause de Macron, c’est la chute des pensions pour Fatou et Marion, à cause de Macron, grandes perdantes nous serons." 

Sur Twitter, le hashtag #Grandesperdantes a réuni toutes celles et ceux, qui estiment que la réforme va faire baisser les pensions des futures retraitées, et en jeter d’autres dans la misère. Les plus remontées sont évidemment celles et ceux qui bénéficient de l’un de la vingtaine de régimes spéciaux. Certes les syndicats sont dans leur rôle. Le premier ministre également.

Alors, comment s’y retrouver ? D’autant que si les trains roulent à nouveau, les syndicats préviennent que les grèves ne sont pas finies. Déjà, au bout de 40 jours de grève, le fameux "âge pivot" a (pour le moment) disparu du projet pour les générations nées avant 1975. Le texte qui sera examiné à l’Assemblée nationale le 17 février prochain peut encore évoluer sous la pression des syndicats.

42% d'écart en moyenne entre la retraite d'une femme et celle d'un homme

Le 21 janvier, le laboratoire de l’Égalité a organisé à l’Assemblée nationale un colloque intitulé Refonte du système des retraites : pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes, et a présenté à cette occasion son livre vert de propositions pour garantir l’égalité des femmes et des hommes à la retraite.

"Il faut savoir que jusqu’à 2010, date de création du Laboratoire de l’égalité, il n’y avait aucune étude, aucune recherche sur les retraites des femme ! souligne sa présidente, Olga Trostiansky. Nous étions les seules à alerter et à travailler sur le sujet. C’est d’autant plus étonnant quand on sait qu’il y a 42% d’écart en moyenne entre les pensions de retraites des femmes et celles des hommes. Les hommes touchent 1800 euros en moyenne, et les femmes autour de 1000 seulement. Ces différences sont dues aux inégalités salariales, 25% en moyenne qui se répercutent sur la pension, à la sur-représentation des femmes dans les emplois féminisés mal payés, au travail à temps partiel (30% des femmes actives) aux interruptions de carrière pour maternité, et congés parentaux." Nous lui avons demandé de nous aider à y voir un peu plus clair. 

Les hommes touchent 1800 euros en moyenne, et les femmes autour de 1000 seulement

Marie Claire : Dans le système actuel, à partir de 1958, il faut avoir cotisé pendant 167 trimestres pour obtenir une retraite à taux plein. La maternité donne droit à 4 trimestres aux femmes, et 4 trimestres pour l‘éducation des enfants partageables entre les parents. Seuls les parents d’au moins 3 enfants ont droit, chacun, à une majoration, de 10 %. Le projet de retraite universelle prévoit le remplacement de ces huit trimestres par 5% de majoration des points acquis dès le premier enfant, et par enfant. Ce nouveau système sera-t-il plus avantageux pour les mères retraitées ?

Olga Trostiansky : Que la majoration des points de retraite soit accordée dès le premier enfant, c'est une mesure de justice sociale , qui présente l'avantage de cibler des familles plus petites, notamment les familles monoparentales souvent précaires, en redonnant du pouvoir d’achat aux mères retraitées. Pour nous c'est un point très important. Parce que ces familles-là, généralement composées d'un ou deux enfants, sont souvent des foyers de pauvreté.

Pour les familles qui n’ont aucune majoration aujourd’hui, un enfant apporterait donc 5% de majoration des points de retraite, deux enfants, 10%, 3 enfants, 15% etc. Il pourrait y avoir un plafond. Mais il reste des questions à creuser.

Ainsi, cette majoration de 5% serait attribuée soit à un parent, soit partagée par les deux parents, au choix du couple. A défaut de choix avant les quatre ans de l’enfant, la majoration serait attribuée à la mère. On voit tout de suite les conséquences possibles. Sur quel critère un jeune couple va-t-il choisir à qui iront les majorations de pension alors que leur retraite est si lointaine ? On imagine qu’un couple ayant à faire ce choix attribuera les majorations de pension à celui qui a le salaire le plus élevé, en général le père. Déjà d’après une étude de la CNAV, on constate que sur 5,5 millions de retraités qui profitent de la majoration de pension de 10% pour trois enfants et plus, ce sont les pères qui en bénéficient le plus.

Prendre en compte toute la carrière pour le calcul de la pension favorise uniquement celles qui ont une carrière ascendante

Pas sûr que la mère sera toujours satisfaite d’avoir laissé 5% de majoration de points de pension au père s’ils divorcent quelques années plus tard …

C’est pourquoi nous proposons de reculer l’âge de décision de cette affectation à une date beaucoup plus tardive : 60 ans pour des parents non séparés. Ou bien 12 mois avant que le premier parte à la retraite. Dans le cas d’un divorce, la décision serait prise en compte dans les mesures compensatoires de la baisse du niveau de vie de la femme par exemple. Mais surtout, nous proposons un forfait plutôt qu’une majoration de 5%, pour éviter justement l’incitation à attribuer la majoration au salaire le plus élevé en général celui du père. Mais pour savoir si les femmes sortiront vraiment gagnantes, il faudrait pouvoir faire des simulations en fonction de situations, salaires et régimes très différents.

Les adversaires de la réforme soulignent que la prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans le public pénaliseront particulièrement les femmes…

C’est en effet le risque, car prendre en compte toute la carrière pour le calcul de la pension favorise uniquement celles qui ont une carrière ascendante, de mieux en mieux payée, complète, sans interruption, ce qui est loin d’être le cas de toutes les femmes. Ainsi 45 % des femmes seulement liquident leur retraite avec une carrière complète contre 74% des hommes.

Les femmes qui ont travaillé à mi temps, (choisi ou contraint), celles qui ont pris leur mercredi pour les enfants seront-elles particulièrement pénalisées ?

A priori, il y a une proposition qui permettrait par exemple aux femmes qui ont fait toute leur carrière au SMIC et à mi temps d’avoir une retraite plus importante, une pension minimum de 1000 euros nets pour les salariés du privé et des salariés agricoles, et indépendants, dès 2022 pour tous les nouveaux pensionnés, et à 85 % du SMIC en 2025.

Avec les éléments dont nous disposons pour le moment, nous avons l’impression que cette retraite minimum serait en effet un progrès pour lutter contre la précarité des femmes. Par contre il reste un point à éclaircir : si ce minimum ne concerne que les carrières complètes comme annoncé, alors les femmes, qui font rarement des carrières complètes, ne seront pas du tout gagnantes. Une solution serait que les personnes à mi-temps cotisent comme si elles étaient à plein temps, avec l’accord voire l’aide financière directe des employeurs.

Cela soulève de vastes questions. Qui va payer ? On pourrait aussi imaginer des incitations fiscales pour les entreprises qui prennent ce genre de dispositions pour les temps partiels.

En cas de veuvage, le survivant (une femme dans la majorité des cas), perçoit une pension de réversion, une partie de la retraite du défunt. Le projet de retraite universelle prévoit que dans le nouveau système, les divorcées ne pourront plus la toucher à partir de 2025 … Le projet avantage donc la dernière épouse et tant pis pour la (ou les) ex qui a peut-être sacrifié sa carrière pour aider son mari à construire la sienne !

Déjà, la réversion (54% de la retraite de base du défunt, et 60% de sa retraite complémentaire) reflète une organisation très patriarcale de la société. Elle fait dépendre une partie du futur revenu des veuves de la rémunération de leur mari (les Pacs et concubinages sont exclus, ndlr).

Actuellement, les pensions de réversion représentent en moyenne le quart de la pension des femmes. Elles constituent donc un important moyen de réduction de l'écart des pensions entre les femmes et les hommes. Ainsi, alors qu’il y a 42 % d'écart entre les pensions des femmes et les hommes, la différence tombe à 29% d’écart avec une pension de réversion. Dans le nouveau régime universel, ce sont les deux pensions du couple qui seront prises en compte. Le projet prévoit de maintenir 70% du niveau de vie du couple à la retraite pour le survivant, à partir de 55 ans.

Ainsi, si Monsieur perçoit 2000 euros de retraite mensuelle, que Madame en touche 1000, elle aura une forte de baisse de niveau de vie si Monsieur décède. Avec le nouveau système, Madame toucherait 70% de 3000 euros (2000+ 1000) soit 2100 euros. C’est un progrès pour celles qui ont une pension bien plus faible que celle du défunt. Mais c’est un dispositif favorable aux ménages dans lesquels la femme n’a pas ou très peu travaillé. C’est aussi une forme d’iniquité pour toutes celles et ceux, célibataires, pacsés, en union libre, qui cotisent pour les couples mariés, donc pour des droits dont eux-mêmes ne bénéficieront pas pour le moment.

La pension de réversion est une forme d’iniquité pour toutes celles et ceux, célibataires, pacsés, en union libre

Il y en a d’autres : ainsi, actuellement une femme qui ne s’est jamais arrêtée de travailler a droit à 16 trimestres pour deux enfants. Elle cotise pour la retraite de celles qui ont pris un congé parental de trois ans pour chacun de ses deux enfants, six ans en tout, soit 24 trimestres…

Le problème c’est qu’actuellement, on ne peut pas savoir si un mi-temps ou un congé parental est contraint, faute de revenus suffisants, ou un libre choix.

Ceux qui pilotent la réforme de la retraite écoutent-ils les femmes ? On entend surtout des hommes, des représentants des syndicats, même si des femmes tirent la sonnette d’alarme.

La place des femmes dans la gouvernance et le pilotage de ce nouveau système de retraite est en effet un enjeu majeur d’égalité femmes hommes. Pas de système moderne sans gouvernance paritaire d’une part et sans participation des femmes à la table de discussion et au pilotage.

C’est pourquoi nous, Laboratoire de l’Egalité, et les associations de femmes devront absolument y être et être entendues. Pour alerter par exemple sur la pénibilité de certains métiers spécifiquement féminins : techniciennes de surface, caissières, carrières médico-sociales en maison de retraite etc.