C'est par téléphone que nous avons échangé avec Anna dello Russo alors qu'elle se trouvait dans un endroit reclus, mais sans aucun doute paradisiaque des Pouilles, la région italienne qui l'a vue naître. Au sein de l'industrie de la mode comme en dehors, la styliste qui a longtemps travaillé au Vogue Italia avant de gérer l'édition japonaise du magazine est inclassable.

D'un côté, beaucoup son prompts à critiquer ses looks fantasques, ses mini-jupes qui dévoilent des jambes altières. De l'autre, on ne peut qu'applaudir son sens de la liberté et de la franchise, la manière dont, la tête haute et le vêtement clinquant, elle brave les critiques. 

"Avant, j'avais pour habitude d'emporter 30 tenues pour les Fashion WeekAujourd'hui, pour les défilés de New-York, Milan et Paris, je dois en prendre au moins 90"

Anna dello Russo sait qui elle est et l’affirme, pièces de luxe excentriques pour en témoigner. 

Il faut dire que sa passion de la mode suivait un rythme effréné. À chaque Fashion Week, celle qu’Helmut Newton appelait affectueusement "Fashion Maniac" était connue pour ne jamais porter deux fois la même tenue allant jusqu’à porter plusieurs looks différents par jours. 

"Avant, j'avais pour habitude d'emporter 30 tenues pour les Fashion WeekAujourd'hui, pour les défilés de New-York, Milan et Paris, je dois en prendre au moins 90", avait-elle avoué en 2010 lors d'une interview.

Aujourd'hui le grand public découvre Anna dello Russo à travers ses contenus mode délirants postés sur Tik Tok. Mais c'est l'année 2018 qui a marqué un tournant dans la carrière de celle qui nous avait fait prendre la fashion shower dont nous avions besoin lors de sa collaboration avec H&M en 2012. 

Vidéo du jour

Cette année-là Anna dello Russo a publié chez Phaidon AdR Book: Beyond Fashion, un livre qui réunit 800 photos et illustrations qui traversent sa carrière de styliste et mettent en avant ses looks streetstyles les plus spectaculaires.

Elle a aussi travaillé sur un documentaire qui suit les coulisses du tri ayant mené à la vente aux enchères de son vestiaire iconique. 

30 robes signées Gianni Versace, Tom Ford pour Gucci ou encore Nicolas Ghesquière pour Balenciaga ont été mises aux enchères lors d'un dîner privé organisé par la Fondation Swarovski et les fonds ont été reversés en soutien aux designers émergents.
 150 autres pièces, mêlant prêt-à-porter et accessoires, ont été vendues via Net-a-Porter et tous les fonds reversés à la Fondation du British Fashion Council en soutien à l'éducation. 

C'était l'occasion d'en savoir plus sur l'année de celle qui a les yeux dardés dans l’avenir.

Entretien avec Anna dello Russo


Marie Claire : 2018 a été une année charnière pour vous, un livre, un documentaire, un rôle d’ambassadrice à l’Istituto Marangoni de Milan… 
Anna dello Russo : C'est une année clé. Ce processus a commencé il y a 2 ans, je me suis dit qu'il était temps de partager tous mes trésors, mes expériences, mes vêtements de collection… Je pense que les deux mots les plus importants d’aujourd’hui sont "partager" et "recycler". Et c'est ce que je vis à présent. Je veux être moderne. Je veux comprendre ce qui se passe maintenant. 

Pourquoi avoir accepté la proposition de l’Istituto Marangoni de tenir le rôle d'ambassadrice ?
AdR :C'est le bon moment. J'ai toujours aimé être entourée de jeunes, j’en ai toujours une bonne dizaine autour de moi. (rires) Je suis douée avec les jeunes générations, je pense. J'ai envie de leur faire vivre quelque chose de spécial. Ce ne sera pas une intervention régulière, mais je veux qu’ils expérimentent, je veux organiser un concours via lequel ils pourront faire preuve de créativité… 

J’ai la possibilité de laisser une marque sur une nouvelle génération d’acteurs de l’industrie. 
Il est primordial que je leur parle avec discernement des problèmes auxquels est confrontée la mode, que ce soit le gaspillage des matières, la fabrication de textiles à partir de bouteilles en plastique trouvées dans l’océan, le recyclage… Je ne veux pas être un bon professeur, mais un bon exemple. 

"Il faut partir en quête du futur, des innovations, sinon vous risquez de n’être qu’un journaliste nostalgique."

Ce qui est intéressant, c’est que vous avez su trouver une place en tant que journaliste mode, mais aussi influenceuse. Ça n’a pas toujours dû être évident.
AdR :Il faut saisir les opportunités offertes par le monde moderne. Je viens de la presse traditionnelle et lorsque le web a fait sa révolution, j’ai pris le train en marche, car il me semblait évident que ce soit l’avenir. D’autant que les deux sont complémentaires. Vous devez vous réinventer, aborder votre travail d’une façon organique. 

Il faut partir en quête du futur, des innovations, sinon vous risquez de n’être qu’un journaliste nostalgique.

@annadellorussoreal It’s a couture baby ?? #AlexandreVauthier ? PURE/HONEY - Beyoncé

Selon vous, qu’elle est la plus grande évolution que la mode ait connue ces dernières années ?
AdR : Il y a eu tant de changements, nous pourrions parler des heures entières. Mais ce qui a changé pour moi, c’est le consommateur. La manière de créer sa marque, de confectionner ses vêtements, de trouver des plateformes de distribution… C’est un tout nouveau marché qu’a créé la révolution digitale. Et il faut en tirer une leçon : on doit se réinventer.

Lorsque j’ai fait mon tri pour la vente aux enchères, je suis tombée sur une tenue et je me suis dit : « Cette tenue me suivra dans la tombe, c’est certain ». (rires)

Le consommateur a changé, mais les designers aussi… 
AdR : Oui. Regardez Virgil [Abloh] chez Louis Vuitton. Une marque historique, française, qui a à sa tête un communicant hors-pair avec un sens du visuel exceptionnel. Comment peut-on être nostalgique à une telle époque ? Je veux être ambassadrice du changement, que mon expérience soit confrontée à de nouveaux points de vue. 

J’aimerais que nous parlions de l’idée de style. Comment définiriez-vous l’idée de style personnel ? Comment avez-vous trouvé le vôtre ?
AdR : Mon style personnel est à jamais schizophrénique. (rires) Cela reflète mon évolution personnelle. Mon style exprime qui je suis : mes contradictions, mes erreurs, mes insécurités. À une période, je ne portais que de gros manteaux pour me sentir en sécurité. (rires) Je ne suis aucune règle, j’ai fait beaucoup d’erreurs. On peut dire que mon style, c’est mon reflet. 

En matière de mode, il y a aussi un style pour chaque situation. Lorsque j’ai fait mon tri pour la vente aux enchères, je suis tombée sur une tenue et je me suis dit : "Cette tenue me suivra dans la tombe, c’est certain". (rires)

Suite à la mise aux enchères de vos vêtements, entretenez-vous le même rapport à la mode ?
AdR : Oui, mais je suis sans doute moins acheteuse compulsive, plus consciente de ce que j’achète. J’avais vraiment l’habitude d’acheter beaucoup, mais maintenant que je partage ma vie avec quelqu’un, j’avais besoin de faire de la place. Et puis personne n’a besoin de centaines de manteaux (rires). 

Faire le vide est aussi une manière d’accueillir l’avenir. Qu’espérez-vous pour les années qui viennent?
AdR : Je n’ai jamais eu de grandes attentes, mais un grand rêve : faire toujours le meilleur pour moi, faire attention à ma carrière professionnelle et la mener comme bon me semble. L’attente n’est pas un mot qui me convienne. J’ai juste envie de me consacrer sur la transmission aux générations qui suivent.

Découvrez les looks d'Anna dello Russo dans notre diaporama :