"Les habits s'amoncellent sur le lit. Une robe en lin aux nuances colorées nous rappelle les baignades de l'été, tandis que les chemisiers flirtent déjà avec les pantalons. Au sol, les espadrilles tentent une dernière parade. On contemple la scène, l'œil aiguisé, attentive aux différentes combinaisons pouvant naître de cet instant sacré.

Face au miroir, on enfile, on enlève, on questionne. Oui. Non. Peut-être. Entre complexe et exigence, entre panache et timidité, on tente d'apprivoiser les vêtements déjà tournés vers l'automne.

Quelque chose se joue ici, mais quoi au juste ? Plus qu'une habitude, un rituel. Une cérémonie à laquelle il est impossible de déroger depuis le cours préparatoire, car qu'on se le dise, le choix solennel de notre tenue de rentrée est tout sauf une futilité.

Une question d'identité

Après la langueur estivale, la nonchalance souveraine des retours de plage et la sensualité des blouses, le temps est venu d'endosser notre costume de “reprise”. Et loin d'être une question de confort ou de pratique, c'est tout notre être qui espère trouver l'habillement parfait. Celui qui nous permettra d'asseoir notre confiance et d'incarner notre superbe autant que notre motivation. Car si l'on prend le temps de faire tous ces essayages et qu'on hésite autant entre cette chemise bleue ou cette tunique à fleurs, ce n'est pas seulement par coquetterie, c'est aussi parce que la mode est une activité à travers laquelle nous redéfinissons qui nous sommes.

Vouloir coller à une tendance, n'est-ce pas restreindre notre créativité ?

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Ce n'est pas qu'une question d'apparence, mais bien d'identité. Sandales témoins d'un joyeux dynamisme, veste pour se rassurer ou combinaison conquérante, chaque morceau de tissu raconte une histoire. Et choisir, c'est comme être face à une page blanche. “Tiens, qui vais-je être aujourd'hui ?” On esquisse une grammaire, on invente un vocabulaire, on tente de trouver sa cohérence. En somme, s'habiller devient un voyage au centre de nous-même. Pour aborder sereinement ce curieux périple, peut-être faut-il s'inspirer de l'italien Baldassare Castiglione.

Une apparence d'aisance et de naturel

Dans Le livre du courtisan** publié en 1528, il propose de s'habiller en faisant preuve de “sprezzatura”. Quelques délicieuses syllabes désignant une forme de désinvolture, la faculté de donner une apparence d'aisance et de naturel à quelque chose qu'on a pourtant mis des heures à penser. La “sprezzatura” est le “je-ne-sais-quoi” qui fait un lien entre notre vie intérieure et ce que l'on renvoie aux autres. Réussir à l'atteindre est loin d'être facile, c'est le fruit d'une longue introspection et d'un travail conscient. Une sorte d'“effortless” cousu à grand renfort de questionnements métaphysiques.

“Trouver notre costume de 'reprise' est loin d'être une question de confort ou de pratique. (…) C'est celui qui nous permettra d'asseoir notre confiance.” Mais parfois, nos doutes viennent troubler cette délicate opération.

Soudain, face au miroir, on se force à adopter une couleur, un motif, une forme, s'interdisant les autres sous prétexte qu'ils ne sont pas en vogue ou qu'ils sont trop audacieux pour nous. Au lieu de nous faire confiance, on tente de rejoindre un idéal illusoire, quitte à trahir notre identité. Comme l'explique le philosophe Nicolas Grimaldi : “Par son caractère à la fois collectif et momentané, la mode est un critère objectif d'assimilation.”

Ressembler aux autres prend alors le pas sur nos envies profondes. Mais vouloir coller à une tendance, n'est-ce pas restreindre notre créativité ? Pourquoi répéter les mots des autres quand on peut inventer les nôtres ? Et si l'heure était enfin venue d'affirmer notre style et d'exprimer notre singularité ?

Je pense donc je m'habille, que la “sprezzatura” soit le mot-clé de notre rentrée !"

*Auteure de Descartes pour les jours de doute et autres philosophes inspirants, éd. Flammarion/Versilio.

**Éd. Flammarion